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La candidate (fiction)

La candidate (fiction)

Cela faisait vraiment longtemps que j’étais sans emploi. D’abord j’avais choisi d’élever mon fils dans ses premières années. Puis il y avait eu cette fichue épidémie qui nous avait tous plongés dans la récession et la plus profonde des crises sociales. Et maintenant je savais que pour une femme de 50 ans, retrouver du boulot, ce n’était pas gagné, même sous payée, même sous employée, même surexploitée, même loin de chez moi, même avec des horaires décalés, bref, même en acceptant toutes les contraintes. Je savais que j’aurais beaucoup de mal à ce qu’on me donne ma chance et un emploi. Oh même pas un CDI, mais ne serait ce qu’un CDD, ce serait archi-difficile.

Autour de moi on me disait : « Mais pourquoi tu veux retravailler ? T’as l’argent du chômage et la CAF pour ton logement, t’as des aides que tu vas perdre, ça va te coûter plus cher de bosser que de rester à la maison ! ».  Et c’était vrai. Sans aller dans les détails, je me débrouillais bien avec le peu que j’avais. Surtout parce que mon fils était encore jeune et que j’avais divorcé. A condition de n’avoir pas besoin de faire du shopping, à condition de ne jamais aller au resto ou au ciné, à condition de ne pas avoir de moyen de locomotion autre que les transports en commun, bref sans cash, j’avais une vie qui pouvait même être qualifiée d’agréable. Alors pourquoi rechercher du travail ? Pas pour la retraite en tous les cas, car de retraite je n’aurais jamais rien. Le minimum vieillesse, c’est ce dont je disposais à peu près aujourd’hui, donc je ne perdrais pas grand-chose.

Non je voulais retravailler, ne riez pas, ne vous moquez pas, pour « ma dignité ». Même pas pour être utile à la société car cela faisait bien longtemps que j’avais abandonné cet espoir. Pour ma DI GNI TE ! pour être digne, quoi ! , pour me respecter, pour me regarder dans la glace, pour être fière de moi, pour que mon fils le soit aussi. Ni pour l’argent, ni pour la sécurité, ni pour l’utilité économique. Je me demande si ceux qui décident de tout ça, là-haut, ont bien compris que les aides pour rester à la maison, ça ne remplace pas, ça ne remplacera jamais la fierté qu’on peut éprouver en allant tous les jours travailler. C’est un commandement biblique, mais ça on s’en fiche, parce que c’est aussi une volonté personnelle, une élégance, un honneur. Je vais travailler donc j’existe. Je gagne ma vie, personne ne me donne de quoi subvenir à mes besoins, je suis courageuse, j’ai de l’énergie, de la personnalité, du caractère même, je ne suis pas assistée, comme ils disent, je TRAVAILLE. C’est un mot magique !  Ils ont coupé dans les indemnités chômage mais c’est pas ça qui m’aurait décidée à sortir de chez moi. De toutes les façons, j’aurais eu assez pour vivoter, comme je le fais depuis longtemps.

Je n’ai jamais eu confiance en moi, c’est certainement un handicap pour se vendre, sur « le marché du travail » comme ils disent. J’ai déposé plein de CV mais la plupart des employeurs ne les lisent même pas. EPAHD, hôpitaux, administrations, commerçants…partout j’ai déposé des CV, des lettres d’intention, des fiches de motivation, des déclarations, des propositions etcc. Jamais aucune réponse. Personne ne vous dit pourquoi vous n’êtes pas conviée à un banal entretien. Rien, que dalle, zéro, pas le moindre mot, pas de merci, pas d’accusé de réception même. Alors, et c’est la seule démarche que j’entreprends, j’envoie un message ou je téléphone pour préciser que si le poste a déjà été pourvu par quelqu’un d’autre, je souhaite qu’on conserve mon CV pour une prochaine fois, on ne sait jamais. Je suis tellement rodée au silence qu’il m’arrive parfois de suggérer le rejet avant même que les candidatures aient pu être matériellement reçues.

C’est ce qui est arrivé cette fois-ci. J’ai postulé pour un emploi de bureau, un emploi de gratte papiers, puisque j’avais reçu la bonne formation…sauf que c'était il y a des siècles, et que j’ai tout oublié, tout perdu,. La formation c’est sûr, je l’avais bien suivie et j’avais décroché le diplôme. De secrétaire, enfin j’avais la qualification. Autrefois…Autant dire que mon diplôme n’a plus aucune valeur, surtout que je n’ai jamais pu trouver un emploi correspondant. Et là, cette fois-ci, bingo ! « ON » RÉPOND A MA RELANCE. J’ai cru que j’allais m’évanouir. La dame me fixe un RV téléphonique !!!! J’ai l’impression d’une oasis dans le désert. Sauf que c'est beaucoup d'émotions! Heureusement elle ne me voit pas, je suis complètement paniquée, je pense que j’ai des plaques rouges dans le cou. Mais j’arrive à lui répondre. Bref, je passe vite, elle doit être suffisamment convaincue car j’ai droit aussi à un entretien en présentiel.

