Dans un premier épisode de cette série consacrée à réfléchir sur notre expérience du confinement, j'ai commencé à dechiffrer le terrain montrant que même si ce l'on vivait collectivement s'apparentait au saut de l'ange, nous allions aussi apprendre de la durée, donc du temps du confinement.
Dans cette seconde partie, je vais rechercher ce que j’ai déjà appris, moi personnellement, dans ma vie quotidienne, sachant que je ne suis pas au travail, ni même en télétravail (je rapporterais plus loin d’autres expériences) , toujours en utilisant à la fois esprit de géométrie (la logique) et esprit de finesse (l'intuition).
Mon apprentissage du quotidien confiné :
Esprit de géométrie, j’applique les consignes et je prends des précautions extrêmes :
Il faut que je me coupe des autres (la fameuse « distance sociale »), car j’en suis à la fois la victime et l’assaillant (bien involontaire) : Après tout, je pourrais être porteuse saine et, sans le savoir ni le vouloir, transporter la peste et la communiquer. Je suis donc directement responsable de la vie des autres.
Mon confinement, mon emprisonnement tient à cela. Ne pas être une menace pour d’autres. Il n’y a qu’une possibilité peut être sur 100 mais c’est trop grave, la probabilité nous est défavorable à tous parce que le risque est radical, c’est celui de la vie. Ma logique me dit « non », les mathématiques aussi.
Mes journées sont rythmées par un nettoyage obsessionnel de tout ce que je peux toucher ou approcher. Mon chez moi s’est mis à sentir le désinfectant, la javel, l’alcool à 90°. Cependant j’ai évité, thanks God, de me frictionner à l’eau de Cologne !
J’ai constaté que ce nettoyage addictif n’était pas une expérience très rassurante, et que je ne parviendrais jamais à vivre dans une atmosphère complétement stérile. Il faut concevoir un monde non aseptisé, accepter quelques bactéries, d’ailleurs utiles à la vie…. Esprit de finesse es-tu là ?
Je me suis astreinte à ne pas trainer toute la journée en pyjama ou en vieux jogging, mais c’est vrai que j’ai négligé le rouge à lèvres et les collants sexy. Pas la peine ! Dans mon armoire, du coup, j’ai découvert un tas de vêtements que je ne mettrai plus jamais. J’étais pourtant certaine de m’apprêter avant tout pour moi seule, et pour ma seule satisfaction ! Et je pensais avoir besoin de chemisiers de chaque couleur à assortir avec les jeans, eux aussi coupés en fonction des saisons, des modes et des envies.
Dans mes placards, il y avait des tonnes d’épices périmées, de sachets de farine et de sucre, de poudre d’amande, de sauces tomate ! Trop, trop, c’est la maison du trop disait l’une de mes amies. Mais alors là, c’est avec un grand soulagement que j’ai redécouvert ma manie de faire des provisions. Je me suis félicitée d’avoir plein de délices dans mon congélo. La peur de manquer m’a évité des déplacements à la supérette du coin, comme quoi, il y a toujours un revers positif à ses propres démons !
Idem pour les livres dont je suis entourée, quelle chance ! J’en avais acheté, comme tous ceux qui sont passionnés de lecture, beaucoup plus que ce que je pouvais lire en une vie.
Ce qui était illogique devient pertinent, c’est l’esprit de justesse !
A cause de l’étrange atmosphère qui s’est tout à coup installée dans la ville, dans la première étape de mon confinement, (avant celle où on s’habitue), je ne suis plus arrivée à me concentrer. Tout m’a semblé assez éloigné de moi, et pour tout dire vain, sans but ni sens. Je n’entendais parler que de la Chine, de Wuhan, et du virus.
La Chine est devenue très présente dans mon univers : Wuhan, le médecin Li Wenliang, le lanceur d’alerte dont le tragique destin marquera pour toujours cette crise planétaire, ce qui se passe à Taiwan, en Corée du Sud, tout cela est devenu très très proche de mon univers. C’est comme si je regardais dans un téléscope. Je suis cachée et j’observe les étoiles….Je les vois en net sur mon écran, tout s'est incroyablement rapproché. Le mignon pangolin dont j'ignorais l'existence, l'horrible chauve souris à l'origine du désastre, le marché aux poissons, la vente d'animaux sauvages vivants, la construction d'immenses hôpitaux en un temps record, tout ça m'est devenu étrangement familier.
Comment se sentir libre alors qu’une menace sournoise mais vitale pèse sur le monde ? Comment être apaisée dans un univers souffrant ? Je ne peux pas me « contenter » d’être heureuse dans mon joli chez moi, me satisfaire de m’occuper de moi toute la journée. Je ne peux pas éviter de penser à ceux qui sont au front et à ceux qui n’ont rien, aux sans-abris, aux miséreux, et à tous ceux qui n’auront plus le minimum, et bien sûr aux malades, aux mourants et aux soignants. Qu’est-ce que je peux faire pour manifester ma solidarité ?
Pour ma part, j’ai cousu des masques dans des vieux draps et j’en ai distribué autour de moi. C’est peu, mais cela m’a paru utile dès le début.
Quels sont les héros ? Les soignants qu’on applaudit, les caissières (caissiers), le postier, les routiers, les éboueurs, les balayeurs, l’aide à domicile ?
Les voyait- on « avant » ? Ceux là appartiennent à un monde indispensable et pourtant mal traité, mal considéré, mal payé. Croyait-on que ces métiers, au service des autres, parfois vus comme « non qualifiés » n’étaient pas le socle sur lequel on vivait ?
Ne me renvoient ils pas à ce que moi je suis ? Et face à cette réalité, n’est il pas temps de construire une nouvelle perspective mentale (et sociale) ? Certes mais les nouvelles qui m’arrivent du dehors ne sont pas tout à fait logiques, il va me falloir nager dans les injonctions paradoxales, de celles qui rendent fou…Vais-je devenir schizophrène ? Pascal (celui de FB) , à l’aide , je te téléphone ?
La suite, demain