Il faut bien être folle ou maso ou passionnée pour aller, un jeudi soir du méga pont de l’Ascension, jusqu’à Nanterre, c’est-à-dire le bout du monde, voir une pièce de Molière, mais jouée en italien par une troupe napolitaine !
Je dois être tout ça à la fois et je confesse que j’ai adoré. Bellorini, illustre directeur autrefois du théâtre Gérard Philipe à Saint Denis, aujourd’hui passé à Villeurbanne -toujours des banlieues, toujours des théâtres très cultureux- a souhaité apporter une lumière italienne à l’esprit de Molière, car il n’est jamais anodin de traduire quoi que ce soit dans une autre langue. D’autant que le Tartuffe de Molière est écrit en alexandrins, ce qui présente des risques supplémentaires, surtout à l’égard d’un public qui, nécessairement, recherche le coup d’œil triangulaire sur une pièce qu’il connait déjà parfaitement.
Sans rien changer au texte initial, la mise en scène et les interprétations des acteurs, placés dans un environnement qui n’est plus la bourgeoisie du XVII° siècle, mais une famille cossue du Sud, offrent de nouvelles résonances qui ne manquent pas de sel.
Bellorini a choisi le décor d’une grande cuisine où se croisent servantes, visiteurs et maîtres de maison, dans un contexte années 50, et où Orgon, entiché de Tartuffe, aurait eu comme ambition de se servir de son protégé pour régner sur sa maisonnée. Car de la servante au beau-frère, de la seconde épouse à la mère, tous, mesurent et globalement, redoutent, l’influence de Tartuffe sur l’esprit faible et la personnalité entêtée d’Orgon.
C’est que tous ou presque voient ce qu’Orgon ne veut pas même imaginer. Dorine, la servante, nous révèle très vite à quel point Orgon est manipulé et à quels excès de tendresse il se livre pour tout ce qui touche son protégé/ imposteur. En italien, « Poverino » remplace avantageusement l’exclamation : « le pauvre homme », et c’est le même comique de répétition.
Les astuces de mise en scène que j’ai bien aimées :
Toute la pièce se déroule sous l’œil narquois d’un Christ géant (et bien portant) qui descend de sa croix et ricane dans un coin. D’ailleurs, la fin qui est normalement celle où le Roi (Louis XIV) vient trancher le litige auprès du notaire, en faisant valoir non pas la régularité juridique, mais la question de la tromperie ayant altéré le discernement et rendu l’acte de donation caduc, est remplacée par l’intervention du Christ, plus conforme aux repères italiens.
Le seul acteur français de la troupe est un habitué des scènes de Bellorini mais je trouve que dans le rôle de Valère, il a l’air un peu niais, ce qui est une interprétation que j’aurais plutôt attribuée à Mariane, mais chacun son point de vue. Le texte de Molière apparaissait en surtitre. C’était vraiment sympa.
À Nanterre, le théâtre des Amandiers est en travaux et c’est dans une salle éphémère que la pièce était donnée.
Cela reste un lieu tellement mythique dans l’histoire du théâtre ( c’était celui de Chéreau et des grandes heures du théâtre populaire) que franchement, je n’ai pas regretté la traversée de tout Paris, un soir où la ville s’était vidée de presque tous ses habitants, pont de l’Ascension oblige !
Les représentations n'étaient organisées que sur la semaine, mais peut-être qu'il y aura des tournées en France?
Mise en scène, scénographie et lumière Jean Bellorini Avec la troupe du Teatro di Napoli - Teatro Nazionale
Federico Vanni Gigio Alberti Teresa Saponangelo Betti Pedrazzi Ruggero Dondi Daria D’Antonio
Angela De Matteo Francesca De Nicolais Luca Iervolino Giampiero Schiano