(Ce post est une fiction)
Question chien, j’ai toujours trouvé que le Berger Allemand était à la fois robuste, protecteur, discipliné, actif, courageux, bref sans problèmes. Ah bien entendu, il faut toujours savoir se faire respecter. Mais dans la mesure où je n’accepte pas qu’un chien partage ma couche, ni même ma chambre, et qu’il peut s’habituer à faire barrage de son corps à la porte d’entrée, tout va bien. J'aime les grands chiens, les seuls qui, à mes yeux, ont vraiment les caractéristiques des bêtes que nos aïeux ont domestiquées au néolithique.
J’en ai eu 2. D’abord Rex, un bon compagnon pour les enfants, une brave bête qui se laissait embêter, tirer les oreilles, et la queue sans broncher.
Puis Zorro, un peu plus nerveux, mais qui adorait les jeux de ballon et qu’on trouvait toujours à nous attendre sans hurler (j’allais dire sans un mot), sans faire de bêtises (pas de morsures intempestives ou d’oubli sur les sièges de cuir) si on devait le laisser dans la voiture. Je viens de le faire euthanasier, il y a quelques semaines. Il était devenu aveugle, le pauvre, et à demi paralysé. C’était bien mon meilleur ami. Il se glissait derrière moi partout et, souvent, on le voyait surgir sans bruit derrière un arbre ou un meuble, comme une ombre. Toujours content, quoiqu’il arrive. On faisait de longues promenades boueuses en forêt, moi botté jusqu’aux genoux et lui crotté jusqu’aux oreilles. C’est lui qui m’a accompagné aux champignons, au ramassage des châtaignes à la saison, et dans les longues marches que je me suis progressivement imposées pour faire un peu d’exercice, arrivé à l’âge de la retraite, il y a maintenant quelques années.
J’ai eu un chien à chaque étape de ma vie quand j’y repense. Rex, c’était mon premier mariage, et la vie de famille avec Annette. Nous avons eu trois enfants, des garçons, le temps coule à toute allure, ils voguent à présent vers la cinquantaine. On a divorcé, je ne sais plus bien quand exactement, mais c’était, voyons, oui, c’était il y a 37 ans, en automne, à la rentrée des classes, le plus grand rentrait en 4ème. Franchement ce divorce a été douloureux, pour moi. Les enfants avaient grandi mais pas un n’était encore autonome. Et surtout, je n’ai pas compris….Annette, je l’avais rencontrée en fac de médecine, et, comme moi, elle avait choisi de laisser tomber ses ambitions après la première année. Elle s’est tournée vers la psycho, et moi la kiné.
Je suis un manuel, ça me convenait bien la kiné, et je suis tactile, comme on dit maintenant. Elle, par contre, n’a jamais voulu s’engager réellement dans la psycho. Il aurait fallu lui ouvrir un cabinet, ou alors travailler en institution et on a eu nos trois enfants dans la foulée. J’étais d’accord pour qu’elle s’en occupe. J’ai un peu galéré pour avoir ma clientèle car je me suis installé assez vite. Et je faisais des horaires infinis, de quoi leur offrir à tous une jolie maison en banlieue parisienne, maison que j’ai mis 20 ans à payer. J’étais heureux de la voir tranquille et sereine. J’avais même engagé une femme de ménage parce que j’estimais qu’elle ne devait pas se transformer en Cendrillon. Et le voisin servait de jardinier. Annette embellissait de jour en jour. Elle avait eu une enfance timide et réservée et peu à peu, je constatais qu’elle prenait de l’assurance, elle s’épanouissait.
L’été on partait à la mer, dans la maison familiale en Bretagne. Rien de plus commun. Il y avait les étés pluvieux, et les étés lumineux mais on sortait le bateau à chaque fois. Les garçons s’y sont tous essayé, et on a pu naviguer dans de grands éclats de rire. Annette préférait lire, j’ai bien compris que ça devait être aussi des vacances pour elle, je la déchargeais donc beaucoup de toutes les tâches ménagères et du soin d’occuper les enfants.
