Je veux commencer ces vœux par les réflexions que la situation actuelle m’inspire, de sorte que ces souhaits s’inscrivent dans la réalité et n’apparaissent pas hors sol. Et pour cela je vais prendre des exemples et des leçons chez nos grands penseurs de l’antiquité, dont Virgile que je considère comme le plus à même de nous indiquer le chemin.
Sunt lacrimae rerum et mentem mortalia tangunt
Il y a des larmes dans les choses et le sort des mortels touche le cœur.
(VIRGILE, Énéide, liv. I, v. 462)
Énée, fugitif, a été poussé par la tempête sur les côtes d’Afrique, aux lieux mêmes où s’élève Carthage. Dans un temple que Didon a consacré à la reine des dieux, un spectacle inattendu frappe les regards du héros : il voit représentés, dans l’ordre, les combats et les personnages de la guerre de Troie, une horrible défaite. On dit qu’il ne restait dans la ville incendiée et pillée, pas âme qui vive, pas un chien, pas un chat qui n’ait été tué comme le reste de la population.
Le monde, en, ce début 2025, ressemble à Troie assiégée, juste avant le pillage. Nous savons ce qu’il va advenir, nous voyons la catastrophe s’approcher, nous comprenons que le monde est comme Rome, à l’époque d’Enée, un lieu chaotique, bruyant, sale et peuplé de personnages louches qui envahissent les espaces médiatiques et les scènes du pouvoir.
Nous aurions bien besoin qu’Hélène verse pour nous le népenthès, le breuvage de l’oubli. « Celui qui boit une coupe pleine de ce vin ne peut verser une seule larme pendant tout le jour, quand il verrait mourir sa mère ou son père, ou quand même on égorgerait sous ses yeux son frère ou son fils bien-aimé. » (Homère Odyssée IV, 219)
Car si le pouvoir rétrospectif de la mémoire ne sert à rien, ne retranche rien au réel, ne condamne ni ne valorise rien, ne permet pas le recommencement, il ne sert pas plus à distinguer l’avenir, et surtout à prévenir le carnage. La mémoire ne fait qu’ajouter des larmes au monde. C’est un pouvoir trompeur.
Ce qui est constant, c’est que nous avons besoin de croire en quelque chose et surtout peut-être en quelqu’un. Car après tant de larmes, la saison de la iustissima tellus (Virgile Georgiques., II, 460) devrait arriver, l’aube d’un monde enfin dominé par la Justice finir par se lever. Dès lors, l’Ordre, la Loi et la Paix gouverneraient à jamais la vie des hommes, destinés à savourer les fruits délicieux de la vie en toute solidarité et communion.
Et cette perspective se dessine peu à peu dans « les étoiles […que l’on voit] glisser du haut en bas du ciel et, à travers l’ombre de la nuit, de longues traînées de flammes blanchir derrière elles » (Georgiques., I, 365-3676).
Dans la vie, soit nous détruisons en faisant semblant de construire, afin de pouvoir attendre. Comme Pénélope. Soit nous détruisons tout simplement, pour n’avoir plus rien à attendre. Comme Virgile.
« Nous nous démenons toute la vie en quête du quoi, du que faire. Défaits, nous ne prêtons presque jamais attention au comment. Nous croyons naïvement que le cours de l’existence est déterminé par la gamme infinie des choix qui se présentent à nous. Que faire de nous, des autres, des études, de l’amour, de la politique, du monde, jusqu’à la lune et au-delà. » (Andrea Marcolongo, L’Art de résister)
Voilà donc mes vœux de début d’année : Résister d’abord, tenir la douleur entre parenthèses, faire tout ce qu’on peut pour se relever quand on mord la poussière, fixer la beauté comme son horizon, éclairer le chemin pour les autres, transmettre, essayer de croire.
Je ne peux pas faire comme si….je ne souhaite que ce que l’on peut gagner.
Vivite felices, quibus est fortuna peracta
iam sua : nos alia ex aliis in fata vocamur.
Vobis parta quies.
Vivez, soyez heureux ; votre fortune à vous s’est accomplie,
désormais : mais nous, nous sommes appelés de destin en destin.
À vous, le repos a été accordé.
(Eneide., III, 493-495)