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Enquête citoyenne: où sont passés les masques (2ème partie)

Enquête citoyenne: où sont passés les masques (2ème partie)

Suite de l'enquête de VIEUZIBOU:

70 millions de vaccins antivarioliques et autant d’aiguilles, embouts et pipettes ; 81,5 millions de traitements d’antibiotiques en cas d’attaque bioterroriste de charbon, peste ou tularémie ; 11,7 millions de traitements antiviraux et 11,5 tonnes de substance active (dénommée « oseltamivir ») en cas de pandémie grippale ; 285 millions de masques de filtration de type FFP2 et 20 millions de boîtes de 50 masques chirurgicaux (soit un total de un milliard) ; 2100 respirateurs et bouteilles d’oxygène ; 20 équipements de laboratoires d’analyse (automates PCR et extracteurs ADN/ARN) ; 11000 tenues de protection NRBC (nucléaire, biologique, chimique) et accessoires.

Quel est cet inventaire à la Prévert ? La dotation idéale d’un système médical qui aurait prévu toutes les catastrophes possibles par anticipation ? Avec les produits indispensables que doit connaître tout étudiant en médecine ?

C’est tout simplement l’inventaire des stocks initiaux de l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), que j’ai évoqué dans mon précédent post. Cet inventaire, on le trouve dans l’exposé des motifs de la loi qui l’a créé, une loi au titre prémonitoire : « Loi relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur ». Ce stock était évalué à un milliard d’euros, avec dix-sept agents en 2007, trente en 2013, mobilisables à tout moment, chargés de gérer, actualiser, compléter et surtout distribuer en cas de crise ces différents moyens. « Nous serions, d’après certains observateurs, parmi les pays les mieux préparés au monde », fanfaronnait Xavier Bertrand, alors ministre de la santé et des solidarités, début 2007.

Dans ma recherche d’éléments d’explications sur la façon dont ces stocks précieux se sont volatilisés, j’ai pris connaissance d’un récent article du professeur Claude Le Pen (rassurez-vous, rien à voir avec un certain Jean-Marie), spécialiste réputé de l’économie de la santé. Cet expert souligne la réduction drastique du budget de l’EPRUS (de 281 millions d’euros en 2007 avant l’épisode H1N1 à 25,8 millions en 2015) et confirme qu’une des raisons de la « volatilisation » de ces stocks dans la décennie écoulée serait l’absence de renouvellement des produits à leur date de péremption (avec, là aussi, des questions à se poser sur le maintien possible d’une certaine efficacité après les dates limites « officielles »). Selon un rapport du sénateur Francis Delattre, la valeur du stock, estimée à 992 millions en 2010, se serait réduite de moitié en 2014, à 472 millions, avant la fusion de l’EPRUS au sein de Santé publique France.

J’ai du mal à croire que cette réduction massive de moyens, qui se traduit par une destruction de richesse considérable, à hauteur d’un demi-milliard d’euros, soit le résultat d’une simple négligence, consécutive entre autres à la perte d’autonomie de l’EPRUS ? Certes, il peut y avoir des problèmes d’organisation ou d’efficacité dans les organismes publics. Mais, à ceux que le terme de richesse ou de valeur « monétisable » peut choquer, je rappelle qu’il s’agit de produits de santé, qui peuvent protéger et sauver des vies humaines. Qui serait inconscient au point d’oublier ce qui constitue la véritable valeur de ces stocks de précaution et de prévention ?

