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Bella Figura (de Y. Reza, Théâtre du Rond Point )

Bella Figura (de Y. Reza, Théâtre du Rond Point )

Le théâtre du Rond-Point était complet samedi, à la représentation de « Bella Figura ».  La pièce de Yasmina Reza a du succès, surtout qu’on y retrouve Emmanuelle Devos et, pour ceux qui connaissent mieux le théâtre que le cinéma, un grand acteur (taille et jeu) Micha Lescot (que j’avais vu dans un Tartufe très original aux Ateliers Berthier). La distribution était complétée par Camille Japy, Louis-Do de Lencquesaing, et Josiane Stoleru.

Cinq personnages donc pour une pièce créée par Yasmina Reza, et mise en scène à l’origine par Thomas Ostermeier, directeur de la Schaubühne à Berlin, metteur en scène adoubé dans le monde entier (et que j’adore) et pièce jouée en allemand.

Bella figura : c’est un peu l’équivalent de bonne figure en français. Faire belle figure, c’est se présenter sous son meilleur jour, faire bonne impression. Les personnages sont presque tous issus de ce qu’on nomme encore « la bourgeoisie », à l’exception d’Andréa (Emmanuelle Devos), une sorte de Maryline écervelée et coquette, perchée sur des talons aiguille immenses et rouges, fumeuse, trop court vêtue, et finalement révélatrice de la médiocrité et du vide des autres personnages. Andréa n’est que préparatrice en pharmacie,, elle est mère célibataire et se gave de médicaments en tous genres (anxiolytiques, et anti dépresseurs, pour compenser vraisemblablement).

Dès le début, on ne voit d’elle que ses jambes qui sortent de la voiture jaune (immatriculée en Gironde) de son amant, accompagnées d’un nuage de fumée de cigarette. Lui, Boris, commence comme ça : « Ou alors on prend une chambre à l’Ibis et je vais directement te sauter… Je préfèrerais».

C’est un entrepreneur dont on apprendra par la suite que les affaires vont mal, il est marié, et tellement peu délicat qu’il a choisi le restaurant où il emmène Andréa, sur les recommandations de sa femme, « parce que c’est bon », et qu’il a fait « l’effort » de lui consacrer un repas.

Accidentellement ils vont finir par passer la soirée avec la meilleure amie de sa femme à lui, Boris, accompagnée de son mari, et de sa belle-mère (la vieille maman de son mari).

La situation est gênante, mais elle est inextricable. Andréa ne peut pas bouger, sa relation avec Boris est une impasse, elle le sait, mais elle n’a aucun levier d’action, rien qui puisse faire tout exploser. Rien  ne se passe donc mais tout tend vers une fin imminente, vers la destruction, le néant final.

La vieille dame reste  agrippée à son sac qu’elle cherche tout le temps, elle s’affale constamment dans un grand canapé comme si  elle allait y être engloutie (au grand dam de son fils qui comprend bien que c’est ce qui finira par arriver, même si, pour le moment, sa mère essaie de le taquiner), elle perd la mémoire, radote un peu.

Elle dit :

«Ce qui m’embête avec la mort, c’est que les gens continuent de vivre, comme si de rien n’était.»

Le fils (qui est un directeur juridique chez un constructeur d’hélicoptères) donne de manière très désinvolte (« Une faillite, c’est une péripétie, croyez-moi, une péripétie »), des conseils juridiques à Boris. Lui aussi, fait du sur-place, il surfe sur les incertitudes et l’ennui de la vie de couple, sur l’angoisse de la mort, sur le temps qui ne passe pas, ou alors qu’on essaie de retenir. Le vernis se craquèle parfois, mais rien de trop évident, on fait belle figure. Il dit :

« Est-ce que vous savez pourquoi on trinque ?… Parce que, dans un temps où rien ne se faisait avec modération, les gens réglaient leurs problèmes en s’empoisonnant. Donc, par précaution, quand un type t’invitait et te servait du vin, tu cognais ton gobelet contre le sien – à l’époque c’était du métal – en espérant que des gouttes virevoltent et passent de l’un à l’autre. Ensuite, vous vous regardiez dans les yeux et tu attendais qu’il boive avant toi. »

 

La plume de Yasmina Reza est à la fois féroce et très subtile, très machiavélique finalement.

 

Les décors sont autant de prouesses de mise en scène : une voiture jaune, une vraie, et les balises d’un parking. Puis on arrive dans le salon des Blum, avec un immense canapé vert pâle où la vieille dame s’assoit de guingois. Retour au restaurant autour d’une lampe et table ronde. Extérieur nuit ensuite sur la terrasse de la maison des Blum. Et Retour au parking et dans la voiture jaune. On a fait un circuit sans but, un cercle, on est revenu au même point.

Ah oui, il y a aussi la scène des toilettes où la vielle dame perd, après avoir fait un pipi bruyant, son calepin dans la cuvette des WC. Et les fesses de Boris appuyées sur le lavabo, tentant de faire l’amour avec Andréa. Personne ne finit rien, on n’arrive à rien, c’est à la fois désespérant et joué d’avance.

 

Andréa conclut : « On part avec son petit barda pour conquérir le monde. On s’imagine que l’armée avance, mais on se fane sur place. »

A l’arrière-plan, on voit des roseaux qui se penchent, et il y a des insectes qui grouillent, mordent, vibrent, criquètent. Dans la pénombre, la vie remue : ce sont des moustiques, des cigales, des grillons et, de façon lugubre, on perçoit les cris, les coassements des batraciens qui copulent.  Cette vie intestine nous accompagne à travers toute la pièce et lui confère un petit air suffocant et moite, comme dans les pièces de théâtre de Tennessee Williams.

On pense aussi aux « Désaxés », d’Arthur Miller, mais dans les étangs du bordelais…

Pour ceux et celles qui voudraient y aller, la pièce est jouée jusqu’à la fin de l’année et on trouve des places à 20 euros !

Bella Figura (de Y. Reza, Théâtre du Rond Point )
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