J’ai passé tout le weekend à refaire ma couleur que bien entendu j’ai raté dans un premier temps. Faut que je sois impeccable. J’ai un ensemble noir et blanc très prout prout, je crois que ça va le faire.

Pas de talons, de toutes façons je n’en ai pas, mais c’est pas mal avec des baskets, ça fait jeune.

Je stresse tellement de ne pas être à l’heure (on ne sait jamais avec les transports en commun) que j’arrive avec une bonne heure d’avance. C’est pas grave si je ne suis pas retenue, c’est déjà bien d’avoir eu le droit à un entretien. S’il y en a eu un c’est que c’est possible et qu’il y en aura d’autres.

Me voilà dans la salle d’attente à grattouiller mon sac en attendant qu’on m’appelle. Je ne suis pas seule, la salle d’attente est pleine de filles. Toutes plus jeunes que moi, c’est évident. Ils ne me prendront jamais, j’ai déjà perdu, je le sens. Bah, tant pis, ça n’entamera pas ma détermination.

Deux femmes me font entrer dans un bureau attenant à celui du grand chef. La Secrétaire de direction sélectionne elle-même les candidates. Elle est assise derrière un grand bureau, mais elle me fait signe de prendre place autour d’une table basse. Et « Elle » contourne son grand bureau pour venir à mes côtés.

Elle n’est pas très grande, mais son allure, sa prestance, sa présence me laissent sans voix. Je suis sidérée. Médusée. Scotchée. Fascinée.

La Secrétaire de Direction est ….comment dire ? Une bombe n’est pas le mot. Phénoménale. Elle doit avoir dans mes âges, la cinquantaine. Mais physiquement, c’est le jour et la nuit. Moi je suis plutôt discrète et timide. « Elle » c’est vraiment une femme qui en impose. Blonde peroxydée. Moulée dans un pantalon blanc, sur une veste cintrée. Talons de 12 cm. Aiguilles bien sûr. Je remarque tout de suite les petits diamants qui brillent sur les escarpins. Cloués sur les brides arrière, des « diamants », enfin des brillants artificiels, mais ce qui compte c’est que ça en jette !

Ongles vernis démesurés. Un éclat de diamant sur l’annulaire gauche, c’est pas une alliance ça ! Je ne suis pas surprise, je suis juste abasourdie.

Elle s’assoit, sans hésiter, toute en élégance distinguée. Elle porte un masque, comme moi, crise sanitaire oblige. Mais elle a fait incruster sur le sien, sur le côté gauche, un strass très brillant. C’est comme si elle portait une boucle d’oreille, mais sa coquetterie et son raffinement l’ont conduite à coudre ce strass sur un vulgaire masque anti-covid blanc. Je cherche ses yeux mais on ne les aperçoit que difficilement.  Son regard disparait sous une rangée de faux cils d’une longueur indécente.  Noire la rangée de faux cils. Broussailleuse. Son regard est noyé dans cette touffeur.

Vous répéter exactement ce qu’elle m’a dit à ce moment serait totalement impossible. J’étais si ébahie que je n’entendais même pas ce qu’elle me déclarait. Je répondais oui à toutes les questions comme une automate. J‘ai juste compris quelques bribes.

L’entreprise est une entreprise de femmes, la patronne est une femme (tiens donc ! et tous ces diamants c’est pour éblouir qui alors ?), elle connait les difficultés des femmes, elle « comprend » pour la double journée, pour les horaires de l’école, les maladies et pour toutes les contraintes. Enfin, elle « comprend », disons qu’elle comprend sans aucun apitoiement. Mais comme je pointerais si je suis acceptée, ça règlera les questions de retards éventuels. Ici ce sont les femmes qui dirigent, les hommes, les ingénieurs sont logés au sous-sol, ce sont les informaticiens. Je ne les verrai pas en principe. (et « Elle », elle les voit ? si c’est le cas, ils ne doivent pas en mener large dès qu’ils entendent claquer les talons dans le couloir !!!).

Elle tient à la bonne "discipline" des équipes, les conflits éventuels se règlent hors de l’entreprise, nous devons rester "discrètes"en toutes circonstances. (oui, la « discipline », Miss Vampirella a bien parlé de « discipline », et à ces mots, j’ai eu un frisson et  fugitivement l’impression d’entrer dans un donjon de BDSM !!).

Je me penche un peu. Elle parait battre des cils. Il me semble….mais c’est incroyable !! elle a réussi à fixer des strass minuscules dans sa double rangée de faux cils !! non je ne rêve pas !!! Même là !!! Je n'imaginais pas que ça puisse être possible!

J’ai pensé : « Recrutez-moi, je suis une victime consentante, je me ferai toute petite, je suis d’accord pour me soumettre , pour obéir, pour respecter la Discipline, Votre Discipline, Votre Ordre, Votre Ordonnance, Votre VOLONTÉ .». J’ai pensé, j’ai prié, j'ai supplié au fond de moi, je ne sais pas pourquoi.

Trois jours plus tard, Miss Vampirella me donnait la bonne nouvelle : « J'ai eu un bon feeling avec vous, vous commencez lundi ». LE FEELING, c'est vrai ça NE SE DISCUTE PAS!

 

 

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