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La Vie d'une vache Juan Pablo Meneses (Ed MARCHIALY 2022)

La Vie d'une vache Juan Pablo Meneses (Ed MARCHIALY 2022)

C’est le 1er volet d’une trilogie, et il s’agit d’une enquête sous différentes formes, destinée à nous mettre face à nos contradictions, nous qui vivons dans des sociétés de grande consommation où tout semble pouvoir s’acheter pour qui en a les moyens.

Le journaliste qu’est Juan Pablo Meneses pratique un journalisme semblable à celui de Günter Wallraff en son temps, un journalisme d’infiltration, de manière à approcher concrètement les points de vue de ceux qui sont marginalisés ou en situation de minorité. C’est ainsi que Gunther Walraff avait choisi de passer plusieurs mois dans la peau d’un Turc en Allemagne, ouvrier sur les chantiers de construction, ou encore dans la peau d’un SDF, bref, comme le disait le titre de son dernier livre, « Parmi les perdants du meilleur des mondes ».

Juan Pablo Meneses ne se déguise pas, ne prend pas la peau d’un autre, ne vit pas parmi les exclus, mais il décide d’acheter une vache, dans un pays, l’Argentine, qui a le culte de la viande poussé au point où, même pendant la Crise de 2000, le pays manquait de tout, mais n’avait pas arrêté sa consommation de viande. Les gens étaient religieusement attablés devant un « asado », après des manifestations monstres contre la faim et la misère.

Pour avoir un peu visité ce grand pays, je sais que la viande n’y est pas seulement une industrie ou un folklore (les gauchos avec leurs lassos !!) mais une vraie culture inséparable de l’histoire du pays. Importées par les Espagnols (on s’imagine les pauvres vaches ibères traversant pendant de longs mois tout l’océan Atlantique !), les vaches y ont tellement trouvé de quoi y prospérer qu’elles en sont devenues des « nuisibles » (oui, je sais le mot me déplait à moi aussi, car il n’y a pas d’animaux nuisibles dans la nature), dont il fallait limiter le nombre.

L’enquête que mène Juan Pablo Meneses dans ce livre est tout à fait passionnante. À partir de l’achat de sa vache, nommée La Negra, qui est justement noire avec des taches blanches au ventre, il raconte la vie d’une vache, depuis sa naissance jusqu’à sa fin. Enfin sa vie ? On pourrait aussi dire son long calvaire, car la vie d’une vache ressemble tout à fait à une succession de souffrances jusqu’au sacrifice final.

Mais attention, il ne s’agit pas à priori de lire une longue lamentation ethno-centrée sur la souffrance animale, ce livre n’aurait pas eu tellement d’intérêt si le but avait été seulement un plaidoyer pour le véganisme. Non, l’auteur, quoiqu’ayant connu la vie d’une végane de ses amies, ne part pas du principe qu’il aurait acheté une vache pour « la sauver ». On comprend bien le ridicule d’un tel projet quand on sait ou qu’on devine qu’il y a des millions de vaches qui sont tuées chaque jour dans le monde pour la consommation humaine. Non, non, le but de ce livre, c'est bien de montrer ce qu’une société fondée sur la consommation entraine, à la fois en positif et en négatif.

En « positif » si l’on veut, on se prend de vertige quand on pense à ce que l’élevage des vaches entraine comme activité économique. C’est d’abord l’Université et les chercheurs qui travaillent sur le génie génétique et sur l’amélioration (j’aurais dû mettre des guillemets d’ailleurs à ce mot, tellement on se demande s’il s’agit bien d’une amélioration véritable) des races de bovidés. Ensuite, il y a l’organisation de la filière, depuis l’activité vétérinaire de mise bas et de maintien en santé des animaux, en passant par les laboratoires qui fabriquent les vaccins et autres antibiotiques et en poursuivant avec l’aménagement des pâtures, l’activité fermière d’élevage de grande dimension, les transports des bêtes, les différents métiers de la vente sur pied, en gros et en détail, l’abattage, la commercialisation par la conserve et la chaine du froid, l’acheminement vers les lieux de distribution, l’exportation… etc… Ce sont des milliers, des millions d’emplois !

