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Fractures françaises (Christophe GUILLUY 2010 ed DECITRE)

Fractures françaises (Christophe GUILLUY 2010 ed DECITRE)

Trois analyses de CHRISTOPHE GUILLUY

J’ai enfin lu les livres de Christophe Guilluy et je vais, dans trois posts  qui se suivent en présenter les analyses.

Ce géographe a rejoint nombre de philosophes, démographes, sociologues et autres politologues venus de « la gauche », mais qui, à un moment donné de leur réflexion, estiment en leur âme et conscience devoir rompre avec l’idéologie dominante, tant celle-ci leur paraît enfermée dans le déni de réalité.

Ils ont vite été taxés de « réactionnaires » par ceux qui rêvent encore des grandes oppositions droite-gauche, repères qui ont bercé nos adolescences mais que je trouve moi aussi, à la lumière des réflexions de Jean Claude Michea (mon philosophe actuel préféré) très largement dépassés.

  1. FRACTURES FRANCAISES (2010)

Le rapport de la DGTPE en février 2013 montre que, entre 2000 et 2007, 63 % des destructions d’emplois industriels en France avaient été le fait de la concurrence internationale.

La classe politique française a « oublié » les classes populaires dans ses discours et nie « tout antagonisme social au profit d’une image d’une société apaisée, consensuelle, avec une classe moyenne majoritaire ». Les classes populaires, principales victimes de la mondialisation, sont devenues « invisibles » pour la sphère médiatique et pour la classe politique. Or, en 2010, près de 8 millions de Français sont considérés comme pauvres.

Or les classes populaires montrent une hostilité croissante au processus de mondialisation, qu’elles tiennent pour responsable de la dégradation continue de leurs conditions de travail. (elles ont raison).

L’objet du livre est de mettre en lumière « la recomposition sociale et démographique des territoires », en illustrant la réalité des pratiques d’évitement résidentiel et scolaire. La disparition des classes populaires des sphères médiatiques et politiques est en effet liée à la relégation spatiale qu’elles subissent depuis 20 ans.

Elles occupent désormais une place « périphérique » aussi bien sur le plan géographique que politique. L’auteur conclut que la question « du séparatisme traverse l’ensemble de la société », nuit fortement à la cohésion nationale, même si la France n’est pas encore sur le chemin de la société américaine.

L’auteur revient sur les représentations caricaturales des banlieues, des minorités et de la classe moyenne au sein des classes dominantes et de la classe politique, à savoir l’idée que nous serions entrés dans une société communautarisée avec des banlieues (regroupant les minorités ethniques) s’opposant à des territoires où se concentrerait la classe moyenne blanche. Cette caricature remplit une fonction idéologique : évacuer la question sociale (« au traditionnel conflit de classe s’est substituée toute une analyse sociétale qui oppose les minorités ethniques à une majorité supposée homogène socialement »). En rendant obsolète la question sociale, cette caricature permet de remplacer peu à peu l’égalitarisme républicain par un « égalitarisme multiculturel », moins exigeant socialement. Les politiques de diversité jouent le même rôle et, surtout, ne prennent pas en compte le fait que les classes populaires restent « viscéralement attachées aux principes d’égalité ».  La nouvelle fracture spatiale et politique pertinente concerne désormais celle qui sépare « les métropoles embourgeoisées et cosmopolites », bénéficiant de la mondialisation, « d’une « France périphérique » (les zones périurbaines et rurales qui en subissent les effets). Ce modèle serait à l’œuvre aussi bien dans les pays développés que dans les pays émergents. L’auteur dénonce la grille de lecture erronée des médias et de la classe politique sur les banlieues : celles-ci ne sont pas les ghettos américains, tandis que les pavillons ne sont plus ceux de l’ascension sociale des classes moyennes.

Il souligne qu’une vision erronée des banlieues masque l’importance des nouvelles dynamiques urbaines et sociales. La « jeunesse agitée et en décrochage des quartiers ne représente qu’une faible minorité des habitants ».i l dénonce la réduction, par les médias, de la population des quartiers sensibles aux seuls jeunes.

