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Le consentement (Vanessa Springora, ed Grasset)

Le consentement (Vanessa Springora, ed Grasset)

Ca y est, j’ai  lu le livre que tout le monde a lu, et dont tout le monde parle, celui qui vient en écho en France, aux revendications MEETOO et BalanceTonPorc.

Le livre m’a été offert par une amie, qui sait que je m’intéresse aux sujets féministes et que je remercie au passage dans ce post (Nini , merci !).

Je l’ai lu en 2 heures, c’est donc facile à lire. Ce qui est gênant tout de suite,  c’est qu’on ne peut absolument pas critiquer ce livre, ce serait du victim blaming, et une façon de renvoyer la pauvre Vanessa à ses travaux éditoriaux, alors qu’elle a eu le courage et le mérite de prendre la plume pour raconter ce qui l’a fait souffrir pendant si longtemps .

Ce n’est pas facile d’ « avouer » (oui, ce n’est pas le bon mot, mais c’est un peu comme ça que je ressens sa « confession ») qu’on a été abusée, et pire,  qu’on a totalement consenti à ces abus. C’est extrêmement humiliant, je le comprends, et il faut bien que la parole se soit libérée depuis 2017 pour oser prendre la parole et tant mieux. MeTOO c’est ça : les femmes se disent enfin que ça leur est arrivé à elles aussi. La honte doit changer de camp.

Vanessa Springora a été abusée à 14 ans par un vieux de plus de 50 ans, un « vieux » que tout le monde respectait alors, en sa qualité d’écrivain. Elle n’avait donc pas la « légitimité » de dire, elle n’aurait pas été entendue.

Le problème, c’est bien le consentement, titre de son livre.

Je ne crois pas cependant qu’il soit « seulement » question de son âge. Certes, elle était très jeune. Certes, elle détaille très bien les conditions de sa vulnérabilité : absence de père, fragilité émotionnelle, troubles de l’adolescence…Mais on trouvera toujours des conditions similaires chez d’autres jeunes filles qui ne sont pourtant pas « tombées » sur des pervers. Mais au fond, pourquoi aurait-elle été plus vulnérable qu’une autre et qu’est-ce que cela change ?

La question, c’est aussi le silence de la société, et même son « consentement » à elle aussi, la société des années 80, qui lisait les livres du prédateur sans sourciller, et invitait celui-ci sur les plateaux TV avec une sorte de fascination.

La question, c’est surtout la perversité de celui qui l’a « utilisée », avec son « consentement » à elle, pour satisfaire des besoins (pulsions, désirs ?) qui lui étaient propres.

Il faut prendre ce livre comme un témoignage : qu’est-ce que ça fait d’avoir été abusée dans son adolescence avec son propre consentement ? Qui est responsable et quel est le sujet ?

  • La société

Si je reviens sur le contexte « historique », comment juger « a posteriori » de la société des années 80 ? Vanessa Springora dit bien qu’à cette époque (dont je me souviens, étant très jeune moi aussi à ce moment-là) , il y avait des revendications à la libération sexuelle tous azimuts, et ces revendications allaient même jusqu’à considérer que les enfants  étant des « personnes », avaient également des désirs sexuels qu’il ne s’agissait plus d’ignorer ou de réprimer. Dolto rendait « responsables » les enfants victimes d’incestes, du moins sur le plan psychique. Les « Enfants de Dieu », une secte qui existe peut-être même encore aujourd’hui, prospérait en toute liberté alors qu’elle encourageait carrément la prostitution des enfants, dans le but d’évangéliser les incroyants ! Ce serait trop facile de faire le procès d’une époque à la lumière de ce qu’on croit être le présent. Je remarque que c’est exactement le même amalgame qui conduit à la démarche « décolonialiste ». On devrait, à en croire ces chauds partisans de la culpabilité du monde « blanc », revoir toutes les œuvres du passé, à l’épreuve des condamnations morales (hypocrites d’ailleurs) d’aujourd’hui.  La société de repentance n’est pas une société de citoyens, c’est une société qui se torture à revoir son passé (mais non à le purger) et qui, ce faisant, continue à commettre les pires crimes à l’égard des hommes d’aujourd’hui. (Terrorisme, assassinats, violences en tous genres passés sous silence au profit de la contrition qu’on doit aux erreurs du passé).

Je ne reviendrai donc pas, quant à moi, sur la société des années 70/80, pour m’indigner qu’un écrivain ait pu être encensé alors qu’il affichait sa pédophilie ouvertement. Je note malgré cela qu’il est assez amusant de voir la tête contrite de tous les journalistes qui faisaient alors des courbettes égrillardes devant ce prédateur d’enfants !

  • Les livres, la littérature

Je ne voudrais pas non plus incriminer les livres, la production littéraire de l’auteur (dont je n’ai pas lu une ligne). Car pourquoi faudrait-il conserver les livres de Sade et brûler ceux de Matzneff ? De quel droit on jugerait que l’un est plus subversif que l’autre ? Peut-on condamner un livre ? Ce n’est pas l’œuvre de Gabriel Matzneff qui est un problème pour moi, quoiqu’il écrive. Un livre est un livre, ce n’est pas la réalité. Un livre raconte ce qu’il y a dans la tête de son auteur, et il dit aussi ce qu’il a transcrit de ce qu’il y a dans sa tête. Nous ne pourrons jamais empêcher que des pensées criminelles et transgressives soient inscrites dans les cerveaux des hommes. Comment « enlever » une pensée à quelqu’un ? Impossible évidemment, et même non souhaitable car alors il n’y aurait plus de liberté. Même les lavages de cerveaux n’ont pas réussi à transformer les hommes…heureusement.

  • L’individu :

Par contre, ce que je crois c’est que c’est le passage à l’acte qui pose problème.

Et si on lit le livre de Vanessa Springora comme un témoignage (d’ailleurs très retenu et très peu « littéraire ») , on comprendra que, quelle que personne qu’elle ait pu être, vulnérable ou non, elle a bien été victime d’une autre personne, d’un manipulateur qui tentait , en s’en prenant à de très jeunes partenaires à qui il jouait la comédie de l’amour, de sortir de  son impuissance (elle raconte les gestes masturbatoires frénétiques de son « amant » qui n’arrivait pas à  tenir son érection).

Et ce qui est « nouveau » (mais à mon avis pas encore assez détaillé), c’est justement le récit des conséquences que cette « utilisation » d’elle-même par le prédateur, a entrainées pendant une bonne partie de sa vie, conséquences que la « victime consentante » ne pouvait pas prévoir.

Y a-t-il un âge où on peut consentir en toute connaissance de cause ? j’en doute. Mais c’est vrai que l’expérience nous apprend le consentement et le refus. Il faut du temps pour « savoir », ou « deviner », ou « anticiper » de telles conséquences. 

Ce livre sur le consentement, nous apprend ce qu’à nos âges, nous savons enfin !

PS : Je me suis beaucoup amusée dans la scène du psy qui vient voir la jeune fille à l’hôpital et lui explique, connaissant sa relation avec le vieux Matzneff, que les rhumatismes articulaires dont elle souffre ne sont pas une maladie de jeune !

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