Elle s’est intéressée au yoga, puis au bouddhisme, on a senti l’encens dans toute la maison. Ma princesse semblait de plus en plus apaisée et sûre d’elle. Et cela ne pouvait que me réjouir.
Je rouspétais un peu, il faut l’avouer, quand je devais acheter des chemises neuves parce qu’elle avait oublié de ramener les miennes de la blanchisserie. Je possède une centaine de chemises, et malgré tout, elle ne pensait pas à les retirer du pressing quelquefois pendant des semaines entières. Mais enfin, c’est vrai, elle ne pouvait pas à la fois gérer la logistique nécessaire aux enfants et celle que je lui occasionnais.
Je grognais aussi quand il n’y avait plus de place pour moi sur le canapé, parce qu’elle s’y installait avec les enfants, qu’elle n’avait pas prévu de repas et que les garçons se tartinaient des chips au ketchup en buvant des cocas toute la soirée.
Et c’est à la suite d’un stage de Gi Gong qu’elle m’a annoncé qu’elle voulait divorcer. Je n’y ai pas cru de suite. Tout allait si bien dans ce ciel pur que c’était difficile à gober. Avait-elle rencontré quelqu’un d’autre ? Pas du tout. Je n’avais pas remarqué des problèmes d’ordre sexuel, elle adorait les préliminaires et moi aussi, ce n’était pas la peine de me tracasser de ce côté-là. Mais on s’interroge toujours, n’est-ce pas ?
Alors elle m’a expliqué que comme elle se sentait tellement mieux, maintenant qu’elle avait 33 ans, c’était le moment pour elle de vivre pleinement sa vie. Comment ça « vivre sa vie »? Non, elle n’avait rien du tout à me reprocher, mais c’était comme ça, elle le sentait, il lui fallait reprendre son destin en mains. Refaire sa vie en quelque sorte. Mais que pouvait-elle avoir envie de « refaire » ? .
D’ailleurs, comme elle l’avait constaté, j’avais une relation étroite avec les garçons et, en conséquence, elle me laissait les enfants. Comment ça me "laisser" les enfants ? Dans ma stupeur j’ai même demandé si elle n’en gardait pas un sur les trois, j'ai tenté de négocier. Pas du tout, elle en était certaine, tout se passerait bien, je saurais comment faire, elle me faisait entièrement confiance. J’étais abasourdi.
Nous avons revendu la maison, je lui ai laissé tout l’argent qu’elle souhaitait. Je suis resté seul avec Rex et les garçons. Nous n’avons pas rompu tous les ponts, elle voyait ses enfants de temps à autre et je me suis toujours employé à leur conserver une image franchement positive de leur maman.
Mais il n’y a pas plus séduisant qu’un papa solo. Les femmes (certaines d'entre elles du moins) possèdent des antennes, liées aux instincts maternels à coup sûr, qui leur permettent de repérer vite l’oiseau mâle qui couve, comme il peut, sa progéniture, et lance, malgré lui, des signaux de détresse.
C’est à la mort de Rex que j’ai rencontré Maria. Elle venait faire vacciner son Zorro, un chien de berger tout bébé qui lui mordillait le sac. Maria avait une chevelure rousse qui lui tombait à mi reins, et qui laissait bouche bée la plupart des passants. On était moins séduit par un visage plutôt ingrat de prime abord, mais son regard exprimait la tendresse et la douceur. Avec ses yeux noisette, humides, son petit visage penché, même si le nez était un peu proéminent, et les lèvres trop minces, elle m’a fait craquer dès la salle d’attente du vétérinaire. Elle avait vécu un amour malheureux et s’en remettait tout juste, d’où l’achat de Zorro, il y avait quelques jours.