Parmi les évolutions de cette période, le professeur Claude Le Pen pointe un changement de « doctrine » de l’Etat : en 2011, il décide de distinguer deux types de stocks pour les produits en question : d’une part les stocks dits « stratégiques », à vocation nationale, détenus par l’Etat via l’EPRUS, d’autre part les stocks dits « tactiques » confiés aux établissements de santé pour les besoins locaux. Ce que je trouve curieux, c’est que l’on a inclus dans les stocks stratégiques les masques chirurgicaux, a priori les plus nombreux mais aussi les moins « élaborés », puisqu’ils ne protègent pas complètement son porteur contre des attaques extérieures, alors que les fameux FFP2, les plus « précieux »(on estime qu’ils sont dix fois plus chers), réservés aux personnels directement exposés, se retrouvent sous la responsabilité des hôpitaux alors même que ceux-ci sont soumis à une très forte pression budgétaire. Outre la perte de lisibilité de cette réforme, je note qu’elle organise une déperdition de valeur, un appauvrissement de l’Etat. Est-ce vraiment un résultat inconscient de ces mesures ? Ou n’y aurait-il pas une volonté sous-jacente de déposséder , ou pour le moins d’appauvrir ainsi la puissance publique ?

Avant de poursuivre mon investigation sur ce sujet sensible de la perte ou de la captation de valeur (au profit de qui ?) dans le domaine de la santé, je mentionne encore un élément important de cette dernière décennie: c’est la prise en main de la doctrine par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale(SGDSN) , dépendant directement du Premier Ministre et chargé de traiter toutes les questions de sécurité au sens large, terrorisme, menaces de pays étrangers, épidémies, catastrophes naturelles et technologiques, etc.. Le ministère de la santé est ainsi « dépossédé ».

Or la doctrine du SGDSN repose plutôt sur une participation de tous les acteurs de la vie économique à la prévention des menaces (en clair : c’est à eux de payer, nous Etat on n’a pas de moyens), cela apparaît bien dans ses préconisations : « il revient à chaque employeur de déterminer l’opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger son personnel. Le cas échéant, le dimensionnement des stocks est sous-tendu par : la durée prévisible d’une épidémie ; la durée d’utilisation d’un masque ; le caractère à usage unique des masques ; les capacités de fabrication et d’approvisionnement pendant une crise, etc… ». Et « il revient, in fine, à chaque employeur d’examiner… de quelles situations ils relèvent et d’évaluer les mesures les plus adaptées ».

    Tout cela est bel et bon, dira-t-on, mais soulève beaucoup de questions :

- la catégorie « employeurs » recouvre une infinité de cas différents : les grandes entreprises, publiques et privées, les établissements publics parmi lesquels les hôpitaux, les petites et moyennes entreprises. Et quid des artisans des micro-entrepreneurs ? Est-ce que les uns et les autres vont subitement devenir des experts en matériel de protection et adopter les bonnes mesures ? D’autant plus qu’il n’est pas prévu de contrôle (ni a fortiori de formation, conseil ou audit).

- étant donné que tout le monde n’est pas rattaché d’une façon ou une autre, à un employeur, quid des étudiants, des retraités, des enfants, etc… ?

Enfin, cette doctrine repose sur le postulat de la possibilité de passer (et de recevoir !) des commandes très rapidement en cas d’urgence, en particulier en provenance des pays producteurs (puisque notre industrie a pratiquement disparu) dans un contexte de « mondialisation heureuse ».

Et j’en reviens à la valeur. Le premier résultat tangible des ces nouvelles mesures depuis dix ans a été pour l’Etat une réduction générale de ses moyens d’action dans un contexte de restrictions budgétaires, aussi bien pour ses établissements publics, on l’a vu avec l’EPRUS, que pour les hôpitaux publics. Et tous ces matériels si utiles ont été considérés comme des charges et des contraintes qu’il fallait minimiser. Que pouvait-on alors attendre des employeurs sinon d’appliquer a minima et au moindre coût ces mesures de prévention et de précaution, voire de ne pas les appliquer du tout ? A moins que certaines entreprises, ou certains milieux financiers ne cherchent, eux, à tirer profit de ces « valeurs de santé » : d’une part en généralisant des logiques comptables et financières dans tous les circuits de décisions, d’autre part en faisant « remonter » vers leurs centres de profit la création de valeur issue de la résolution des problèmes de santé et non l’inverse, que devrait assurer la puissance publique : financer  avec des moyens suffisants la santé publique.

    C’est ce que je vais tenter d’éclaircir dans un prochain post.

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