Apres un premier épisode destiné à brosser le champ d'exploration, j'ai poursuivi ma réflexion avec un deuxième épisode où j'ai mentionné ce qui avait principalement changé dans mes habitudes quotidiennes de "recluse". Je vais maintenant essayer de traduire ce qui me perturbe le plus dans la situation actuelle.
Les nouvelles du « dehors » ne sont pas de nature à assurer la confiance, condition pourtant indispensable à unir le peuple pour faire face à une « guerre ». Si la Reine d’Angleterre a su trouver les mots pour donner du courage à son peuple, je n’en dirais pas autant de nos dirigeants qui n’ont bien souvent parlé que de sanctions et des « mauvais français » ne respectant pas les règles. Dans certains cas, certains responsables sont allés jusqu'à "recruter" des chasseurs pour contrôler la population, recréant ainsi la bonne vieille milice du temps de l'occupation. Et bien sûr, certains français adorent les lettres de dénonciation, cela semble, chez certains, un sport traditionnel. Pas très efficace pour la solidarité mais typique des régimes autoritaires!
D'autant plus que les fameuses règles à respecter ont été (demeurent) imprécises, fluctuantes, et soumises à interprétations, d’ailleurs, comme on le sait. Faut il ou pas sortir pour acheter le pain? Faut-il ou pas prendre un bouquet de fleurs au passage? Faut-il ou pas porter un masque? Est ce que cela sera obligatoire et quand? N'a t-on pas dit que c'était inutile pour couvrir la pénurie? A l'heure où j'écris, et pendant que l'on voit les chinois déconfinés porter unanimement des masques, que tous s'accordent à dire que c'est mieux que rien, que même le bon sens nous le chuchote à l'oreille, les maires qui viennent d'en rendre le port obligatoire, se sont fait retoquer par le GRAND FLIC SUPREME ! On a aussi contraint une salariée de La Poste à retirer son masque pour travailler, au motif qu'elle l'avait cousu elle même. Alors?
Or « La schizophrénie se caractérise par des distorsions de la pensée, des perceptions, des émotions, du sentiment de soi et du comportement ».
Le principe de rationalité et la double contrainte
Pour appréhender ma « réclusion » à la maison, pour comprendre que je ne suis plus libre, alors que je ne suis pas punie, il faut que j’intègre que je suis LIBREMENT PRISONNIERE.
Et je dois me confiner sauf pour certaines activités limitativement énumérées ( « Tout citoyen peut subir un contrôle d’identité sans même indice préalable d’infraction », déplore l’avocat Arié Alimi. Selon lui, nous assistons à une « inversion du paradigme de l’État de Droit » : « Tout citoyen dans la rue est un délinquant ou un contrevenant potentiel. » ). Nombre des procès-verbaux dressés semblent être soumis à l’arbitraire. Sorti faire une activité physique individuelle, conformément à la loi, M. XXX est interpellé à 200 mètres de chez lui. Motif ? Il portait un jean au lieu d’une tenue de sport, témoigne-t-il dans une lettre de contestation au Procureur de la République. Même situation kafkaïenne vécue par M. AA : alors qu’il sort faire du sport, il est sanctionné par une policière qui aperçoit dans son sac une baguette de pain achetée juste avant le contrôle.
Le discours des décideurs m’incite à rester chez moi mais aussi à grossir l’armée de l’ombre pour aider l’agriculture, à me porter volontaire pour seconder les soignants, à me protéger mais sans avoir besoin de protections ! les masques sont dangereux ou pas utiles/inutiles, les soignants doivent laver leurs blouses à usage unique…etc…
« Voilà qui permet de faire exploser en vol le fameux principe de non contradiction, un principe de base de toute rationalité -c'était jadis un enseignement délivré dès les premières heures de classe de philosophie en terminale…Selon ce principe, une chose ne peut être dite vraie en même temps que son contraire: de fait, on ne peut être à la fois mort et vivant, grand et petit, gros et maigre, crétin et intelligent, blanc et noir, musulman et chrétien, tatoué et sans tatouages, homme et femme - encore que… » Michel ONFRAY
C’est ce qu’on appelle la double contrainte, celle qui rend fou. Selon Bateson (un psychiatre renommé dans la compréhension de la schizophrénie) , un tel système de communication répété et envahissant produit un comportement schizophrénique. La personne dans une situation de double contrainte connaît des sentiments d'impuissance, de peur, d'exaspération et de rage sans que son environnement puisse les transformer.