Marialisa avait besoin de s’occuper des autres, elle travaillait comme comptable mais ça ne l’avait jamais passionnée, elle aurait bien aimé être assistante sociale. Il faut que les besoins et désirs se complètent pour qu’un couple se forme et cela survient plus souvent qu’on ne l’imagine. Je ne vais pas mentir, j’avais espéré de toutes mes forces rencontrer une femme-mère qui me seconderait vis-à-vis des enfants.
Nous avons vécu les meilleures années de notre vie ensemble. 15 ans de pur bonheur.
Zorro, les enfants, et nous : une famille exemplaire. Nous avons tout reconstruit, nous avons surtout créé un nouveau nid, douillet et stable, accueillant, ouvert, plein d’amour et de respect. Les garçons l’ont adoptée comme une maman de cœur, de celles vers qui on vient se réfugier quand on rencontre une difficulté , quand on a un chagrin, quand le ciel s’assombrit. Elle n’avait pas de solutions, mais elle savait coller des sparadraps, apaiser, consoler. Elle avait les bras toujours ouverts et l’intelligence des autres. Il y a des personnes qui rassurent presque involontairement : ce sont celles à qui on se raccroche en pensées, dans des situations perturbées ou d’incertitude. C’est l’hôtesse dans l’avion, c’est l’aide-soignante, c’est l’assistante maternelle, bref c’est pour moi plutôt une femme. Marialisa enroulait ses cheveux autour d’un crayon, elle écoutait avec ses yeux brillants, le visage à l’oblique, sans trop rien dire, patiemment, et elle réussissait à calmer les plus énervés. Elle y parvenait même avec Zorro, le tout fou, qui n’arrêtait pas de vouloir jouer, de sauter dans tous les sens, de manifester sa joie primesautière. Le chien l’adorait, il se couchait à ses pieds et la regardait avec dévotion.
Jusqu’à ce qu’elle attrape une mauvaise maladie au sein qui a tout bouleversé. Non, elle n’en est pas morte, mais curieusement, alors que nous avions été si proches, elle s’est mise tout à coup à considérer que c’est à cause de moi qu’elle avait choppé cette saleté qui allait l’entrainer au seuil du néant. J'ai découvert qu'elle s'était sacrifiée pour moi, qu'elle avait tout donné, sans compter, qu'elle avait mené une existence de recluse, pour moi et que c'était ça, à n'en pas douter, qui l'avait "complètement esquintée".
Elle m’a laissé Zorro, les enfants avaient grandi, ils étaient devenus des hommes, alors elle m’a confié le chien. Elle savait que je m’en occuperai parfaitement bien, elle me le laissait « les yeux fermés ».
Je n'ai plus voulu me remettre en ménage, je n'ai plus connu, depuis, que des "intermittentes", des femmes qui sont venues parfumer ma maison pour quelques nuits, apporter un nuage d'amour et de tendresse à ma vie de célibataire. Je ne me fiais plus à moi même, je doutais un peu de tout. J'avais mal, et en même temps, je me protégeais.
Et, après la mort de Zorro, voilà qu’Annette est venue un beau matin (près de 40 ans après notre divorce), pas du tout pour enouer quoi que ce soit mais pour me refiler amicalement son chat (j’ai horreur des chats, ce sont des animaux qui cachent de trop belles griffes), un petit sauvage à la queue rousse comme jadis la chevelure de Marialisa, pour, parait-il, « me tenir compagnie ». Elle y était absolument attachée mais elle ne pouvait plus assurer toutes les présences utiles. En réalité, elle avait rencontré un enième gourou et elle avait l'intention de voyager, l'Inde etc...Le chat l'encombrait, mais elle "y tenait" comme à la prunelle de ses yeux.
Ce n'est pas nécessaire de préciser à quel point elle me faisait confiance...Elle était tout à fait tranquille, bien entendu...Personne n'aurait pu, comme moi...en prendre soin.
Ce chat, ce petit tigre insupportable, je l’ai rebaptisé Idéfix (en raison de sa toute petite taille et en l’honneur des chiens).
Les femmes ? Voilà comment elles m'aiment, moi....
Je n'ai certainement pas tout compris.