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La Vegetariana (Théâtre d'après le livre de Han Kang, la Végétarienne) Odeon, Ateliers Berthier

La Vegetariana (Théâtre d'après le livre de Han Kang, la Végétarienne) Odeon, Ateliers Berthier

Han Kang, c’est l’autrice qui a reçu le prix Nobel de Littérature 2024. Et j’ai feuilleté ce roman intitulé « La Végétarienne » (en français) parce que je ne connaissais pas (encore) Han Kang. C’est pourtant son roman le plus célèbre, qui a obtenu, assez longtemps après sa parution en 2016 (c'est long depuis la Corée, elle avait fait paraitre ce livre en 2007! ), le Booker Price.

Il est ici question d’une femme « ordinaire » comme le dit son mari, une femme sans qualités en quelque sorte, « Ni grande ni petite, des cheveux ni longs ni courts, une peau jaunâtre qui desquamait, des paupières lourdes, des pommettes un peu saillantes et une tenue aux couleurs ternes qui semblait dénoter un souci de fuir toute marque d’originalité ».

Cette femme arrête de manger de la viande, puis elle devient totalement végétarienne, puis encore végétalienne, puis se prend pour un arbre, ne boit plus que de l’eau et elle finit à l’hôpital psychiatrique. Voilà toute l’action, voila la trame de ce livre. Rien de bien exaltant. On comprend que cette femme qui sombre dans la folie, n’a en principe rien de bien joyeux à raconter. D’ailleurs justement, elle ne « raconte » rien, on ne sait pas pourquoi elle devient végétarienne, ni l’objet de sa folie, ni ce qui l’a déclenchée.

D‘ailleurs cette femme qui s’appelle Yŏnghye, ne parle pas directement dans le roman et aussi dans la pièce. Yŏnghye est « racontée » par d’autres. D’abord par son mari, puis par son beau-frère, puis par sa sœur, mariée avec ledit beau-frère. Yŏnghye n’est pas du tout épargnée par son entourage, bien au contraire.

Elle est décrite par son mari, comme si elle était absente d'elle-même, déjà bien avant sa maladie  :

« Elle était étonnamment dépourvue de curiosité, ce qui lui permettait sans doute de garder son flegme dans n’importe quelle situation. Elle n’explorait pas les nouveaux espaces qui s’offraient à elle, n’exprimait aucun des sentiments qui auraient pu être considérés comme naturels. Elle se contentait, semblait-il, d’être la spectatrice de tout ce qui lui arrivait. Ou peut-être se passait-il en elle des choses si horribles que personne ne pouvait les soupçonner, leur existence parallèle au quotidien étant si insoutenable qu’elle ne lui laissait plus assez d’énergie pour s’intéresser, découvrir ou réagir. »

Son mari déteste la maladie dans laquelle elle s’enfonce parce qu’elle ne peut plus (ou ne veut plus ?) lui repasser ses chemises, ni lui cuisiner de bons petits plats, ni même continuer à avoir des relations sexuelles. Yŏnghye, qui a d’abord jeté toutes les viandes du frigo, ne veut plus s’approcher de son mari, car elle lui dit qu’il sent « la chair ». Le mari divorce rapidement.

Le père de Yŏnghye trouve insupportable que sa fille s’astreigne à ne plus manger de viande. Il lui dit que c’est une insulte à la culture familiale et aux traditions du pays. Il y a une scène très violente où elle se fait gifler par son père qui lui enfourne un morceau de viande dans la bouche par la force. Elle en vomit du sang.

Et, il y a le beau-frère, un artiste plasticien de la photographie qui fantasme sur Yŏnghye et qui finira par la violer, après lui avoir fait prendre des poses pornographiques avec un collègue et ami. Ce n’est pas l’affaire de Mazan quand même (!!!!) parce que Yŏnghye semble consciente- , mais c’est également un abus sur une personne vulnérable et malade mentale. 

La 3ᵉ partie du livre est racontée par la sœur cadette de Yŏnghye, qui la fait interner:  Yŏnghye se prend maintenant totalement pour un végétal, qui n’a plus besoin que de soleil et d’eau pour vivre.

Voilà à peu près pour l’histoire.
La metteure en scène, c'est Daria Deflorian, qui est italienne, et qui a donc utilisé une traduction en italien. À vrai dire, même si on retrouve des mots, des phrases et surtout l’atmosphère de Han Kang, il y a eu un travail sur le phrasé, et bien entendu, une adaptation du texte pour les besoins du théâtre, texte joué en italien surtitré. Daria Deflorian a choisi de séquencer les différentes scènes comme on le ferait au cinéma, en usant de didascalies affichées sur une vignette. (extérieur, nuit, intérieur, cuisine…)

La scène est très vide, le décor misérabiliste, avec des murs pisseux et un mobilier sommaire, pour représenter les différentes pièces de la maison : salon, cuisine, salle de bains et chambre.

Il y a d’indéniables trouvailles de mise en scène, comme le lit dressé à la verticale, que les spectateurs visualisent donc comme s’ils étaient en surplomb.  

La scène de peinture du corps de Yŏnghye, est effectuée par le biais d’une projection où les taches de couleur peuvent s’inscrire sans toucher le corps de l’actrice. Etc…

Il y a beaucoup de monologues pour montrer à la fois qu’il s’agit d’un langage poétique et non de dialogues, et pour mieux entrer dans le schéma mental des protagonistes.

Finalement, même sans explications, on comprend que l’attitude de Yŏnghye est le résultat d’une rébellion. Cette femme a reconnu toute la violence qu’elle portait en elle (et qui est celle de la vie, du monde, des gens, des êtres humains vivants) et elle cherche à s’en débarrasser parce que c’est devenu insupportable. Son refus de manger, d’abord tout produit animal, puis tout produit tout court, est certainement pour elle, un moyen de s’extraire, de s’isoler, de se protéger .

Ce n’est pas une pièce « féministe », étant donné la bêtise et l’absence de discernement des hommes (qui ne semblent pas être dénoncées) , encore que la metteure en scène ait tenté de rendre plus tolérables leurs comportements, en leur conférant moins de veulerie que ce qu’il apparait dans le livre. 

Je ne connais pas la société coréenne et j’ai donc du mal à juger comment ce livre s’insère dans son contexte. Par intuition, je me dis que la société coréenne n’est pas la plus encline à la complaisance envers les femmes, surtout lorsque celles-ci se rebellent, il ne doit pas y avoir beaucoup de compréhension. Mais c’est peut-être un préjugé.

Quoi qu’il en soit Han Kang, elle, l’autrice du roman, a été placée longtemps sur une liste noire, censée permettre aux autorités de surveiller les artistes hostiles au gouvernement et de les priver de subventions, en raison de leurs supposées idées communistes. Elle sait ce que c'est la rébellion, même si, aujourd'hui, elle reste très neutre sur les sujets politiques.

 

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