C’est une mise en scène historique de la fameuse dernière pièce de Molière, celle de Claude Stratz, aujourd’hui disparu, qui est en tournée à travers la France et le Monde. Cette mise en scène a été créée en 2001 et a été jouée plus de 500 fois depuis.
La troupe de la Comédie Française qui comprend plus de 535 sociétaires se charge de faire revivre la pièce, la mise en scène et Molière dans une distribution sensationnelle. Argan est joué par Guillaume Gallienne, Julie Sicard assure le rôle de Toinette, Christian Hecq est hallucinant dans le costume de Diafoirus…La musique est celle de Marc-Olivier Dupin.
Pour revenir un instant sur le contexte :
C’est donc la dernière pièce écrite et jouée par Molière, alors très malade, et qui mourra à la 4ème représentation vraisemblablement de tuberculose, le 17 février 1673,
Molière s’est marié en 1662, donc à 40 ans, avec Armande Béjart (la fille de Madeleine, son actrice fétiche et sa grande amie), de 20 ans sa cadette et qui le trompe effrontément, (à 51 ans),
Molière a plein d’emmerdements avec Lully, qui, en tant que surintendant de la musique royale, veut (et obtient finalement du roi) l’exclusivité des spectacles chantés. Il est, en conséquence, interdit aux troupes théâtrales de faire chanter une pièce entière sans sa permission.
La troupe de Molière proteste, une bonne partie de son répertoire étant constituée de comédies-ballets. Le , le roi lui accorde la permission d’employer 6 chanteurs et 12 instrumentistes, à peu près l’effectif utilisé par son théâtre.
Le Malade imaginaire est une comédie-ballet, car il faut aussi dire que le roi aime bien la forme chantée et dansée.
Molière est bien sûr au sommet de son art mais :
Les Fourberies de Scapin, créées le , sont un échec : 18 représentations seulement, avec des recettes de plus en plus faibles.
En revanche, le 11 mars 1672, Les Femmes savantes, septième et dernière grande comédie en cinq actes et en vers de Molière, est créée au Palais-Royal. C'est un franc succès : 1 735 livres de recette !
Le Malade imaginaire s’annonce très bien, les "entrées" sont de suite au RV. Le Malade imaginaire a effectivement pour but de « délasser » Louis XIV à son retour de la guerre. Ce dernier, comme il se doit, est loué dans un ballet champêtre initial. (les intermèdes musicaux sont loin d’être accessoires et prennent plus d’une heure dans la version originelle).
Et maintenant sur le texte :
Argan est un vieil hypocondriaque, vivant quasiment tout le temps dans son lit et soumis comme un enfant au bon vouloir de ses médecins,
Lesquels ne savent de débiter des phrases en latin et administrer clystères et saignées.
Argan, dans son égoïsme, veut marier sa fille à un médecin, le fils de celui qui le traite et qui est un parfait imbécile ;
Mais Toinette, la servante, veille au grain. Elle se déguise même en médecin pour montrer à son maître combien ceux qui professent de soigner sont en réalité de grands ignorants, cyniques et dangereux (elle propose d’enlever un œil à Argan pour que l’autre se porte mieux) ;
Et c’est aussi elle qui organise la fausse mort d’Argan qui révèle à ce dernier les vraies personnalités de ceux et celles qui l’entourent.
Sur ce que j’en pense :
La mise en scène est fabuleuse. Argan siège sur un fauteuil percé, quasiment pendant toute la pièce, fauteuil qui ressemble au vrai, encore exposé sous vitrine au Français,
Il est habillé de vêtements de nuit, mais surtout emmailloté dans une sorte de couche-culotte horrible, tenue par des bretelles sous un pan de linge sale. L’obscénité de sa tenue est soulignée par Toinette qui recueille ses selles dans un seau hygiénique après les avoir reniflées avec dégout.
La mise en scène utilise des costumes d’époque. Les médecins sont caricaturés, en grand costumes noirs, avec des chapeaux similaires à ceux des Trois Brigands de Tomi Ungerer.
Mais on pourrait bien faire jouer Molière en tenue de cosmonaute ou en costume-cravate, le texte reste d’une actualité incroyable.
Car, s’il s’agit de se moquer des médecins, il s’agit aussi de rire du malade-bien portant, de son narcissisme et de sa soumission. Toute passion est funeste nous dit Molière et tous les défauts de l’âme conduisent à ce que des scélérats en profitent.
Le cas des médecins est très spécial, car, comme ce que j’ai pu constater encore aujourd’hui (on me concèdera que mon expérience, si elle n’est pas à elle seule une preuve décisive, n’en recoupe pas moins d’autres témoignages concordants), si vous n’obéissez pas à leurs prescriptions, les médecins ont une fâcheuse tendance à vous menacer des pires tourments, voire, comme cela a pu être le cas de certains de mes amis, d’une mort certaine !
Du côté des malades, la peur de la mort conduit à une soumission quasiment sans borne. C’est tout de même étonnant (non, je ne juge pas, je comprends) que des personnes victimes d’une maladie incurable, se laissent faire des examens hyper douloureux et sont parfois consentants à des traitements épuisants.
C’est bien ce que dénonce Molière qui affirme que l’on meurt plus souvent (à son époque, c’était très vrai) du traitement que de la maladie.
Et que dire de la fin qu’il imagine ? Argan dans un simulacre de cérémonie devient lui aussi médecin. Il n’est pas meilleur médecin que soi-même, ne serait-ce que pour la prévention des maladies, et je dirais quant à moi que la meilleure médecine ne peut pas se passer du consentement actif, « éclairé » et de la participation du malade lui-même.
Toute la pièce est construite sur le concept de fausseté : faux malade, faux médecin, faux sentiments, fausse médecine, faux mort, faux diplôme !
Molière, malade et qui mourra à la 4ème , aura cette lucidité de faire dire à Argan, qui joue le faux-mort, cette remarque célèbre : « N'y a-t-il pas quelque danger à contrefaire le mort ? ».
Le spectacle tourne en région parisienne toute cette fin d'année et sera au théâtre Marigny au printemps 2020.