En réponse à l'article Pensées pour un naufrage, j'ai reçu cette lettre que j'ai hésité à publier. Mais finalement pour respecter et remercier celui qui m'a rendu cet hommage, j'ai choisi d'en conserver la trace ici.
"A vrai dire, je ne t’ai jamais perdue de vue et nous ne nous sommes jamais séparés plus de quelques semaines. J’en serais d’ailleurs incapable tellement tu me manquerais, quelles que soient les circonstances ou les justifications d’un éloignement.
Je ne saurais donc parler de retrouvailles.
Et pourtant je te retrouve toujours comme si j’avais "oublié" ton charme, ta vivacité, ton « incandescence ». Après tout, n’est-ce pas ma faute ? N’ai-je pas négligé d’être attentif à toi, tes expressions, ta voix, ton allure ?
J’ai l’impression de redécouvrir comme si c’était la première fois ton visage rayonnant, tes yeux si intenses, tes cheveux (pas du tout blond filasses comme tu le penses) mais aussi lumineux que le vert de ton regard.
Je voudrais d’abord parler de ta voix. Un enfant est arrivé. Quand je t’écoute lui parler, créer pour lui des comptines, fredonner, gazouiller à son niveau, je suis moi aussi transporté dans la magie de ton univers. Lorsque tu t’adresses à lui, ta voix est cristalline, tendre et enjouée à la fois. Et surtout unique. Jamais et nulle part je n’ai entendu une telle voix. A elle seule, elle semble créer une douce musique de berceuse ou de conte. Et grâce à cet enfant, cette voix m’enchante.
Aurais-je par hasard oublié combien cette voix me bouleversait quand je t’avais connue ? Moi qui aime reconnaître les voix au téléphone, et qui m’émerveille de notre capacité à identifier les voix des uns et des autres (n’est-ce pas plus mystérieux que l’identification des visages, ou même des corps et des démarches ?), je t’étonnais en te disant comme ta voix me subjuguait. Ah bon ? répondais-tu, je n’en suis pas consciente. Mais, après tout, la perception de notre propre voix est complètement différente de celle des autres, je suis moi-même toujours très surpris de m’entendre dans des enregistrements, je crois entendre un étranger.
Soyons attentifs au regard des autres, et aussi à leur perception de notre voix, c’est ce que tu m’apprends. Et si ce regard ou cette perception sont empreints d’une douceur infinie, n’est-ce pas une source de joie et de bonheur ?
Je suis émerveillé d’entendre comme tu sais parler à l’enfant, et éveiller chez lui des regards et des sourires, si précieux dans sa découverte de l’univers qui l’entoure.
Mais ce n’est pas seulement ta voix. Toujours avec toi, nous avons eu des programmes, des sorties, des lectures partagées, des voyages, toujours nous avons réussi dans ces projets, toujours nous avons échangé et développé nos centres d’intérêts. Et voilà que l’enfant, lui aussi, te donne des idées, te permet de libérer toutes sortes d’initiatives. Car tu es toujours aussi infatigable et plus que jamais aussi active, aussi prête à découvrir de nouveaux voyages, et de nouveaux horizons culturels, artistiques ou littéraires. Jamais non plus tu ne t’es autant intéressée à des rencontres stimulantes, jamais tu n’as autant recherché des découvertes intellectuelles et sensibles. J'en suis impressionné, comme beaucoup autour de toi!
Et toujours avec toi, j’apprends, ou je me rappelle, que ce qui compte dans la vie, je devrais y penser plus souvent, c’est bien de rester en éveil, en recherche. Et surtout, continuer ce que nous avons toujours fait, renouveler toutes les expériences que nous avons partagées, et rechercher toutes les émotions que nous n’avons pas encore ressenties. C’est si exaltant et si simple en même temps. Jamais nous n’avons manqué une occasion, jamais nous ne nous sommes laissés aller par négligence ou par oubli. Et bien, il faut repartir pour de nouvelles aventures. Car il n’y a pas de place, il ne devrait pas y avoir de place pour la nostalgie ou pour le seul souvenir des moments heureux.
