C’est très intéressant de relire un livre, pourtant récent, à la lumière d’évènements très actuels. Christophe GUILLUY prophétisait, et ce, avant le mouvement des Gilets Jaunes, la fin de la classe moyenne occidentale dans son livre paru en 2018 « No SOCIETY » faisant suite aux trois autres que j’ai chroniqués ici. (Fractures françaises, La France périphérique, Le Crépuscule de la France d'en haut).
Quand je l’ai lu, cet été, nous n’avions pas encore les français dans la rue à l’annonce d’une ènième (et aussi injuste) réforme des retraites. C’est bien pour cela que je l’ai relu et que décidément, Christophe GUILLUY avait vu juste.
De quoi est il question dans ce dernier essai ?
Christophe Guilluy utilise pour donner titre à cette analyse l’expression de Margaret Thatcher en 1987 « There is no society» : la société, ça n’existe pas.
Ce serait encore énigmatique, si, à l’appui de cette déclaration, nous n’avions pas entendu les mots si méprisants, en 2016, d’Hillary Clinton qui traitait les électeurs de Trump de « panier de gens déplorables », (ceux qui sont "racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes. A vous de choisir" précisait-t-elle). Or nous savons bien que ces « déplorables » ce sont justement les « petits blancs » de la Rust Belt, ceux qui ont perdu leurs emplois et qui se sont trouvés marginalisés alors même qu’il constituaient une frange importante de la population. En 2017, François Hollande qualifiait de « sans-dents », les ouvriers et employés précarisés, c’est à dire ceux qui se sont majoritairement identifiés aux Gilets Jaunes, ces « gaulois réfractaires », « fainéants », « qui ne sont rien » de Macron. Pour compléter le mépris de classe, on a aussi enregistré les déclarations de Darmanin ou Castaner sur les Gilets jaunes, les traitant de « peste brune », « racistes », « antisémites », « homophobes », « foules haineuses »…De tout cela il découle, selon Guilluy, que les classes dominantes occidentales se sont dressées contre leur peuple. Les classes moyennes (ou ce qu’il en reste) sont les grandes perdantes de l’entreprise néo-libérale, destinées à être marginalisées, invisibilisées, et même tondues car devenues, selon les « gagnants des grandes métropoles » , inutiles. De leur côté, conscientes de leur relégation, les classes populaires n’accordent plus aucune légitimité au monde d’en haut.
« Deux mondes hermétiques socialement et culturellement se font désormais face. D’une part, le monde d’en haut enfermé dans ses métropoles (de nouvelles cités-Etat cherchant à s’extraire du cadre national, dit Guilluy), d’autre part le monde d’en bas travaillé par le populisme (Trump, Brexit, Salvini, Le Pen…) et que l’Etat abandonne progressivement (réduction des services publics, démantèlement de la protection sociale, démantèlement de l’organisation territoriale, précarisation des emplois, transfert du patrimoine public à la sphère privée…). Selon Guilluy, « le destin des classes populaires n’entre pas dans le logiciel » des classes dominantes. » (Antonin Campana )
On aura bien compris que les gouvernements successifs français n’ont fait qu’accélérer le mouvement et la récente « réforme des retraites » n’en est que la conséquence logique.
Voyons de plus près ce qu’en pensait GUILLUY en 2018.
Page 66 sous le titre « Dernière étape : la sortie programmée des héritiers de la classe moyenne », il écrit :
« Dans de nombreux pays occidentaux, le maintien du niveau de vie des retraités et des fonctionnaires a longtemps permis de limiter la régression sociale ». En France, 20% des salariés relèvent de la fonction publique (1 travailleur sur 5) et 24% de la population est retraitée.
Il se trouve que ce sont ces catégories qui ont aussi le plus voté Macron en 2017, pour assurer la survie du système politique. Or ce sont ces catégories visées par ce même Macron pour réduire la dette de la France au profit des super riches.
