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L'école des femmes (Molière, Stéphane Braunschweig, Th Odéon)

L'école des femmes (Molière, Stéphane Braunschweig, Th Odéon)

Super spectacle hier soir à l'Odéon, "ce n'était que Molière". Stéphane Braunschweig a choisi une mise en scène actuelle qui n'interdit pas de revenir au contexte.

Rapide rappel du contexte :

Alors qu’il vient d’épouser Armande Béjart de vingt ans sa cadette (et surtout la fille de sa première compagne Madeleine Béjart), Molière (1622-1673) compose L’École des femmes,sa première grande comédie morale en vers répondant au principe castigat ridendo mores(corriger les mœurs par le rire).

La pièce a déclenché, dès ses début à la fois un grand succès et une longue polémique tant par son sujet (l’éducation et l’émancipation des femmes) que par sa forme (pléthore de récits,mélange de registres).

Rapide rappel du « pitch »

L’École des femmes reprend le thème de la précaution inutile.

Pour s’assurer, croit-il, de gagner une épouse fidèle et soumise en tous points à ses volontés, Arnolphe a recueilli une enfant pauvre, Agnès, qu’il a pris la précaution de faire élever au couvent en ordonnant qu’on la maintienne dans la plus grande ignorance possible. Mais Agnès, désormais en âge de se marier et, surtout, de tomber amoureuse, déjouera tous les plans d’Arnolphe... Une scène de reconnaissance finale rétablira Agnès dans ses droits en en faisant la fille cachée du riche Enrique et lui permettra de conclure l’alliance arrangée pour elle avec (coup de théâtre) le jeune Horace qu’elle aime.

La vision donnée de la jalousie des « biaux messieurs » par les domestiques est révélatrice du statut des femmes à l'époque de Molière:

 

Alain

« La femme est en effet le potage de l’homme ;
Et quand un homme voit d’autres hommes parfois,
Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts,
Il en montre aussitôt une colère extrême ».

La mise en scène de Stéphane Braunschweig

Après le mouvement « ME TOO » parler du patriarcat, de l’inceste et du viol semblait assez compliqué même s’il s’agissait de Molière.

Stéphane Braunschweig a eu plusieurs coups de génie :

- Installer Arnolphe et son ami Chrysalde dans une salle de sport dès le début de la pièce. Quoi de mieux pour montrer un vieil Arnolphe (enfin il est censé avoir 42 ans , mais c’était un vieillard à l’époque) cherchant à demeurer en forme, malgré les atteintes de l’âge !

 - Toute la pièce se déroule devant la maison qui “abrite” Agnès. Plusieurs parois transparentes figurent une série de boîtes hermétiques, au sein desquelles Agnès est retenue, dans un enfermement physique et dogmatique. À mesure que la pièce progresse, elles se lèvent jusqu’à dégager un plateau nu. Arnolphe, en amant lamentable, pantalon aux chevilles.

  • Tout est double dans cette pièce :
  • Arnolphe a choisi un nouveau nom (Monsieur de la Souche, pour faire « aristocrate », il s’est acheté une particule-ridicule au demeurant). De ce fait Horace confond Arnolphe (l’ami de son père) et Monsieur de la Souche (le barbon qui garde Agnès prisonnière),
  • Agnès est à la fois la fille adoptive et la future femme d’Arnolphe,
  • Arnolphe ne conçoit la femme que comme une servante ; il ne la considère pas comme une égale avec laquelle on pourrait échanger des idées et cependant devient esclave de son désir pour elle.
  • Agnès est supposée sotte mais elle trouve d’elle-même les ressources nécessaires à la duplicité. Elle est prisonnière mais elle s’échappe de sa prison.

Le metteur en scène apporte également quelques éclairages particuliers.

