Les destins parallèles de Carlos Ghosn et Renault vont-ils désormais diverger ? Les choses bougent des deux côtés.
Que devient notre ultra-riche, résident fiscal aux Pays-Bas ? On en apprend toujours plus sur son appétit insatiable pour les richesses, à commencer par les résidences de luxe ! Au Liban, le berceau de la famille, il a acheté une modeste résidence dans le quartier le plus chic de Beyrouth, pour la modeste somme de 9,5 millions de dollars.
Auxquels s’ajoutent 7,2 millions de travaux de « rénovation » avec entre autres cave à vin, salle de gymnastique, et sol transparent pour laisser voir deux sarcophages apparus durant les travaux. Les rémunérations occultes ? Puisque la filiale néerlandaise BV a été créée pour « récompenser » des cadres avec l’argent en principe économisé par le rapprochement des constructeurs automobiles du groupe, pourquoi se priverait-il d’y émarger ? Il aurait signé avec BV un contrat de travail avec prime à la signature de 1,46 million d’euros et un salaire annuel supplémentaire de 5,82 millions d’euros. On est pris de vertige.
Attention, Carlos Ghosn contre-attaque ! Dans une interview au quotidien économique japonais « Nikkei », la première depuis son incarcération il y a plus de deux mois, il dénonce « un complot et une trahison ». Tout le monde était au courant de mes actions, dit-il, en premier lieu les deux directeurs généraux de Nissan et Renault, Hiroto Saikawa (le principal accusateur, le « traître ») et Thierry Bolloré (qui est resté beaucoup plus discret, lui).
Il confirme au passage qu’il y avait bien un plan d’intégration de Renault, Nissan et Mitsubishi Motors, dont il avait discuté dès septembre 2018 avec Hiroto Saikawa. Le tout aurait dû être bouclé justement maintenant, fin janvier. Mais ce dirigeant tout puissant se fait bien modeste en rappelant qu’il s’agit d’une demande forte du gouvernement français, premier actionnaire de Renault. Et en se défendant de toute dérive dictatoriale. « On confond un leadership fort avec une dictature. Ce n’est pas là la réalité, c’était simplement pour se débarrasser de moi ». Les super-appartements « de fonction » à Tokyo et Paris, les habitations de luxe à Rio de Janeiro et Beyrouth, tout était approuvé par le service juridique, tout le monde savait, et d’ailleurs « j’avais besoin d’un lieu sûr où je pouvais travailler et recevoir des invités aussi bien au Brésil qu’au Liban » ! On pourrait remarquer que ce n’est pas parce que « tout le monde est au courant » que les faits sont moins choquants. Le business mondial n’est pas une cour de récréation où les gamins essayent de ne pas se faire prendre. En principe….
D’ailleurs Carlos Ghosn aime bien comparer sa rémunération à celles de ses homologues, les PDG de General Motors, Ford ou Fiat. Il prétend même que, lors de la crise de 2008-2009, il se serait « dévoué » pour rester à la tête de l’alliance Renault-Nissan et la préserver de la crise alors que, paraît-il, Barack Obama lui aurait proposé de diriger General Motors. Quelle abnégation ! Mais il n’a pas convaincu le parquet japonais qui continue à refuser toute libération sous caution, en affirmant qu’il pourrait influencer tous les protagonistes et témoins concernés par les différentes enquêtes.
Chez Renault, justement, on s’est décidé à se passer des éminents et dévoués services de Carlos Ghosn. « On », c’est aussi le gouvernement français, qui réalise que la situation est intenable. Il y a une semaine, il a été remplacé par un patron que l’on se plaît déjà à décrire comme l’exact opposé du flamboyant Carlos Ghosn : discret, réservé, courtois, et qui a hérité de son père diplomate (ancien ambassadeur en Egypte et en Italie) le sens du dialogue, l’intérêt pour l’Histoire , et qui a montré chez Michelin qu’il possédait le sens du dialogue social. Il s’agit de Jean-Dominique Senard.
Michelin. Les plus anciens d’entre nous se rappellent l’image ancienne de cette entreprise atypique, jugée ringarde, propriété d’une famille paternaliste qui prenait en charge ses ouvriers dans un « Univers Michelin » : les cantines, les magasins, les cités ouvrières, les rues qui portaient des noms de morale chrétienne (rue de la Bienfaisance, de la Charité, etc…).