Pour piller ces pauvres gens, il faut d’abord les désigner comme étant des privilégiés. Les chiens de garde du pouvoir, (les media dominants que même moi je n’arrive plus du tout à regarder tellement ils sont devenus les honteux serviteurs de "la caste") se chargent du travail en présentant les « vieux » comme des bénéficiaires scandaleusement avantagés par une carrière joyeuse (les 30 glorieuses) et des revenus soit-disant plus élevés que ceux des « travailleurs ». Qu’il y ait 600 000 retraités qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ne compte pas !
A travers la baisse de leurs revenus (CSG, puis hausse des frais de santé etc..) ce sont leurs héritiers qu’on vise aussi. La classe moyenne/basse va devoir se passer de l’aide des plus anciens, leur patrimoine (IFI) sera grignoté, leurs assurances vie taxées.
J’ajoute qu’un « détail »de la réforme de la retraite en cours montre bien qui est visé : les plus riches cotiseront moins sur leurs revenus au titre de la retraite. La nouvelle réforme propose donc de porter les cotisations à 28% sur tous les salaires jusqu'à 10.000 euros par mois et cela tombe ensuite à 2,8% au-delà des 120.000 euros donc dix fois moins. Au total c’est plus de 3 milliards d’euros en moins dans les caisses de retraite ! Il faudra bien « retrouver » cet argent et devinez qui en fera les frais ?
Quant aux fonctionnaires, ces autres privilégiés qu’il s’agit de faire tomber dans la précarité et le désespoir (voir ce qui se passe dans les hôpitaux et dans l’Education Nationale), c’est facile de les assimiler aux « régimes spéciaux » (qui, eux,ne concernent que 2% des salariés), d’autant que si les français voient disparaitre leurs services publics, ils ne font pas encore complètement le lien entre ce qu'ils croient être des privilèges et la continuité du service public.
J’ajoute que s’agissant du slogan : « il faut travailler plus longtemps parce qu’on vit plus longtemps », nous a non seulement été déjà servi par les précédents gouvernements, mais qu’il est un leurre total. Dans un pays où on compte plus de 3 millions de chômeurs et de très nombreux précaires, le travail jusqu’à 64 ans (et même déjà jusqu’à 62 ans) est presqu’impossible. J’entends le travail à plein temps, qui permet de vivre de son salaire, bien sûr.
Car le travail mal payé, à temps partiel des retraités existe déjà, et est très largement utilisé.
Conséquences les plus visibles de ces attaques sur les classes moyennes :
Les retraités précarisés vont voter comme les autres dorénavant. Exemple Trump, le Brexit, les montées des fascismes (Italie, Allemagne, et autres) .
Les « héritiers modestes » de ces retraités dépossédés vont renoncer à l’idée même de faire des études (trop chères, trop peu d’espoir).
Les nouveaux arrivants (qui existeront toujours, à mois de construire des barbelés autour de la France) ne chercheront plus à s’assimiler et revendiqueront leur multiculturalisme. C’est le règne du relativisme culturel, du communautarisme et de l’islamisme qui permettent de se référer à une identité moins dévalorisée que celle des « sans dents », à laquelle personne n’a envie de ressembler. Nos modèles d’intégration s’effondrent donc.
Dans ce contexte, écrit Guilluy, la religion du politiquement correct apparait comme une arme de classe très efficace contre l’ancienne classe moyenne. Cette idéologie vise essentiellement à ostraciser les classes moyennes.
« La victimisation des minorités par le monde d’en haut, cette essentialisation qui rappelle celle de l’indigène à l’époque coloniale, participe à l’enfermement identitaire des minorités et permet aux classes supérieures d’évacuer la question sociale en la substituant à celle de l’altérité culturelle. Dans cette configuration, la nouvelle bourgeoisie n’exploite pas les immigrés [..], elle vient à la rencontre le de l’Autre en l’aidant à s’intégrer. La question sociale étant évacuée, il convient de mettre à l’écart les catégories qui pourraient réactiver un rapport de classe et qui représenteraient l’ancienne classe moyenne occidentale. »
Tout se tient, GUILLUY est vraiment un précurseur, il faut le lire absolument.