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Conversations entre adultes (Yanis Varoufakis ed LLL)

Conversations entre adultes (Yanis Varoufakis ed LLL)

C’est un livre d’histoire économique, c’est un livre d’économie financière, c’est un livre très technique et c’est pourtant un livre qui se lit comme un thriller !

Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec d’Alexis Tsipras, le leader de  Syriza, a été à la manœuvre européenne, face aux institutions bancaires (BCE, FMI), à l’Eurogroupe, à la commission européenne et à tous les plus grands interlocuteurs de la planète entre janvier et juillet 2015.

C’est la première fois qu’un dirigeant de cette envergure enregistre et publie les travaux et discussions européennes.

De l’auteur on s’est tous fait une idée par les média: flambeur, flambant (veste en cuir, moto, crâne rasé), charismatique (une rock star), grande gueule, impatient, sectaire, il a réussi en 6 mois à se faire détester de tous les européens qui comptent, au point où, alors qu’un référendum donnait un mandat clair à Syriza, il a été contraint de démissionner. Depuis, nous n’entendons plus parler de la Grèce et nous croyons certainement tous, que la situation est bien meilleure et que la Grèce s’est « normalisée ». Erreur, erreur !

Qui est Yanis Varoufakis ?

Ce n’est pas un politique, c’est un chercheur, un grand spécialiste de l’économie et de plus ce n’est pas du tout un afficionado de Syriza, dont il n’a jamais fait partie.

Il est né à Athènes en 1961 d’un père chimiste, professeur d'université et président des aciéries Halyvourgiki qui a été emprisonné et dans une île utilisée par le gouvernement d'alors pour rééduquer politiquement ceux qui avaient combattu dans le camp communiste lors de la guerre civile de 1946-1949.

Yánis Varoufákis a suivi toutes ses études supérieures en mathématiques et en économie en Angleterre, où il est archi diplômé (doctorats) des plus grandes universités. (Cambridge).

Il a ensuite enseigné et écrit des livres. C’est un grand penseur, certes social, mais un chercheur avant tout, un esprit libre et intelligent. Il est par exemple opposé au revenu universel, car : « Quand des gens bossent dix heures par jour pour nourrir leur famille, on ne peut leur demander de donner de l’argent à d’autres qui restent devant leur télévision »(sic).

Le livre

C’est un récit haletant sur les 6 mois de combat acharné que Varoufakis a mené pour défendre les intérêts de la Grèce, MAIS AUSSI CEUX DE L’EUROPE.

Je croyais avoir compris mais en fait non, Varoufakis n’est pas l’homme de Syriza, pas l’homme d’une pensée unique, pas non plus un idéologue. Il a trop de recul, de réflexion, d’intelligence pour verser dans un système. Ce sont plutôt ses interlocuteurs inflexibles qui apparaissent comme des adeptes de la pensée unique (TINA : there is no alternative), des incompétents (Sapin le dit lui-même : « Je ne suis pas compétent en économie », et Schauble avoue également n’être pas un spécialiste), des entêtés.

Varoufakis a défendu :

  • Le maintien de la Grèce dans la zone euro, (Schauble voulait la sortie)
  • La restructuration de la dette (cad son allègement car tout le monde s’accorde à dire qu’elle est  insoutenable),
  • L’absence de mise en place d'un contrôle des capitaux,
  • La mise en œuvre d'une monnaie parallèle de type BitCoin(évitant justement la pénurie de liquidités),
  • La lutte contre la corruption,
  • Et même la privatisation, à condition qu’elle ne soit pas effectuée au rabais (ce qui a été le cas, à cause des menaces européennes)

Si on ne veut pas croire sur parole tout ce que Varoufakis explique (après tout, il pouvait avoir mauvais caractère, être un peu parano, et vouloir se donner le beau rôle), au moins peut-on s’appuyer sur ce que d’autres commentent (dont Galbraith), actuellement. Non, la Grèce ne va pas mieux, les pauvres paient cher, les retraites sont amputées, on n’y lutte pas contre l’économie souterraine (on ne lutte pas contre l'argent au black en instituant des taux de TVA à 24%) et les dogmes qui n’ont pas marché jusqu’ici continuent à être appliqués strictement.

Il faut savoir que la Grèce ne rembourse rien, car elle ne peut pas rembourser. Les prêts successifs donnés par la BCE, le FMI et autres instances ne sont qu’un jeu d’écriture à somme nulle : les prêts servent entièrement à rembourser ceux qui les fournissent. Incroyable mais vrai. Pas un sou ne va à l’économie grecque à qui on continue à administrer des remèdes de cheval.

« Ce ne sont pas des réformes pour améliorer les conditions économiques de la Grèce. Ce sont des réformes construites par les lobbies », dit l’économiste James Galbraith.

