C’est un thriller à 13 milliards de dollars qui se dévore à toute allure. Frédéric Pierucci vient de sortir (avec Matthieu Aron) son témoignage qui concerne une des plus grandes actions de prédation économique, entreprise par les USA depuis 20 ans.
Pour ceux qui auraient encore des doutes, je le dis et le répète, les USA sont nos plus grands ennemis sur le plan économique. Ils sont responsables pour une large part de la déstabilisation des économies européennes. (et on ne parle pas d’amitié entre les peuples quand il s’agit d’intérêts. Comme le dit l’un des personnages de ce roman réel, si vous voulez de l’amour, achetez-vous un chien). Je ne me réfère pas seulement aux banques et au système financier mais à notre appareil de production le plus sensible et le plus technologiquement avancé qui reste (tait) encore dans nos mains.
Et tout cela s’est fait grâce à la lâcheté des patrons les mieux payés du monde et avec la complicité, of course, de nos politiques.
Si une certaine candidate au second tour des élections présidentielles avait mieux travaillé ses dossiers, elle aurait pu, sur cette seule affaire, coincer le président des riches qui nous gouverne aujourd’hui. Attention, je ne dis pas que c’est ce que j’aurais voulu, non, pas du tout, mais n’importe qui aurait pu mettre en difficulté ce candidat sur l’affaire ALSTOM, car c’est de cette entreprise qu’il s’agit. Car notre grand président a bien contribué à vendre, dans les pires circonstances, ce fleuron de notre industrie la plus stratégique.
Je rappelle qu’ALSTOM fabriquait des turbines pour toutes nos centrales nucléaires (c’est-à-dire toute notre énergie pratiquement) avant d’être vendue à General Electric pour 13 milliard dont zéro nous est revenu si on enlève l’amende record, les dettes, et autres zakouskis. Autrement dit, une technologie que le monde entier nous enviait (qui fournissait aussi notamment les turbines pour notre porte-avion Charles de Gaulle et de nombreux éléments de dépollution des centrales charbon partout dans le monde) est passée sans problème dans le giron américain.
On verra plus tard que ce n’est pas le seul cas de figure et que les USA sont passés maîtres dans l’art d’utiliser le droit pour leurs entreprises prédatrices.
Alors comment cela s’est-il passé pour ALSTOM ?
Il faut savoir que depuis l’affaire du WATERGATE, un système de financement occulte et de corruption des agents publics étrangers a été mis à jour aux USA. En conséquence, des lois ont été votées outre atlantique pour éviter que les entreprises américaines ne continuent à verser des pots de vin nuisibles aux intérêts souvent stratégiques des américains. Cela s’appelle l e Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), loi fédérale américaine de 1977, prise pour lutter contre la corruption d'agents publics à l’étranger (fonctionnaires, délégataires d’une mission de service public). Lockheed a ainsi versé des dizaines de millions de dollars de pots de vin à des dirigeants d’entreprises publiques en Europe, au Japon, en Arabie Saoudite etc pour vendre ses avions de chasse concurrencés par les Rafales et Mirages français par exemple.
Jusque-là, tout va très bien, non ? Sauf que les grandes entreprises américaines ont vivement contesté ce dispositif et qu’elles n’ont été que peu sanctionnées. La Loi a donc été mise en sommeil. Oui, mais pendant ce temps-là, les majors américaines se sont rendues compte du bénéfice qu’elles pouvaient tirer de cette loi.
Elles obtiendront donc en 1998 que le loi FCPA soit désormais extraterritoriale.
Dès l’instant où un contrat a été conclu en dollars ou même lorsque de simples mails ont été échangés (la technologie d’Outlook ou de Gmail est américaine, et surtout- les serveurs sont basés aux USA), leur loi FCPA s’applique. Et le Patriot Act de 2003 va renforcer les pouvoirs du Département de la Justice des USA. Comment ? En donnant aux agences américaines FBI, CIA et NSA , le droit d’espionner tous azimuts. C’est justement ce qu’Edouard Snowden a dénoncé en 2013 lors du scandale PRISM.
Les USA ont également insisté pour que tous les pays de l’OCDE prennent des mesures anti-corruption similaires au FCPA. Et le piège s’est refermé.
Y échappent la Russie, la Chine et l’Inde qui ne font pas partie de l’OCDE, mais pas les entreprises européennes.
Bien sûr que c’est très bien de lutter contre la corruption dans le monde, pas de problème sur ce sujet.