Les effets de la précarité et du chômage dépassent largement la question des banlieues. Ils concernent de plus en plus les territoires périurbains et ruraux.  L’auteur identifie l’émergence d’une petite bourgeoisie issue de l’immigration maghrébine et africaine et l’augmentation de jeunes diplômés originaires de ces quartiers. Ce phénomène passe inaperçu car, surtout lorsqu’il s’agit de diplômés des études supérieures, ces derniers sont les premiers à s’en aller.    La question sociale s’efface derrière celle des minorités : l’attention plus grande portée par la classe politique française, et la gauche en particulier, aux banlieues et aux minorités va de pair « avec une indifférence plus grande pour la classe ouvrière en particulier et, plus massivement encore, pour les couches populaires des espaces périurbains et ruraux ». La question ethnique n’est que le reflet « du basculement du social vers le sociétal ». De plus en plus, « les individus ne sont plus prioritairement définis par leur position sociale mais d’abord par une origine ethnoculturelle ».

L’exemple de la discrimination positive appliquée aux grandes écoles est éclairant. La volonté de faire entrer plus de « diversité » à l’ENA ou à Sciences Po n’a ainsi donné lieu à aucune réflexion de fond sur la crise de la mobilité sociale pour l’ensemble des milieux populaires.

« Si les élites sont prêtes à s’ouvrir à la diversité ethnique, peu considèrent la diversité sociale, qui remettrait en cause un système dont elles bénéficient, comme une priorité ». Les quartiers sensibles « ne représentent que 7 % de la population ».

L’autre diagnostic :  Les populations des quartiers, hier insérées dans une ville industrielle où les emplois peu qualifiés étaient nombreux, se retrouvent aujourd’hui peu à peu marginalisées sur le marché de l’emploi : « La Seine-Saint-Denis illustre parfaitement ce phénomène. Ce département enregistre depuis une dizaine d’années une croissance économique remarquable, basée sur le développement des activités tertiaires métropolitaines. Le PIB par habitant classe la Seine-Saint-Denis parmi les quinze départements les plus riches de France. Du fait de sa nouvelle centralité, « la Seine Saint Denis attire de plus en plus de sièges sociaux et d’entreprises de pointe. La création d’emplois y est considérable . Pourtant, ce boom économique ne semble pas bénéficier aux habitants peu ou pas qualifiés.  Le paradoxe tient au fait que le développement économique renforce ici le processus de relégation de certains quartiers ».

La France périphérique :  L’évolution du marché de l’immobilier et la gentrification des centres-villes favorisent l’éviction des classes populaires du cœur des villes, donc de l’accès à l’emploi et à une offre scolaire diversifiée. « Des espaces périurbains aux espaces ruraux, des petites villes moyennes et industrielles aux villages de la campagne profonde, la France périphérique subit fortement les effets de la mondialisation libérale. C’est précisément là que se multiplient les plans sociaux et que les ouvriers et les employés subissent depuis vingt ans une dégradation sensible de leurs conditions de travail et parfois de vie » tandis que « les métropoles donnent l’illusion d’une mondialisation heureuse ». L’auteur souligne l’émergence « d’une nouvelle classe populaire qui n’a plus grand-chose en commun avec les classes ouvrières du passé » du fait de l’éloignement géographique des grands centres urbains, du passage de grandes unités de travail industrielles à de petites entreprises tertiaires.

Ces classes populaires refusent désormais la mixité avec d’autres communautés. « La dimension raciale n’apparaît pas ici comme le ressort essentiel du séparatisme » ; « il est plutôt rationnel de vouloir quitter ou de refuser d’habiter dans des quartiers où la sécurité des personnes et des biens n’est pas suffisamment assurée.

L’auteur conclut par la constatation  (le livre est publié en 2010) que la mondialisation crée les conditions d’un retour du conflit : « La mise en concurrence des couches populaires « d’ici » avec les travailleurs de « là-bas » et le dumping social exercé par l’immigration sont en train d’atteindre leurs limites ».

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