Je commence par moi (bien sûr) et je plante le "décor", enfin je cerne mon sujet, on a le temps pour les témoignages sur le "vif".
Depuis 3 semaines (ou plus ou moins, je ne sais pas, au fait quel jour est-on aujourd’hui ? Est-on bien au printemps ?), je fais l’expérience inédite de « l’isolement » dans ma propre maison. C’est la première fois que cela m’arrive, que cela arrive, hors impossibilité de type physique ou autre contrainte !
Le terme « expérience » me chatouille un peu depuis quelque temps car il est utilisé très fréquemment dans un but commercial. A peine ai-je acheté quelque chose, à peine ai-je passé dans un espace (comme un aéroport, un magasin, ou tout autre lieu où je suis une utilisatrice) qu’on me demande de livrer mon « expérience cliente ». Je dois à chaque fois « noter » le service qui m’a été délivré et ce faisant je suis censée aider la communauté des autres utilisateurs. Je passe mon temps à noter, évaluer les uns et les autres, et je suis moi-même « notée » dès que je prête ou rends un service. Cette expérience-là me parait très fugace et elle sert d’autres intérêts que les miens. Le terme « expérience » est utilisé dans le sens anglais de « user experience » (qui s’intéresse, dans le meilleur des cas, au chemin que j’ai pris pour vérifier si « c’était facile », intuitif, bref si j’ai pu me débrouiller seule) et pas dans le sens plus profond que je recherche (ce que moi j’apprends en vivant quelque chose qui n’appartient qu’à moi).
Il faut donc revenir aux fondamentaux. Tout me dit que mon expérience est précieuse, ne serait-ce que parce que je sais profondément que personne ne la remplacera et qu’elle ne se renouvellera probablement jamais. Mon expérience de confinement me sera propre, même si elle est vécue par des milliards d’autres personnes dans le monde. Je veux donc savoir ce que je peux apprendre par ce biais-là parce que cette expérience est unique.
Il me parait que ce que j’ai acquis par expérience résulte de deux grands facteurs soit :
Avec le temps : il me faut donc être assez « expérimentée » donc avoir eu le temps de « vieillir » pour être plus sûre de ma pratique, pour ne pas me tromper, d’où l’idée de « mûrissement », d’une sorte d’artisanat de l’apprentissage. Je répète mille fois le geste et petit à petit, ou alors d’un seul coup, après de nombreuses erreurs, ça y est, je l’ai, j’ai compris, je sais faire. Cela s’appelle aussi « avoir le coup de main » : la main est si intelligente qu’elle agit avec la justesse et la précision nécessaires, sans qu’il soit nécessaire de revenir à la « décomposition » du geste. Je vais donc bien finir par apprendre le confinement à la longue, je saurais ce qu’il faut faire ou pas, quand sortir pour éviter les « autres », les potentiels contaminants, comment me préparer au minimum de déplacements, comment conserver une activité physique etc…
Par une plongée dans l’inconnu, le saut de l'ange : c’est le mur que je vais me prendre qui va me convaincre de la validité ou non de mon essai. Méthode radicale qui, si elle peut m’être fatale, devrait être soigneusement réfléchie « avant ». Pas question de tenter de multiples échecs, mon « expérience » doit se limiter strictement à un seul essai (ou à des essais très contrôlés) surtout si ma vie est en danger. Il y a bien dans ce cas, une notion importante de « risque » à peser, risque qui pourrait aller jusqu’à celui de ma vie. Clairement, je ne vais pas tenter l’expérience d’aller chez le dentiste en ce moment ou alors c’est que je n’aurais pas le choix d’attendre.
