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Lettres d'Italie (F.Nietzsche)

Lettres d'Italie (F.Nietzsche)

Le philosophe allemand (prussien plus précisément) Frédéric Nietzsche (1844-1900) constitue un cas bien particulier de l’histoire des idées : bien que son œuvre soit difficilement accessible au grand public, elle a acquis une telle réputation qu’elle a été résumée et simplifiée de façon évidemment restrictive et abusive à des notions percutantes mais simplistes : le surhomme, la volonté de puissance, l’éternel retour, etc…. De plus, il est perçu comme un des inspirateurs, avec Richard Wagner, de l’ultra-nationalisme allemand et de sa fatale dérive vers le nazisme. C’est du moins ainsi que beaucoup le ressentent en France, je ne sais pas ce qu’il en est exactement en Allemagne.

Je connais très mal Nietzsche. J’ai lu très peu de textes de lui, et il y a longtemps. Mais je garde un souvenir reconnaissant des leçons d’un de mes profs de lettres au lycée qui nous a communiqué sa passion pour « Naissance de la Tragédie », avec les notions d’apollinien et de dionysiaque.

Je viens de lire un ouvrage tout récemment paru, « Lettres d’Italie ». C’est un choix de lettres qu’il a adressées à ses proches, sa mère et sa sœur, ses amis et ses relations lors de ses différents séjours en Italie Ce choix a été effectué par deux universitaires, traducteurs et spécialistes de Nietzsche, Florence Albrecht et Pierre Parlant. Nietzsche n’avait jamais envisagé de publier un livre intitulé « Lettres d’Italie », mais ces lettres ont en point commun la mention de différents aspects, y compris les plus matériels (le logement, la nourriture, etc…) de sa vie en Italie.

J’en retire une « vision », une « impression » assez différente du Nietzsche, un peu fantasmé je dois dire, que j’imaginais comme un personnage, solitaire, bougon voire colérique, hypocondriaque, un peu sauvage peut-être, exalté et même « échevelé » assurément.

En fait, il y a du vrai dans cette perception, mais, dans ces lettres, je découvre un homme sachant parfaitement mettre son grand talent d’écrivain au service de relations épistolaires attentives et fidèles aux autres, manifestant beaucoup d’intérêt pour les préoccupations de ses correspondants et sachant décrire avec précision, finesse, et souvent humour, les aspects concrets de sa vie, de son environnement et sa façon de « découvrir » l’Italie. On y trouve aussi ses observations sur la vie culturelle : échanges sur les écrivains et musiciens contemporains (il connaît et apprécie beaucoup la musique) et leurs œuvres, spectacles théâtraux et musicaux. Il s’intéresse aussi à l’actualité politique et à ses protagonistes. Il note le coût de la vie : tarif de location des appartements, prix des repas, prix du café, de la viande ou des fruits sur le marché. Mais il ne recherche pas la compagnie des Italiens et ne cherche pas à les connaître outre mesure.

Voici un exemple frappant de la différence de « tonalité » entre l’écrivain et le rédacteur des lettres adressées à sa famille. Il s’agit de ses relations avec sa mère Franziska Nietzsche.

Tout d’abord un extrait célèbre de « Ecce Homo » : « Quand je cherche mon plus exact opposé, l’incommensurable bassesse des instincts, je trouve ma mère et ma sœur-me croire une parenté avec cette canaille serait blasphémer ma nature divine-. La manière dont, jusqu’à l’instant présent, ma mère et ma sœur me traitent, m’inspire une indicible horreur : c’est une véritable machine infernale qui est à l’œuvre, et cherche avec une infaillible sûreté le moment où l’on peut me blesser de la manière la plus sanguinaire. » Ambiance…

Et voici quelques lignes d’une lettre envoyée de Gênes en janvier 1882 : « Ma chère mère, ainsi filent les années, chacune plus vite que la précédente. On finit par apprendre par cœur le jeu de la vie-on l’attrape finalement, comme disent les pianistes, « dans les doigts »-; voilà pourquoi cela va si rapidement ! ... Retenir ce qu’on a, tel est le principal tour d’adresse de l’âge mûr, et savoir quel avantage on a sur beaucoup, notamment sur tous les insatisfaits ! C’est avec un visage serein que tu abordes l’année : veillons à ce que nous aussi te donnions des motifs de joie et de bonheur dans la vie !  Tout comme ce mois de janvier beau entre tous ! »

Mais, au fait, que va chercher Nietzsche en Italie ?