Or, il se trouve que cette lutte, qui devrait être largement partagée, concerne essentiellement les entreprises européennes. C’est ainsi qu’entre 2010 et 2017, le montant des sanctions pour corruption s’est élevé à 343 millions de dollars pour les entreprises américaines et à 1, 9 milliards de dollars pour les entreprises européennes. Il me semble que quelque chose doit être pourri au Royaume…non ?.
Cette loi américaine est en fait un outil de guerre économique des USA contre l’Europe, pour appeler un chat un chat.
Frédéric Pierucci était le directeur monde de la section « chaudières » d’ALSTOM. Il vivait à Singapour au moment des faits.
En 2013, le 14 avril, alors qu’il avait une réunion d’affaires aux USA, il est « sorti » de l’avion qui venait de se poser à JFK, « sorti » sans ménagements et jeté dans une prison de haute sécurité, remplie de dealers et de criminels.
Pourquoi ?
Il l’apprendra au fur et à mesure. Son entreprise ALTSOM, dont il était un fidèle serviteur depuis 21 ans, s’était compromise en 2003 (donc une dizaine d’années auparavant) et avait versé une commission (entendons un pourcentage du prix d’achat) à un parlementaire indonésien. On voit qu’il n’y a rien à voir avec la loi américaine, sauf que la loi américaine est (in)justement appliquée aux autres….. Frédéric Pierucci était certainement au courant mais de très loin, il ne connaissait ni l’intermédiaire choisi, ni le parlementaire en question, bien sûr, et surtout n’avait, pour sa part, perçu aucune retro-commission comme cela a pu se faire dans d’autres histoires, plus « politiques ».
Pierucci a été abandonné à son triste sort :
Il a vécu un véritable calvaire carcéral, mains et pieds enchainés, sans le moindre droit élémentaire à la dignité. Il le raconte très bien et ça fait froid dans le dos, d’autant que les prisons sont privatisées et cherchent donc à gagner le plus d’argent possible. Les prisonniers paient une fortune pour la TV et le moindre supplément comme les coups de téléphone, l’accès à un PC fait l’objet de transactions financières hors de prix etc…
Mais, ce qui m’a le plus interpellée et qui est le plus stupéfiant, au travers de son témoignage, c’est le fonctionnement de la Justice Américaine.
Il n’y a pas de justice au sens où nous l’entendons. 98,5% des mises en examen se terminent par des plaider-coupable autrement dit des contrats en fric passés avec les procureurs. Ceux-ci n’instruisent qu’à charge, et disposent d’importants moyens de pression, ne serait-ce que le montant des peines de prison qui peuvent aller bien au-delà d’une vie humaine. (Contrairement à la France, la Justice américaine est très riche).
Les personnes qui sont soupçonnées, qu’elles soient coupables ou non, ont tout intérêt à plaider coupables sans quoi elles devront moisir en prison des années et des années.
Car il existe des barèmes stupides de points : des « sentencing guidelines » applicables à chaque infraction (supposée ou non). Suivant le montant de la commission versée, ou supposée versée, suivant le montant de bénéfices faits ou supposés faits par la société qui vous emploie, suivant le montant de vos primes, suivant …l’âge du capitaine et suivant surtout la jurisprudence dans chaque Etat, vous cumulez des points qui sont autant de mois de prison. On arrive facilement à 125 ans de prison pour un délit mineur (je veux dire un délit qui serait en France considéré comme mineur).
Je dis « vous » car je me sens, non pas concernée (encore qu’utilisatrice de Google et Facebook, je relève de la loi FCPA américaine comme chacun de vous) mais solidaire de Pierucci. Après tout, c’est un ingénieur comme ceux que j’ai fréquentés toute ma vie, qui a servi d’otage pour un plus gros poisson, son chef Patrick Kron, qui lui, en grand traître froid, est parti à la retraite, en vendant les bijoux de famille, muni d’une somme rondelette qui se chiffre en millions d’euros.
Pierucci, lui, la victime expiatoire, a fait 30 mois de prison, s’est retrouvé sans emploi, avec les difficultés familiales qu’on imagine, alors qu’il était seulement un acteur des décisions prises au plus haut !
Lisez ce livre, c’est vraiment très facile à lire et très, mais vraiment très instructif. Je ne suis pas prête de retourner aux USA même si je n’ai commis aucune infraction. Aux grandes oreilles qui me lisent certainement (on devient parano à force) je dis que je ne serais jamais fière d’un système qui n’a de juste que le nom ! Pourvu que l’exemple ne soit pas suivi en France !