Le confinement généralisé c’est un choix de ce type. Certains pays pensent toujours qu’il vaut mieux laisser faire la nature, puisqu’on ne possède pas de traitement. Cela semble cynique mais en fait, les pays qui, en Asie, n’ont pas confiné leur population sont aussi les pays qui ont pris , à temps, des mesures de prévention finalement assez simples : porter un masque (et tester, donc diagnostiquer). Donc on reste chez soi, si je comprends bien, parce qu’on n’a pas de masques. C’est incroyable mais c’est vrai. On arrête toute une économie parce que on ne sait pas (on ne sait plus) fabriquer un morceau de tissu pour porter devant sa bouche ! C’est le pilon pour écraser une mouche ! Mais il est vrai que les pays d’Asie ont justement l’expérience des épidémies mortelles et que nous, même si nous l’avions aussi, nous l’avons oubliée depuis longtemps. Ils ont donc « réagi » beaucoup plus tôt que nous. Il nous manquait l’expérience du choc !
Il parait que Blaise Pascal (1670) serait une lecture adaptée à cette période de confinement
Quelques citations :
« Rien n'est plus capable de nous faire entrer dans la connaissance de la misère des hommes, que de considérer la cause véritable de l'agitation perpétuelle dans laquelle ils passent toute leur vie. » Pensées
Avec le confinement, tout s’est arrêté autour de nous. Les avions (ce qui me serre le cœur), en grande partie aussi les trains, les voitures, et même les bicyclettes.
Et on apprend de plus qu’« on » nous suit à la trace :
Google vient de publier un rapport sur la mobilité dans le monde à partir des données « mobiles ». En ce qui concerne la France, le rapport montre une baisse de fréquentation de 88% des endroits tels que les restaurants, cafés, centres commerciaux, parcs à thème, musée, librairie cinéma. La fréquentation des parcs et des espaces verts a baissé de 82 % et la fréquentation des marchés, épiceries ou pharmacies a baissé de 72 %. De plus grâce à Orange on a pu voir que plus de 15% des parisiens avaient quitté Paris.
« Que de choses dont je n’ai pas besoin » disait Socrate passant sur le marché d’Athènes.
Le confinement m’apprend par l’expérience à me passer de beaucoup d’activités, (et de produits), certes de façon temporaire mais tout de même….
Je continue avec Pascal :
« Tous les hommes se haïssent naturellement l'un l'autre ». Pensées.
Ne se fréquentant plus, quelle raison auraient-ils de se haïr ? Mais justement il semblerait qu’en Chine, sitôt la fin du confinement, les couples se sont précipités dans les bureaux de divorce. (certainement parce qu’ils se sont « fréquentés » de trop près, ils ne s'étaient pas suffisament "isolés).
On parle des violences familiales en France qui n’ont pu que s’accroitre avec le confinement dans des espaces restreints.
Les scientifiques s’insultent, le traitement proposé par l’un ne convient pas aux autres, il y a des intérêts politiques, économiques et d’ego qui sont en jeu. Tous les coups sont permis au-dessus des lits des malades !
Et enfin, on assiste à des luttes entre pays « amis » pour pirater le stock de masques envoyés par la Chine à l’un ou l’autre ou mentir sur l’extension de la maladie.
C’est la guerre. Pas de trêve, même contre un ennemi commun. Pascal avait raison et ce n’est pas nouveau.
Quels sont mes outils de compréhension ?
Si j’en reste à Pascal, j’ai deux outils d’intelligence : l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse.
L’esprit de géométrie nous permet de formuler des raisonnements logiques imparables compréhensibles par tous. (Pascal est dans la tradition de la physique mathématique et expérimentale qui conduit de Galilée à Newton). L’esprit de finesse, lui, relève davantage de l’intuition, c’est un art du jugement qui consiste surtout à « voir la chose d’un seul regard, et non par progrès de raisonnement ».
En effet, l’esprit de géométrie est déconcerté par l’imprévu. Il n’apprécie pas vraiment que le verre soit également à moitié plein et à moitié vide. Il y a donc une logique qui préside à tout : le vrai n’est pas le faux, le noir n’est pas le blanc, le grand s’oppose au petit etc…il n’y a pas quelque chose qui soit à la fois vrai et faux.
Pourtant j’ai bien l’intuition qu’il existe des vérités concomitantes, qui peuvent vivre dans le même espace, sans forcément s’opposer radicalement. Voyons donc, à l’aide de Pascal (celui de Facebook !), ce que je peux avoir compris de cette expérience......élémentaire....
(à suivre, demain) …..