En négatif, mais qui pèse si peu, et c’est pourtant le point de vue du journaliste, il y a la vie de la vache. Une succession d’atrocités. Et encore, il s’agit d’un pays qui pratique l’élevage extensif. Les bêtes ont encore la possibilité de se reproduire sans insémination, de mettre bas seules, de conserver quelque temps les veaux auprès d’elles (car ce ne sont pas des laitières). Mais tout est calculé au plus juste. Le sevrage est brutalement réalisé à une date fixée parce que la vache consommerait trop d’herbe si on lui laissait le veau plus longtemps. Et pour faire « accepter » le sevrage, on maintient les veaux à la diète pendant 2 ou 3 jours, de telle sorte qu’ils se résignent à l’herbe le plus vite possible.

Je ne raconte pas tout, mais ce livre est à la fois juste, rigoureux et agréable à lire. Juan Pablo Meneses nous parle aussi de la culture du pays, du fait qu’il est chilien et que les Chiliens ne sont pas extrêmement bien vus en Argentine, car ils ont pris parti pour les Anglais pendant la guerre des Malouines, il nous dévoile aussi sa vie, le quotidien des gens, les relations entre ceux qui vivent dans la pampa (La Plata) et les autres, les Portègnes (les habitants de Buenos Aires, soit un Argentin sur 3), ou encore les tensions avec les Uruguayens, qui sont nombreux à avoir émigré en Argentine.  

Bref, c’est tout un pays qui est ici décrit, en dehors des clichés (ah le tango !) et en tenant compte de la vérité de son enquête sur l’industrie de la viande.

Ce livre est le premier d’une trilogie où Juan Pablo Meneses s’est fixé pour but de révéler comment, après la viande, le marché s’est organisé pour « acheter » des enfants et les transformer en rois de football, puis quels sont les ressorts d’une autre industrie qui marche très bien, et qui est le commerce de la religiosité. Dans le 3ème volume, Juan Pablo Meneses a acheté un dieu en Inde et compte bien le « vendre » à de nombreux nouveaux adeptes en Amérique du Nord. (le Canada je crois).

J’ai adoré le projet de ce journaliste qui renouvelle le genre et je lirai, sans faute, les deux autres enquêtes qui suivent celle-là.  Ce n'était pas le but du livre, mais tout de même, je crois que l'industrie de la viande m'a dégoutée de la viande.

Voilà un extrait du livre que j'aime bien:

"La cruauté que subit une vache tout au long de sa vie est presque la même que celle qui transforme et déforme les comportements humains.

Penser aux vaches du futur peut se révéler aussi alarmant qu’imaginer un avenir humain basé sur l’hyperproduction et la sempiternelle réduction des coûts. Mais cela peut également sembler trop tard, particulièrement pour ceux qui savent que le futur en question est déjà là. L’un de ceux-là est Peter Singer, l’auteur du livre Libération animale. Il y aborde l’existence du « spécisme », une sorte de racisme de l’homme contre les animaux. Le racisme de ceux qui font des barbecues, qui prennent des photos des grillades et célèbrent les commentaires générés par cette image de leur table avec un plateau couvert de viande saignante ou à point, en tranches fines ou plus épaisse, avec plus ou moins de graisse, divers morceaux d’un même animal, tout barbecue devient une image partagée avec émotion, et la scène tout entière, ce folklore de veste en cuir, n’est autre finalement qu’une émotion suprématiste. Une discrimination qui se fonde sur l’idée de la supériorité de l’homme. Et cela nous prévient, nous qui mangeons de la viande, qu’un sombre futur nous attend, lorsque nous serons vus comme les cruels habitants d’un monde où l’on mangeait des agneaux, des porcs et des vaches. Parmi elles, peut-être, La Negra."

 

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