Tchekhov a 36 ans quand il écrit cette pièce. Il est un écrivain reconnu, il a déjà beaucoup publié. Rappelons qu’il est médecin et qu’il est si sensible à la misère humaine qu’il consulte très souvent gratuitement.
Il a déjà beaucoup voyagé, en Europe et dans la lointaine Sibérie où il semble qu’il ait contracté la tuberculose qui l’emportera à 44 ans. En 1895-96, il séjourne dans une propriété familiale à 70 km au sud de de Moscou, là où il écrit La Mouette. Par la suite, il tentera de se soigner en Crimée où le temps est meilleur.
La pièce a été maintes fois représentée en France et certainement dans le monde occidental, mais ses premières représentations ont fait flop à Moscou.
La Mouette, de quoi est-il question ?
On est en Russie, au XIXe siècle, au bord d'un « lac enchanté », dans le parc d’une maison de campagne, où habite Piotr Nikolaïévitch Sorine, un ancien haut fonctionnaire au service de la Justice, dont la santé décline.
Avec lui :
- son neveu, Konstantin Gavrilovitch Tréplev, dit Kostia, qui est âgé de vingt-cinq ans et qui voudrait se lancer comme dramaturge ;
- Ilia Afanasiévitch Chamraïev, qui est l'intendant du domaine ;
- sa femme, Paulina ;
- sa fille, Macha, qui est toujours vêtue de noir (« Je suis en deuil de ma vie. »), alcoolique et déprimée, parce qu'elle aime désespérément Kostia Tréplev.
Sont aussi dans la maison :
- Evguéni Serguéevitch Dorn, médecin à la retraite, plein d'humour, qui veille sur la santé de cette petite société ;
- l’instituteur Sémion Sémionovitch Medvédenko, un brave homme d'esprit révolutionnaire, qui est amoureux de Macha, et qui se plaint sans cesse d’être mal payé, et donc mal considéré ;
- Nina Zaretchnaïa, la jeune fille d'un riche propriétaire terrien voisin, dont Tréplev est amoureux. Nina, nous l’apprendrons au fur et à mesure, va tomber amoureuse de l’amant d’Irina Nikolaïevna Arkadina, une actrice qui a eu son heure de gloire mais qui refuse de vieillir et qui est la mère de Kostia. Cette actrice vient voir son frère Piotr Nikolaïévitch Sorine, en compagnie de son amant, un dramaturge en vogue, assez imbu de lui-même, Boris Alexéïevitch Trigorine.
Juste après avoir posé la liste des personnages, on est, je dirais comme d’habitude avec Tchkehov, très vite perdu. D’abord, il y a les prénoms, qui contribuent à l’égarement : les personnages ont plusieurs prénoms et surtout plusieurs diminutifs, ce n’est pas très facile, si on ne connait pas la pièce, de s’y repérer.
Ensuite, dans cette pièce, il y a une abondance de jeux de miroirs.
Il y a deux écrivains, l’un jeune, l’autre déjà largement reconnu, qui se répondent dans l’ambition d’exister pour l’Histoire. Mais il y a aussi deux actrices, l’une jeune, Nina, qui espère aussi se faire un nom, l’autre plus mature qui ne veut pas renoncer à son audience.
Et puis il y a les amours contrariées de chacun.
Nina aime Trigorine, qui se laisse aimer par Irina, la mère de Kostia, qui lui, aime Nina à la folie. Macha aime Kostia et est aimée par l’instituteur Medvedenko.
Enfin, et c’est constant dans les pièces de Tchékhov, les personnages n’avouent que très rarement leurs émotions et leurs sentiments. Il faut les deviner à la lumière de ce qu’ils disent entre eux et qui est souvent anodin ou empreint de la plus conventionnelle des politesses, indispensable aux échanges sociaux, du moins dans la bourgeoisie.
Il faut, à mon avis, scruter les visages des acteurs et ainsi « entrer » dans la pièce comme si nous en étions les participants muets. Le théâtre de Tchékhov est toujours d’une grande subtilité, ce qui fait que l’on peut passer facilement à côté d’une réaction, surtout lorsqu’il s’agit d’une vexation, d’une rebuffade, d’un emportement soudain. Il faut décoder, à travers la psychologie de chacun, quel effet produira telle ou telle remarque, jamais exprimée formellement.
Par exemple, lorsque Kostia fait jouer sa pièce (il y a un théâtre dans le théâtre, encore une mise en abîme, encore un jeu de miroir), sa mère fait deux ou trois petites remarques dépréciatives qui fâchent Kostia. Car Kostia est encore peu sûr de lui et il est constamment à la recherche de l’approbation de sa mère, si bien que le moindre soupir prend d'immenses proportions.
On sait aussi que Kostia est terriblement amoureux de Nina, mais peut-être n’imagine-t-on pas que c’est au point de se suicider ?
S’agissant de la mise en scène de Stéphane Braunschweig
Le décor est vraiment minimaliste : on commence devant un mur, juste en front de scène. Et par la suite, il y a du sable, des gros cailloux, on est au bord d’un lac, ou sûrement au fond d’un lac asséché ?
Les mouettes descendent d’un seul coup, plein de mouettes empaillées et elles resteront là jusqu’à la fin.
Moi, je pense que, même réduit, le décor fonctionne et que les mouettes qui remplissent le ciel et font écho à la mouette tuée par Kostia et apportée de manière prémonitoire à Nina, sont les présages très présents de la tragédie à venir.
En revanche, je ne comprends pas bien les costumes volontairement ordinaires et qui ne permettent pas de distinguer chacun des personnages. Il me semble qu’on aurait gagné à mieux caractériser les costumes des bourgeois de province, même désargentés, par rapport aux tenues mondaines des gens du spectacle et qu’il aurait été judicieux de ne pas les affadir tous dans des tenues passe-partout.
Enfin, je ne voyais le personnage de Nina comme il a été joué: par une actrice un peu lourdaude. Pour moi, c’est une sorte de Bimbo, très calculatrice et ambitieuse, qui devient la victime de son jeu, car elle manque de sincérité.
Bon point par contre à l'instituteur qui n'arrête pas de se plaindre de son salaire et qui est joué par Jean-Baptiste Anoumon.
Mais bon, je ne connais peut-être pas encore assez Tchekhov, quoique ce soit mon écrivain russe préféré, que j’admire au-delà de tout.