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Mon octobre rouge (part 2)

Mon octobre rouge (part 2)

(texte signé Zhibou)

Je poursuis mon parcours à travers les auteurs non russes de la révolution d'octobre

Vient la Seconde Guerre Mondiale, d’où l’Union Soviétique, après de terribles combats qui ont menacé jusqu’à son existence et causé d’immenses souffrances à ses peuples, est sortie plus puissante que jamais, mais aussi très influente et crainte dans le monde entier. Alors, attention, pour témoigner sur les tragiques réalités du système, la désorganisation économique, les camps de travail omniprésents, la misère et l’absence de liberté, il fallait du courage et il n’était pas facile de trouver une audience. Dans ces années de l’immédiat après-guerre, Soljenitsyne, lui, purgeait sa peine de dix ans de camp au fin fond du Kazakhstan.

Julius Margolin

 

Parmi les grands témoins, les survivants qui ont osé parler, et qui n’étaient pas russes, je retiens Julius Margolin (1900-1971). Sa vie est pleine de paradoxes : il est né dans une famille juive de Biélorussie, alors dépendante de l’empire russe et a fait de brillantes études de littérature et de philosophie, d’abord en Russie, puis à Berlin. 

Puis il est parti s’installer dans la Palestine d’alors (en 1936 la Palestine n'était pas encore Israel mais de nombreux juifs avaient déjà rejoint le pays) où il s'est marié.

De façon malheureuse pour lui, le déclenchement de la seconde guerre mondiale l’a surpris alors qu’il retrouvait ses parents dans sa ville natale (Pinsk). Après avoir bien hésité sur les moyens d’échapper aux envahisseurs, il a été arrêté en 1940 par les soviétiques, comme « étranger » et soumis à la peine d’ « internement administratif », en clair les camps de travail dans le grand Nord (il n'a pas été arrêté comme juif, c'est déjà ça) ! Il a survécu par miracle (ses parents, eux, ont été massacrés par les nazis), et a été  libéré en 1945, grâce à une disposition particulière d’échanges de prisonniers. Son témoignage « Voyage au pays des Zeka», est exceptionnel par sa qualité littéraire, les descriptions des multiples personnages qu’il a croisés, la profondeur d’analyse des situations. Il écrit en russe, la langue de ses études, dès 1947. Problème : où publier ce livre ? En URSS, pas question, et même en Israël, il n’était pas entendu, car l’URSS y jouissait d'un grand prestige. Il a donc été publié à Paris en 1950 mais a eu très peu d’audience. Heureusement, sa réédition en 2010 l’a fait enfin largement connaître.

Ce qui est passionnant chez Margolin, c’est la description minutieuse d’un système, qui, pour avoir les mêmes conséquences fatales que celui qui régissait les camps de concentration nazis, s’en distinguait nettement par son « esprit ». Pas question de travail qui rendrait plus libre, mais de travail qui était censé rappeler au travailleur sa condition première (précaire) et donc le rééduquer.

Il fallait re-diriger ces êtres vers la seule voie que raisonnablement ils auraient dû souhaiter : l’avènement du communisme. D’accord, tout le monde mourait épuisé. Mais rééduqué, donc guéri !!! Pour gagner un vague brouet additionné d’une pomme de terre pourrie, il fallait remplir les objectifs et travailler comme un forçat, si possible en dépassant la norme pour montrer son enthousiasme.

"D'ailleurs « pour quelle raison ? », « pourquoi ? », « quand ? » sont des questions qui ne signifient rien et qu'il ne faut pas poser. Ouzbeks, Ukrainiens, Géorgiens, Polonais, Juifs, colosses ou moribonds sans origine précise, déportés de toutes nations, sont jetés dans « le royaume du Dragon où tout est à l'envers »" Télérama

Par sa formation, par sa langue, par son immense curiosité intellectuelle, Margolin a une compréhension profonde de la Russie, de ses habitants, et du fonctionnement du système soviétique. Mais il n’a pas été élevé dans ce système et encore moins « conditionné » par lui. Bien avant Soljenitsyne ou Chalamov, il avait tout compris et tout montré. Il avait dénoncé les mécanismes de « dépersonnification », de « déshumanisation », « l’atrophie des consciences » et la « mécanisation des esprits », et décrit les lueurs d’espoir qui permettent de tenir, puis, plus tard, de rendre hommage à ces innombrables disparus, individus broyés dans le système.

 

C’est la Roue Rouge, la roue de l’histoire, écrivait Soljenitsyne dont je parlerai plus tard, dans un autre » post. Où tourne la roue maintenant ? Va-t-elle à nouveau s’emballer dans un mécanisme diabolique, comme dans un film d’Eisenstein ? Ou bien se trouve-t-elle enlisée dans une société en perdition ?

Mon octobre rouge (part 2)
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