En contrepartie, pas ou peu de dialogue social, il ne faisait pas bon être syndicaliste et revendiquer. Mais les choses ont évolué. A l’époque du capitalisme mondialisé et des managers internationaux, la proximité du patron et des ouvriers (même si le patron habite une grande et confortable villa à côté des cités ouvrières) a peut-être du bon. Et le dernier héritier Michelin, Edouard, a « ouvert les fenêtres » de l’entreprise, et l’a modernisée. C’est après son décès que JD Senard est devenu le premier PDG non issu de la famille. Et c’est lui qui a été le premier patron de Michelin à recevoir les syndicats dans son bureau. Attention, ce n’est pas non plus un philanthrope. Il vient d’organiser le départ volontaire de 970 salariés à Clermont-Ferrand et a récemment annoncé la fermeture de l’usine de Dundee (845 salariés) en Ecosse. Et il affiche une rémunération de 3,7 millions d’euros en 2017, année durant laquelle Michelin a réalisé le plus gros bénéfice de son histoire. Pas mal pour un partisan d’un « capitalisme raisonnable ».
Notre homme se targue de réfléchir aux grandes problématiques sociales, il est l’auteur d’un rapport corédigé avec Nicole Notat sur « l’entreprise, objet d’intérêt collectif », qui préconise de développer la fameuse RSE (responsabilité sociale et environnementale), responsabilité, c’est son maître mot. A 65 ans, il est passé par plusieurs grandes entreprises (Saint-Gobain, Pechiney) et se dit préoccupé par la financiarisation de l’économie, qu’il a pu observer de près. Il a même pensé à briguer la présidence du MEDEF, mais certains autres grands patrons, en tout désintéressement bien sûr, ont refusé de modifier la limite d’âge en sa faveur.
Ce bel ancrage dans la tradition industrielle française (qui est bien mal en point en ce moment) est-il un bien ou un mal pour Renault ? Est-ce un atout pour cette entreprise ou au contraire risque-t-elle encore plus de devenir la cible de prédateurs ? Je ne sais pas trop.
Et pendant ce temps…L’entreprise Technip, que j’évoquais dans l’épisode précédent, réapparaît dans l’actualité. En trois ans, trois de ses ingénieurs ont mis fin à leurs jours. Il est toujours délicat, devant de tels drames, de faire un lien de cause à effet. Dans les deux cas qui suivent, le lien a convaincu l’Inspection du Travail, les représentants du personnel et bien entendu les proches des victimes, qui ont tous saisi la justice (qui n’a pas encore statué). En 2016, un ingénieur basé dans la tour de la société à Paris quitte son bureau, prend l’escalier de service, et se pend entre deux étages. Moins d’un an plus tard, son manager, à la tête d’un des services clés de l’entreprise, très apprécié par ses équipes, bourreau de travail mais « dépassé par les objectifs toujours plus nombreux qui lui étaient assignés » se suicide aussi par pendaison.
Les témoignages affluent : autres tentatives de suicide, nombreux « burn-out ». En cause ? Avant tout la fusion avec l’américain FMC à commencer par les restructurations qui l’on précédée puis accompagnée. « Tout le monde a été désorienté, des métiers ont disparu. Pour obtenir des renseignements élémentaires, il nous faut désormais appeler des plateformes installées en Inde ou en Italie ». Fusion, ou plutôt absorption. « Nous avions un carnet de commandes quatre fois plus rempli et deux fois plus de personnel, mais ce sont eux qui nous ont mangés ». Les fonctions de direction auraient dû être partagées à parts égales, mais le management est devenu américain à 100%. Tiens, à propos : Technip a payé une amende de 338 millions de dollars en 2010 aux Américains au titre du fameux FCPA ( Foreign Corruption Practice Act) dont il a été récemment question dans ce blog.
Quant au PDG américain de Technip, il a été payé 11millions d’euros en 2017, il devenait ainsi le patron le mieux payé du CAC 40 après Carlos Ghosn, trois fois plus que JD Senard chez Michelin.
Le temps des prédateurs est bien là.
signé Vieuzibou