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La sécession des riches et l'idée de nation

La sécession des riches et l'idée de nation

Il n’est pas nouveau de parler de sécession des riches  mais aujourd’hui, plus que jamais, et surtout à la veille d’élections européennes, j’ai envie de faire le point – avec mes modestes moyens- sur l’évolution du concept de nations.

Tout d’abord qu’est ce qu’une nation ? (Oui c’est scolaire, mais il faut en repasser par là)

Le dictionnaire nous donne l’étymologie : du latin natio, naissance, extraction, dérivant de natus, né.
Une nation est une communauté humaine ayant conscience d'être unie par une identité historique, culturelle, linguistique ou religieuse. En tant qu'entité politique, la nation, qui est un concept né de la construction des grands Etats européens, est une communauté caractérisée par un territoire propre, organisée en Etat. Elle est la personne juridique constituée des personnes régies par une même constitution."Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation" (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen).

Bien que nous connaissions des Etats sans territoire et des nations sans Etat, on va convenir de la définition ci-dessus pour notre réflexion.

Les nations et l’Europe

Grand sujet, les uns se sentant menacés de disparition des nations, les autres appelant de leurs vœux la constitution d’un seul Etat-Nation Européen.

Pour un État unitaire, comme la France, les implications de l’appartenance à l’Union européenne sont parfois perçues comme susceptibles d’affecter « le principe même de l’existence française, [en qualité d’] État national », selon la formule de Raymond Aron.  Or, le malaise existentiel contemporain est plutôt nourri par le sentiment d’impuissance de la puissance étatique et par l’impression d’assister à la fin de l’ère de l’État national souverain et protecteur. Cette situation est attribuée à l’Union Européenne qui serait toute puissante et aurait dépossédé nos Etats nationaux.

Il n’est pas faux de dire que l'Europe, construite dans l'ambiguïté d'un fédéralisme, est en train d'agoniser de ses contradictions : les solidarités n’existent pas aux yeux des citoyens qui voient clairement les différences qui s’accroissent d’un pays à l’autre et notamment entre l’Allemagne florissante et les autres pays qui peinent à ajuster leurs budgets. Or à l’origine des guerres, il existe toujours une injustice flagrante.

Mais justement, si l’Europe ne réussit pas à homogénéiser les économies, il faut aussi en chercher les causes dans le refus d’abandonner les nationalismes (chacun défend son propre pays avant de défendre des intérêts communs européens on le constate tous les jours, je n parle même pas des relations avec les USA qui se mènent de façon dispersée et non unie).

En effet, l'Europe d'aujourd'hui n'est réductible à aucune grille de lecture permettant de situer aisément ce projet :

  • Est- elle réductible à une identité géographique et géopolitique? Assurément non,
  • L'histoire, la culture constituent- elles une ressource plus efficace dans notre recherche d’identité européenne ? Pas davantage.

Il y a, par ailleurs, un autre problème bien plus grave qui fait le lit des nationalistes aux dépends de l’idée européenne: La conjugaison de la mondialisation économique, de la globalisation financière et du progrès technique et technologique, nous conduit à devenir une colonie numérique américaine, librement vassalisée par les GAFAM.

 

La crise migratoire  fait le reste, surtout que l’Europe reste impuissante à parler un langage commun et à agir. (Impuissance que, je le rappelle, nous avons voulue tant nous sommes inquiets de cette entité supra nationale qu'est l'Union Européenne, il est vrai fort peu démocratique au demeurant).

Alors, au lieu d’aller vers plus de fédéralisme et de donner plus de pouvoirs au Parlement européen, on a menti à certains en leur faisant miroiter Brexit, Frexit et j’en passe, comme si le seul secours serait de "revenir" aux limites nationales.

Le développement des communautarismes

Ces dernières années, de nombreux observateurs ont souligné le développement du communautarisme ethnoreligieux dans certains quartiers, dans le monde du travail, et même à l’école. On a toutes les raisons de le constater : des quartiers entiers commencent à se communautariser. J’ai bien lu , que, dans certaines zones, on ne voit plus une femme assise dans un café, ce qui est le marqueur d’une vision particulière du vivre ensemble.

Mais si  ce phénomène est bien réel, la cohésion de la société française est également menacée par un autre processus, moins visible à l’œil nu, mais néanmoins très prégnant. Il s’agit d’un processus de séparatisme social qui concerne toute une partie de la frange supérieure de la société.

Les membres de la classe supérieure se sont progressivement coupés du reste de la population et ont construit un entre-soi confortable, rendant les interactions avec le reste de la société de plus en plus difficiles.

Le cas de Paris est de ce point de vue emblématique. Les CSP+ qui ne représentaient seulement 24,7% de la population active en 1982 atteignent aujourd’hui près de 50%.

Ces CSP+ accordent une importance primordiale à l’acquisition d’un bon capital scolaire. Elles frappent à la porte de l’enseignement privé, renforçant ainsi la ségrégation scolaire et le non-mixage social. En conséquence, le sentiment de solidarité, mais aussi de responsabilité à l’égard de l’ensemble de la société – qui incombe traditionnellement aux élites-disparait .

La sécession des riches

Pour une partie de l’élite sociale, le cadre national est aujourd’hui obsolète et le lien au pays n’est plus fondamental. C’est dans ce contexte que l’on peut analyser la très forte hausse des expatriations.

 

Le nombre de Français immatriculés dans des consulats situés en Suisse, au Luxembourg ou en Grande-Bretagne a littéralement explosé. Contrairement au XXe siècle, où les élites avaient tout intérêt à régler les problèmes des pauvres parce qu’ils étaient militairement et économiquement vitaux, au XXIe siècle la stratégie la plus efficace (bien qu’implacable) pourrait être de se débarrasser des classes populaires et de la classe moyenne, devenue inutile.

Un parisien (aisé) se sent plus proche d’un londonien ou d’un berlinois que d’un habitant de Limoges.

Toute théorie nationaliste appliquée concrètement ne viendra que contribuer à ce projet funeste : appauvrir les classes populaires qui ne sont plus nécessaires ni comme travailleurs ni comme consommateurs, sans toucher le paradis des riches, déjà exilé dans des îles sans fiscalité où les transmissions ne font pas l’objet de reprises de la part d’Etats qui n’ont plus aucun pouvoir.

 

La géographie nationale n’est plus du tout la référence des solidarités nationales car les plus riches sont sortis de ce cadre depuis quelques années et comptent bien ne jamais y revenir. La démocratie n’est pas leur problème car ils se sentent bien plus concernés par les problèmes de médecine et de transhumanisme ! (ils seront les seuls à pouvoir vivre sur des îles artificielles, et à bénéficier de durées de vie allongées).

C’est bien pourquoi toute solution simpliste de « retour » au nationalisme ne peut que nuire à ceux qui y voient une solution à leurs problèmes.

Je suis consciente de n'avoir pas apporté de vraies solutions si ce n'est de faire très attention aux promesses qui semblent bénéfiques.

 

Références:

Thierry Pech: Le temps des riches anatomie d'une secession (2011) Seuil

Jerome Fourquet : Quand les riches font sécession (2018) Notes Fond J Jaurès

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