En faisant intervenir la vidéo, il nous invite à entrer dans la psychologie de la recluse Agnès. Il suggère une jeune perverse qui a tué le chat (« Le petit chat est mort »…de ses mains), qui sait fort bien lire et écrire (alors que son seigneur et maître l’avait confinée dans l’ignorance), elle sait peut être bien ce qu’elle fait quand elle s’abandonne aux charmes d’Horace etc... Enfin elle semble jouer les naïves alors qu’elle sait indéniablement déjouer les pièges de son vieux barbon de père-mari.  

Détail beaucoup plus troublant à mes yeux, Stéphane Braunschweig laisse passer un moment d’angoisse où la scène est teintée de rouge, alors que l’on sait Arnolphe dans la chambre d’Agnès. L’aurait-il violée pour de bon ? Le texte ne rassure pas du tout, puisqu’Arnolphe parle ensuite d’être marié à demi. Braunschweig semble certain du fait, ce qui nous plonge dans le malaise.

Le personnage d’Arnolphe est central :

Les désirs d’Arnolphe sont révélateurs de son caractère. Sa peur d’être trompé (ce qu’il nomme un « accident ») est une véritable obsession, qui révèle en fait son mépris pour la femme, considérée comme un être inférieur, qui ne mérite pas d’être instruite ; on observe également son autoritarisme et son amour du pouvoir :

« Je la fis élever selon ma politique ;
C'est-à-dire, ordonnant quels soins on emploierait
Pour la rendre idiote autant qu’il se pourrait. »

« Votre sexe n’est là que pour la dépendance :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu’on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n’ont point d’égalité »

Mais la question de l’Education est aussi cruciale :

Les questions soulevées par Molière, ravivées par Stéphane Braunschweig avec son couple d’acteurs merveilleux, dessinent par contraste les voies d’une émancipation, pour une éducation qui ne soit pas une simple domestication.

Agnès ne peut pas être asservie, même par une éducation  lavage de cerveau, car aucun être humain ne peut accepter l’esclavage.  Agnés a beau avoir été dressée comme un « morceau de cire » , elle reste libre et, malgré sa condition initiale de sans famille et de pauvre, trouve la force de l’insoumission.

L‘éducation n’est pas dressage, mais accès à la connaissance.

Les ressorts de la comédie :

Le mariage est toujours un motif de comédie, et on rit d’autant plus qu’on perçoit bien qu’Arnolphe est le cocu désigné depuis le début. Mais son attitude va devenir de plus en plus inquiétante quand le désir charnel remplace le désir de domination brute. La possession, le désir de posséder, le rend possédé lui-même. Heureusement, il finit de manière grotesque par se mettre nu pour montrer son désir ! (Ah la bêtise des hommes qui imaginent que leur propre désir va engendrer celui de l’autre !).

La grivoiserie :

Je ne me souvenais plus que les répliques des personnages de la pièce contenaient de nombreuses allusions grivoises : ainsi de celle d'Alain qui, à la scène 2 du premier acte, indique vouloir « empêcher que [son] moineau ne sorte  ou de celles d'Agnès qui explique à Arnolphe avoir été inquiétée, la nuit, par les puces (les démangeaisons amoureuses) , qu’Arnolphe lui promet de chasser. Mais le sous-entendu grivois le plus célèbre se rencontre à la scène 5 de l'acte II, dans l'échange suivant entre Agnès et Arnolphe :

« AGNÈS
[...] ; il me prenait et les mains et les bras,
Et de me les baiser il n'était jamais las.

ARNOLPHE
Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose...
La voyant interdite.
Ouf.

AGNÈS
Hé, il m'a...

ARNOLPHE
Quoi ?

AGNÈS
Pris...

ARNOLPHE
Euh !

AGNÈS
Le... »

Elle finira par parle du ruban qu’Arnolphe lui a offert, mais on a bien ri des allusions

La mise en scène est efficace, les acteurs bien choisis, je recommande le spectacle. .

Distribution : Suzanne Aubert (une Agnès un peu perverse), Laurent Caron, Claude Duparfait (excellent dans le rôle d'Arnolphe), Georges Favre, Glenn Marausse, Thierry Paret, Ana Rodriguez et Assane Timbo

 

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