Il y séjourne, pour de nombreuses périodes de plusieurs mois, de 1876 à 1888. Auparavant il a exercé pendant sept ans comme professeur de philologie à Bâle. Alors même qu’il a décidé d’abandonner la nationalité prussienne, il devient apatride et se considère comme un esprit vagabond, voyageur, parti faire de grandes découvertes.

En fait, il souffre beaucoup en raison de sa santé défaillante (très fortes migraines, douleurs ophthalmiques aigues), il veut donc « changer d’air ». Il recherche le soleil et la lumière. Il se tourne assez naturellement vers l’Italie car la « tradition » du voyage en Italie est déjà bien établie chez les écrivains et les artistes : Goethe, Stendhal, etc… Il va séjourner à Sorrente, Gênes, Venise, Messine, Florence, Venise, puis, les dernières années, à Turin qui devient sa ville préférée. Il y apprécie les réalisations récentes de la monarchie de Piémont-Savoie, ses grandes avenues « tirées au cordeau » (contrairement à beaucoup de villes italiennes), ses belles places, ses palais. C’est à Turin, début 1889, qu’il connaît la crise nommée « l’effondrement de Turin ». Jusqu’à sa mort en 1900, il vivra ensuite dans un état proche de la démence.

Et ses relations avec les femmes, me direz-vous ? Et bien non, il n’y a pas de « belle italienne », grande différence avec Stendhal, qu’il admire, et qui adore raconter ses nombreuses rencontres, mondaines et autres. Aucune de ces lettres ne mentionne explicitement Lou Andreas-Salomé, qui forme avec Nietzsche et Paul Rée (un des amis qui l’accompagne dans son séjour de 1876/77 à Sorrente) une « Trinité » marquée par la pensée libre et le refus des conventions.

Sur le plan des idées, c’est peu après son premier séjour de 1876 à Sorrente, où il voit Wagner, qu’il rompt avec ce chantre exalté du nationalisme allemand. Il récuse toute assimilation de l’esprit de puissance ou d’une quelconque « théorie du « surhomme » avec le projet politique de l’époque de grand Empire Allemand (sous la houlette de Bismarck). Mais, à la fin de sa vie et après sa mort, sa sœur Elisabeth, qui a épousé un certain Bernhard Forster, ultra-nationaliste et antisémite, jouera un rôle néfaste dans l’interprétation de son œuvre . Elle finira par offrir la canne de son frère à Hitler avant de décéder en 1935 !

Enfin, je note, dans les nombreuses lettres de1888, dernière année avant l’effondrement, qu’il apparaît de plus en plus imbu de la supériorité de sa personne et de sa pensée. Peut-être des signaux précurseurs de l’effondrement ? Voici quelques extraits :  lettre à sa mère : « Au fond, ta vieille créature est maintenant une bête monstrueusement célèbre : non pas précisément en Allemagne car les Allemands sont trop bêtes et trop vulgaires pour la hauteur de mon esprit et m’ont toujours décrié, mais partout ailleurs. Je n’ai, parmi mes admirateurs, que des natures choisies ; que des hommes haut placés et influents, à St-Pétersbourg, à Paris, à Stockholm, à Vienne, à New York ». Autre lettre de la même période : « Ce qui est curieux ici à Turin, c’est la fascination complète que j’exerce, quoique je sois l’homme le moins exigeant et que je ne réclame rien. Mais quand j’entre dans un grand magasin, tous les visages changent ; les femmes dans la rue me regardent, ma vieille marchande des quatre-saisons met de côté pour moi les raisins les plus suaves et a baissé le prix ! »

J’ai pris grand plaisir à lire ces lettres car j’y ai trouvé des rayons de lumière éclatante projetés sur un homme perçu comme sombre et tragique.

                                                                                                 Signé VIEUZIBOU

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