« À l'entendre, chacun d'entre eux veut sa part. Les dates de fraîcheur du lait ont été repoussées de 3 à 7 jours pour que les entreprises hollandaises puissent exporter leur lait. Les grands groupes pharmaceutiques se sont arrangés pour être avantagés face à l'industrie locale, en invoquant une concurrence en fait « manipulée au travers des paradis fiscaux et des prix de transfert ». Les privatisations sont conçues pour « créer des monopoles privés pour les entreprises étrangères » sur les biens les plus intéressants, à l'image de l'aéroport d'Athènes, détenu par le groupe allemand de BTP Hochtief. »

Quant au droit du travail, ce qui a été appliqué en Grèce nous rappelle un peu quelque chose :

« Les réformes du monde du travail grec ont abouti de facto à une quasi-abolition des conventions collectives. Le droit des partenaires sociaux à conclure des conventions collectives nationales a été formellement abrogé, et les accords de branche ont de facto été abolis.[…]. Il y a eu également un renversement complet de la hiérarchie des normes.[…]. L'explosion du chômage a eu lieu exactement après l'adoption de cette dérégulation du droit du travail. » Y. Katrougalos 

Qui est responsable ?

 Varoufakis refuse et c’est normal de mettre tout le monde dans le même sac. Il n’y a pas d’un côté les allemands, d’un autre côté les grecs.

Il est vrai que depuis le début de la crise grecque, il est de notoriété publique que Wolfgang Schäuble a toujours été dans les négociations le plus intraitable et le plus méprisant à l’égard de la Grèce.

Avec le changement de gouvernement suite aux élections allemandes, la sortie du plus acrimonieux ministre de la Chancelière ne va pourtant rien changer.  Il y a consensus pour infliger à la Grèce une punition exemplaire.

Et nos acteurs français pendant la période (mais encore aujourd’hui) sont en dessous de tout : tous les français sont pour le moins ambigus quand ce n’est pas tout à fait hypocrites. Et quand Varoufakis parle de Pierre (Moscovici), de Michel (Sapin), de Christine (Lagarde), c’est comme si je les connaissais déjà bien. Les hauts fonctionnaires de notre République ont ceci en commun, c’est qu’ils ont été formés à la même école : une prudence qui confine à la pleutrerie, une idéologie conquérante en paroles, vite rangée dans le fond de leur poche quand il s’agit d’affronter les puissants, un grand charme qui cache une totale absence d’empathie.

Varoufakis écrit : Lors de notre première rencontre (avec Michel Sapin), j’ai passé une heure et demi dans son bureau de Bercy. Nous étions comme des frères d’armes ! « Votre réussite sera celle de la France », m’a-t-il lancé. Il semblait prêt à me prendre par le bras pour prendre la Bastille ! Mais, à la conférence de presse qui a suivi, j’ai eu l’impression d’entendre un autre homme. Comme si Schaüble (ndlr : le sévère ministre des Finances allemand ) s’exprimait par sa bouche.

"Dans les mois qui ont suivi, le gouvernement et les élites de la France ont montré leur incapacité et leur répugnance à parer aux attaques contre notre gouvernement qui, à long terme, visaient Paris".

 

Les dangers qui nous guettent

Varoufakis n’a pas seulement lutté pour la Grèce, à mon avis et sa défaite est une défaite européenne.

Finalement, « Dans cette galerie de personnages, il y en a un qui n'était pas hypocrite, c'est le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble, explique Yanis Varoufakis. Il m'a expliqué qu'il fallait imposer ce programme à la Grèce – programme catastrophique – et que c'est la Troïka qui allait être chargée de cette mission. (...) Michel Sapin et François Hollande ont en réalité permis à la Troïka de venir à Paris. Vous ne l'avez peut-être pas remarqué, mais la Troïka est déjà présente à Paris. »

Donc, non seulement l’exemple grec crée un précédent qui fait peur, mais la peur s’est déjà diffusée en Europe, suite à cette crise, comme en témoigne le Brexit, la montée des nationalismes, les envies d’indépendance de régions entières etc..

Nous nous bandons les yeux et fermons les oreilles, c’est bien pour notre tranquillité, mais vers quoi nous dirigeons nous ? Les entorses, les failles, les crimes contre la démocratie auront des conséquences et j’espère bien que personne n’en doute.

 

J’ai avalé ce livre d’un bout à l’autre, j’ai été passionnée par l’humanité de Varoufakis et surtout par son courage et son stoïcisme face aux trahisons et lâchetés de beaucoup. Cette torture, son agonie, auront duré 6 mois, mais c’est aussi la radiographie des vices de l’Europe, des institutions, des personnes qui sont chargées de la gérer……et je ne peux qu’y déceler l’agonie d’une certaine idée de l’Europe. En cette période de Toussaint, voilà une lecture qui nous met face à la vérité, non sans humour car l’homme est plein de ressources, de brio, d’ingéniosité. C’est quand même bien un peu une rock star !    

 

Conversations entre adultes (Yanis Varoufakis ed LLL)
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