Pas simple du tout de vouloir nous donner à voir l’Iliade d’Homère, surtout quand on est un comédien seul en scène et qu’on s’exprime en anglais (américain) !
Oui, c’est pas simple mais :
Dans ce spectacle, il ne nous récite pas toute l’Iliade mais il nous la rend « présente » , pas actuelle, non, mais proche de nous, vivante, il nous emmène dans la guerre de Troie, comme si nous étions nous-mêmes des protagonistes de l’histoire .
Les grands héros, pourtant mi hommes mi dieux, nous sont présentés comme de vraies personnes, avec leurs qualités et leurs défauts. Par exemple pour nous faire « voir » l’ensemble des navires (ce qui est appelé dans l’Iliade, le CATALOGUE DES VAISSEAUX) , pour nous faire comprendre la multitude des moyens embarqués, le comédien fait surgir de ses mots toute l’armée, en énumérant le nombre d’hommes par bateau, au fond comme s’il s’agissait de la seconde guerre mondiale et du débarquement. Une organisation grandiose, un défi énorme. De même, pour que nous puissions « sentir » la diversité d’origine des soldats et les convergences qu’une telle armée nécessite, il explique que ce serait comme réussir à rassembler des gens de différentes villes et régions de la France d’aujourd’hui. Il y aurait donc des hommes qui viendraient du Berry et des Pyrénées, de Bordeaux et de Chambéry, du Loiret, de Reims, de Marseille, de Lille…
L’ILIADE d’Homère, c’est le récit des derniers jours de la bataille, mais nous n’en connaissons ni les débuts ni l’issue. Douze jours, douze jours sur les 10 ans de la bataille, douze jours de la fin de la guerre, douze jours décisifs mais qui ne voient pas encore la chute de Troie.
Voilà donc 10 ans que les grecs (les achéens) sont partis se battre contre TROIE. Au bout de 10 ans, une éternité, plus personne ne sait pourquoi il est là. La guerre s’est enlisée, et les grecs voudraient lever le camp et rentrer chez eux. Mais c’est l’heure des héros. Et surtout celle des dieux qui se livrent des batailles par mortels interposés.
Les dieux ont choisi leur camp.
Le problème c’est qu’Achille, le meilleur guerrier grec, s’est embrouillé avec le grand chef Agamemnon et qu’il refuse de se rendre au combat. Il fomente même une alliance contre son camp.
Les carottes sont donc cuites et les troyens vont gagner. Mais dans un ultime effort, la situation va se renverser, car les dieux ont décidé des choses autrement.
Patrocle c’est le petit, le menu, pas un grand guerrier, mais un homme courageux, qui voyant la situation désastreuse où se trouvent les grecs, demande à son ami Achille de le laisser combattre. Achille lui donne l’autorisation, lui confie même sa propre armure, en lui précisant bien qu’il ne doit en aucun cas se rapprocher des murailles de Troie.
A ce moment-là, l’acteur prend les deux poses, celle d’Achille, affalé sur un siège, désabusé, mais rempli de tendresse pour son ami Patrocle, et la pose de Patrocle qui reçoit l’accord d’Achille comme une bénédiction. Et Denis O’Hare baisse la voix pour les dernières recommandations d’Achille. Bref, nous aussi, par la magie du théâtre, on est sous la tente d’Achille, et on entend le bruit des combats au loin.
Denis O’Hare n’a pas son pareil pour mimer le combat de Patrocle, à la tête des Myrmidons, éperdu, ivre de rage et dont les forces sont, de ce fait, décuplées. Les têtes tombent, le sang gicle.
Puis, il y aura la colère noire d’Achille, qui n’accepte de retourner au front que pour venger la mort de son ami Patrocle et dont la fureur ira jusqu’à la profanation du corps d’Hector, trainé par les chevaux du char, tout autour de Troie. Sa colère immense, on la palpe du doigt, c’est géantissime. Et sublime, et pourtant Denis O’Hare n’est monté que sur la table !
Achille revêt enfin son bouclier doré, où est gravé le destin, son enclume et son armure forgées par Héphaïstos en l’espace d’une nuit, seules capables de faire face au casque étincelant d’Hector, le plus fort des troyens et qui pourtant tremble à la vue de son adversaire.
Hector veut s’enfuir, il prend ses jambes à son cou (le comédien court autour de la scène), il faut qu’il soit acculé, contre les remparts pour qu’il accepte le combat. Hector, comme Achille, avait une faiblesse. Mais si Achille a une faille (au talon), Hector, qui s’est emparé de l’armure de Patrocle, ne sait pas que celle-ci ne le protège pas complètement et qu’il y a une zone non jointive, juste au niveau du cou. Achille la connait bien : il avait lui-même prêté son armure à Patrocle. Denis O’Hare nous le montre, c’est bien là : dans le creux du cou.
Et c’est la mort, et c’est encore pire que la mort, c’est la haine, le désastre. Achille traine le corps dans la poussière. Le comédien nous dit, comme Homère aurait pu nous le dire, que c’est un immense gâchis, ces guerres dont personne ne sort victorieux.
Performance de Denis O’Hare : il énumère depuis l’Antiquité toutes les guerres les plus sanglantes de l’humanité. Longue litanie de catastrophes qui sont plus absurdes les unes que les autres. Les hommes n’ont fait que s’étriper…pour rien. Leurs revendications, leurs conquêtes semblent si dérisoires, à l’échelle du temps.
Puis, comme dans l’Iliade, on ne sait rien de la suite, du Cheval de Troie, de la mort des héros. On devine, ce sera la victoire des grecs et l’anéantissement d’une civilisation, comme, nous suggère Denis, le sac de Rome, la fin de la première guerre mondiale, Hiroshima, ….peut être le 11 septembre ?
Le plateau était vide, Denis O’Hare n’a utilisé qu’une valise, une chaise, une table. Mais grâce à lui, on s’est replongé dans cette gigantesque histoire qui a fondé notre « civilisation ».
Au final, quelques mots sur Denis O’Hare : c’est un « réfugié politique », non je plaisante. Disons que lui et son mari n’ont pas voulu continuer à vivre dans l’Amérique de Trump, son mari et sa famille (ils ont adopté un petit garçon). Et se réfugier au Royaume Uni du Brexit n’était pas envisageable. Ils habitent en France, et personnellement j’en suis un peu fière !