Les contradictions dans la communication de nos dirigeants, les uns tirant à hue et les autres à dia, les masques n’étant inutiles que parce qu’on n’en a pas, l’hydro chloroquine étant devenue un médicament « politique » etc…n’ont fait que renforcer mes doutes.
Je suis à la merci de ceux qui ne décident rien d’intelligible, qui ne sont pas logiques, ni cohérents, qui ont peut-être des pensées secrètes douteuses. Sans tomber dans la théorie du complot, rien que le traitement des personnes âgées dans les EHPAD me fait hurler. Quoi ? On les protège en les isolant toutes ensembles (malades ou pas , alors qu'avec le paquebot Diamond Princess, on sait que les malades vont inévitablement contaminer les autres et que ce sera un désastre) , mais on ne leur fournit que des bodybags (pour enfouir les cadavres) et pas de masques ?
Est-ce cohérent de voir disparaître nos ainés et nos malades, seuls, sans pouvoir leur rendre un dernier hommage, leur dire un ultime "au revoir"? Est ce juste de devoir payer très cher pour entreposer les cercueils à Rungis alors que les locaux ont été mis à disposition gratuitement?
Je fais des cauchemars presque toutes les nuits, ouh la la, je deviens folle ?
Et l’esprit de finesse ?
Malgré tous mes calculs, il me faut bien admettre que le monde entier est prisonnier, à cause d’une maladie qui ne tue pas à 80%. Il faut donc admettre que cette maladie, quoique bénigne dans sa vaste majorité, et parce qu’elle est létale à 1 voire 5% des cas (ce qui est, certes, beaucoup, mais aussi très peu), n’est pas un risque que je peux prendre. Eh oui, car même si j’ai 80 % de chance d’en réchapper, le 1% de malchance de perdre tout, c’est-à-dire la vie, m’interdit l’expérience.
La maladie n’est pas grave mais elle est aussi mortelle, la prison n’est pas la prison, je suis responsable et non responsable, je suis le sujet et l’objet, je suis en train d’éprouver la peur et le désir de continuer à vivre, je suis libre et pas vraiment libre, je suis seule mais très proche d’autrui, je suis en bonne santé et potentiellement malade. Les choses sont à la fois noires et blanches, vraies et fausses, légères et pesantes, propres et sales, justes et injustes.
C’est comme ça que j’ai dit joyeusement bonjour à mon voisin et que, quand il s’est mis à tousser, je me suis surprise à m’en vouloir de mon amical salut et à me reculer avec appréhension. Je suis dans l’injonction contradictoire, le doute m’envahit. Et si…. ? Je regarde mon voisin avec un autre oeil maintenant....
Je dois supporter la double vérité, après tout cela n’est pas si extraordinaire, je l’ai déjà rencontrée dans ma vie. C’est peut-être mieux que l’eau tiède, il y a des réalités contradictoires qui vivent ensemble et je ne peux pas tout comprendre par la déduction logique.
Il me faut donc côtoyer l’incongru et la folie dans le quotidien, mais le risque, ce qui me parait le plus sensible, c’est de s’éloigner de son humanité. La peur n’est pas toujours bonne conseillère !
Au final, ce qui est à la fois vital et dangereux, c’est de comprendre que l’esprit humain s’habitue à tout.
C’est peut être ça qu’on appelle la « résilience » ?
Dans le 4ème épisode, que vous découvrirez demain, je donne la plume à mon ami qui m'a aidée dans le recueil des témoignages d'autres confinés. A demain donc....