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A propos du Goncourt 2017

A propos du Goncourt 2017

(post signé Zhibou)

Depuis l’annonce de l’attribution du prix Goncourt de cette année, je ressens une impression curieuse, que je n’ai jamais ressentie les années précédentes. Au point d’éprouver un grand malaise.

Non pas que je sois « abonné » au prix Goncourt, ni que j’y attache une importance primordiale. Je ne me précipite pas sur le prix Goncourt de l’année, il m’arrive de ne pas le lire du tout comme de le lire, en tout cas l’étiquette « Goncourt » n’est pas un critère déterminant pour moi. C’est pourquoi j’ai complètement ignoré certains prix Goncourt, alors que j’en ai adoré d’autres, je pense au « Sermon sur la chute de Rome » de Jérôme Ferrari : un roman captivant, des personnages hauts en couleur, une « ambiance » corse mais aussi des résonances multiples avec des histoires de grandeur et décadence, des empires, mais aussi des destins humains : un roman polyphonique en somme.

Donc, cette année, j’avais eu l’occasion de lire, il y a déjà quelques mois, « l’Ordre du jour » d’Eric Vuillard. Et j’avais apprécié le ton grinçant et ironique du récit de l’arrivée au pouvoir des nazis au début de 1933, puis de l’invasion de l’Autriche (l’Anschluss) en mars 1938.

En effet, et ce n’est arrivé qu’une fois auparavant, le lauréat du Goncourt était paru plusieurs mois avant la rentrée littéraire. Et j’avoue que pas un seul instant je n’ai pensé que cet ouvrage pourrait recevoir le prix Goncourt, tellement il me semblait éloigné de mes attentes vis-à-vis d’un roman, c’est-à-dire d’une fiction à la fois créative, stimulante , originale et, bien sûr, d’une très grande qualité d’écriture.

Le livre d’ Eric Vuillard est bien écrit, dans un style séduisant, mais c’est un récit historique fidèle à la réalité, recherchant même les faits concrets et les « détails » signifiants, comme cette panne des chars incapables d’arriver à l’heure parader dans les rues de Vienne. Où est la création ?

Autre remarque : il s’agit de l’expansion du pouvoir nazi à la veille de la seconde guerre mondiale. Et, le même jour, on apprend que le prix Renaudot est accordé à «La disparition de Josef Mengele » d’Olivier Guez. Décidément la seconde guerre mondiale fait recette ! Et ce n’est pas nouveau : selon le « Huffington Post », sur 80 prix décernés sur 20 ans (Goncourt, Goncourt des lycéens, Renaudot, Femina), 11 traitent de la seconde guerre mondiale, presque autant que les 12 qui sont des histoires d’amour, et 17 au total nous parlent de la guerre.

Très bien, dira-t-on. Nous vivons une époque pleine de troubles, voire de tragédies. Et « le ventre est fécond, d’où peut sortir la bête immonde ». N’oublions jamais ce qui s’est passé dans les années 1930, et faisons-le savoir et comprendre à nos enfants et petits- enfants.

Oui, mais alors ? C’est de l’histoire ? Et, bien sûr, l’histoire, il faut l’apprendre, l’expliquer, et en transmettre les enseignements à nos enfants et nos petits- enfants. C’est de la « littérature mémorielle » ? Mais que nous apprend-elle, que nous apporte-t-elle face au monde d’aujourd’hui ?

L’avenir ne reproduira pas les années 30 ; il nous réserve peut-être d’autres tragédies, ou en tout cas de nouvelles ruses de l’histoire, et nous sommes bien démunis dans l’instant présent pour l’appréhender.

Et justement, ce que j’attends de la littérature, Goncourt ou pas Goncourt, c’est, avec une dose plus ou moins forte de fiction, de m’ouvrir des portes, de me montrer des voies que je n’aurais pas trouvées moi-même à partir de mes expériences vécues, de mes connaissances historiques, de mes réflexions politiques, philosophiques ou autres. C’est une vision exigeante de la littérature, mais c’est aussi une condition de survie, je le pense sincèrement, de la littérature face à la marée des média audiovisuels et numériques. Je remarque d’ailleurs que ces média ont su trouver le « filon » des nazis et de la seconde guerre mondiale. On ne compte plus les documentaires ou les séries qui nous replongent dans ces sombres années et leur univers de batailles de chars, d’affrontements d’escadrilles d’avions, de guerre des services secrets et de rencontres des grands de ce monde. En définitive, je me demande si les écrivains, incontestablement de bons écrivains, qui nous livrent des récits directement inspirés de cette période (et pas seulement Eric Vuillard et Olivier Guez) ne se mettent pas, même inconsciemment, « à la remorque » de cet « air du temps » dans les média.

Et enfin, n’est-ce pas une vision trop exclusivement centrée sur nos problèmes de la vieille Europe ? Il y a tellement de thèmes variés et originaux à explorer dans le monde contemporain. Nous avons d’ailleurs une littérature francophone pleine de diversité, qui peut nous faire découvrir d’autres mondes, d’autres sociétés, d’autres rêves, et cela aussi peut nous ouvrir des portes et éclairer notre avenir.

J’aimerais vous parler, et je le ferai prochainement, de quelques livres remarquables par la profondeur et l’originalité de leur approche, quelquefois leur «talent prophétique » . Ils m’ont captivé, amusé, ému, et, surtout, ont élargi ma vision et ma compréhension du monde

Voilà, en toute liberté, ce que je voulais vous dire sur mon étrange réaction à l’annonce du prix Goncourt de cette année.

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