Je crois que cette nouvelle vie que nous berçons, nous aide et va nous aider, à nous tourner vers l’avenir, à écarter la tristesse et à ne pas succomber au pessimisme.
Et pourtant, on en trouve, des raisons d’être pessimistes. Et s’il n’y avait que l’âge et les misères, petites ou grandes, que notre corps vieillissant risque de nous infliger ! Il y a pire : c’est le sentiment de plus en plus marquant que nous vivons dans une société, dans un monde qui s’achemine vers un effondrement. Sous quelle forme, quand, nous ne le savons pas, mais notre prise de conscience de cette catastrophe à venir ne fait que croître. Je ne pense pas que ce soit là un effet de l’âge, du « c’était mieux avant » dont nous aurions eu le secret. Le monde perd peu à peu ses valeurs, ce sur quoi nous avons fondé nos espoirs, au sortir d’une terrible tragédie. Nous pensions ne jamais revoir ce qui brûlait dans les prunelles muettes de nos parents, la brutalité, la férocité, et pire que tout finalement, l’indifférence. Et nous voyons revenir les silhouettes du cauchemar, peu à peu. Nous voyons s’agrandir les ombres où sont tapis tous les désastres, nous sentons revenir les peurs et les tempêtes, et l’affolement des bêtes nous donne le signal !
Mais voilà, comment un enfant aurait il pu naître si le monde devait nous plonger à nouveau dans le néant ? Lui qui commence à découvrir toutes les joies et les merveilles de la vie, faudrait-il que ce ne soit qu’une fausse lumière qui lui soit donnée ? Comment pouvons-nous tolérer ce paradoxe ? Nous ne pouvons pas à la fois craindre l’effondrement et, dans le même mouvement, imaginer une vie heureuse et solaire pour lui.
En fait quand je te vois avec l’enfant, quand je perçois cette mystérieuse complicité qui s’établit entre lui et toi, je sais qu’il t’écoute et te comprend, et qu’il est heureux avec toi. Ainsi j’arrive à surmonter ce paradoxe, qui, sinon, serait insupportable. C’est toi, et uniquement toi, qui me transmets, comme par des ondes invisibles, une énergie ce qui me fait redécouvrir la curiosité, mais aussi d’insubmersibles sentiments de tendresse et d’affection.
Je t’aime d’admiration. A commencer par ta vitalité quand nous marchons ensemble d’un bon pas vers un rendez-vous, une visite, un spectacle. Et quand tu décides de partir pour un grand tour même par temps de pluie et de vent. Et quelle volonté lorsque tu décides d’écrire, de créer, d’éprouver de nouvelles idées !
Quelle attention aussi à tes amies et amis, quelle fidélité dans tes relations ! Et maintenant, avec l’enfant, tu as commencé à tisser une relation affectueuse, profonde et unique.
Comme tout un chacun, nous avons quelquefois du mal à affronter la vie quotidienne avec ses tracas. Et nous devons faire effort aussi pour supporter la bêtise ou la méchanceté des autres. Sans parler de ce monde qui va à sa perte, de cette actualité toujours pleine de drames, de crises, crise sociale, crise écologique, avec les épidémies en prime. Nous ne sommes pas plus naifs que d’autres, nous sommes lucides, et nous ne nous laissons pas impressionner par les experts ou pseudo-experts qui cherchent à nous rassurer. Et peut-être n’avons-nous pas que des regards bienveillants autour de nous. Mais peu importe, nous sommes capables de poursuivre nos rêves et de nous engager dans de beaux projets.
Comme moi, tu peux douter du regard des autres, de leur sincérité, ou de leur attachement. Mais tu sais reconnaître celles et ceux qui ne tricheront pas avec toi.
Comme moi, tu peux redouter le défilé des années qui passent. As-tu vraiment changé ? Oui, bien sûr, qui ne change pas ? Mais le vrai changement, celui qui redonne du sens à notre vie, c’est lui, le petit, qui nous l’apporte. Et il a posé sa grâce sur ton charme rayonnant qui me fascine comme au premier jour."
Vous n'auriez pas publié à ma place? Cette lettre a la goût de ça: