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YUKASH0KEN HOKOKUSHO ( enquête 1er épisode)

YUKASH0KEN   HOKOKUSHO ( enquête 1er  épisode)

J’ai choisi ce titre énigmatique pour cette chronique parce que son objet, sous des apparences médiatiques spectaculaires mais simples, voire simplistes, demeure bien mystérieuxà mes yeux.

Je "spoil" tout de suite : « Yukashoken Hokokusho », c’est le nom japonais du document comptable remis officiellement par la société Nissan à ses actionnaires et à l’Etat japonais. C’est ce document, validé par Carlos Ghosn, président de Nissan jusqu’à sa destitution cette semaine, qui aurait dissimulé 50% de ses revenus pendant 5 ans. On a avancé le chiffre d’une fraude de 37 millions d’euros. A rapprocher d’un revenu annuel de 15 millions d’euros, couramment cité par les médias.

L’affaire est grave. Carlos Ghosn est en prison, en garde à vue. Selon les journalistes du « Figaro », qui se sont entretenus avec des anciens détenus et des avocats, il se trouve au centre de détention de Kosuge à l’est de Tokyo, au sein d’un complexe pénitentiaire qui comprend aussi, charmant détail, un quartier de condamnés à la peine capitale. « Kosuge est une machine pénale extraordinairement codifiée, et si surveillée que la violence physique y est absente. Dans cet enfer carcéral et bureaucratique, la pression psychologique subie par les détenus y est, en revanche, omniprésente. »

Un ancien détenu raconte :  "Vous êtes tout seul, sans possibilité de mettre le dos contre le mur. Assis en tailleur de 9h à 17h, témoigne-t-il. C'est particulièrement difficile. Leur système consiste à priver les détenus de tous leurs sens. Nous sommes à l'isolement total : sans communication, sans lecture, sans entendre quoi que ce soit, sans toucher ni quoi que ce soit, ni personne. Dans un silence de mort."

Carlos Ghosn peut y être détenu jusqu’à 23 jours, le temps maximum de la garde à vue au Japon, (ça change des 24/48 heures françaises !!!!). mais cette durée peut être prolongée de 23 jours supplémentaires si le procureur décide de le « charger » avec un autre chef d’accusation. Ce qui n’est pas impossible puisque, après vérification, les médias nous disent que l’abus de biens sociaux (Carlos Ghosn aurait bénéficié de maisons luxueuses achetées par Nissan, sa sœur aurait reçu un emploi à forte rémunération et aurait aussi séjourné dans des villas appartenant à Nissan, etc…) ne figure pas (encore) parmi les chefs d’accusation retenus cet ex- grand patron. Quant aux conditions de « séjour » à Kosuge, l’article du Figaro se fait un plaisir de les détailler : 6,5 mètres carrés, un sol en tatami, un futon pour le sommeil nocturne uniquement, un bol de riz et un bol de soupe pour le petit déjeuner, un bol à midi et un bol pour le diner à 16h20. Ce n’est pas mauvais paraît-il.

Passé le premier étonnement, certains se sont même déclarés « sidérés », j’ai une interrogation. Alors que ce personnage égocentrique et mégalomane se vantait urbi et orbi du niveau stratosphérique de ses rémunérations, qu’il défendait bec et ongle devant le conseil d’administration de Renault et même contre l’Etat (mais l’Etat, avec 15% du capital, semblait bien timide), comment des sommes aussi importantes ont-elles pu échapper à la vigilance du fisc japonais. Sont-ils idiots ? incompétents ? Il leur a fallu tout ce temps là pour décortiquer le « Yukashoken Hokokusho « ?

C’est alors qu’intervient un second personnage dans cette énigme, et il joue le rôle du traître : c’est Hiroto Saikawa, directeur général de Nissan, nommé par Carlos Ghosn en avril 2017. (On est dans Shakespeare pur jus : Iago était le fidèle conseiller d’Othello).Dans une conférence de presse convoquée en urgence, il « charge » son ancien patron : « C’est un problème que tant d’autorité ait été accordée à une seule personne. Je dois dire que c’est un côté obscur de l’ère Ghosn ». Ah bon ? Il le découvre ? Après investigation, les médias nous donnent des indications croustillantes : l’informateur à l’origine de l’enquête, qui appartiendrait au service juridique de Nissan, aurait fourni ses informations dans le cadre d’une négociation de peine autorisée par une récente loi, et appliquée pour la deuxième fois seulement par les autorités japonaises. Une loi qui viserait la criminalité des yakusas. Une loi des « repentis de la mafia », mais à la sauce japonaise. « La culture de la dénonciation n’est pas très établie au Japon », rappelle Jeremy Corbett, chercheur à la Fondation pour les études australo-japonaises. Bon, nous les Français, on n’a guère de leçons à donner au regard d’épisodes douloureux de notre histoire. Mais les journalistes japonais se sont fait un plaisir de retrouver quelques-uns des 20 000 licenciés de Nissan, suite aux décisions de ce « grand génie de l’industrie automobile », qui a été porté aux nues à l’époque, ils n’ont pas que des bons souvenirs, on s’en doute.

Cela nous concerne, oui, à cause de la « Grande Alliance » Renault-Nissan, récemment complétée par Mitsubishi, dont paraît-il Carlos Ghosn était le seul à maîtriser tous les mécanismes. Revenons à Hiroto Saikawa. Il nous promet que « l’alliance entre les trois entités ne sera pas affectée par cet évènement ». Mais il ajoute : « l’impact sur Renault sera significatif ». Ah bon ? Qu’est ce que cela veut dire ? J’admire au passage le talent des Japonais pour exprimer beaucoup de choses avec peu de mots ou de postures…. 

Comment ça marche, l’Alliance ? Tout d’abord, il y a distorsion entre la possession du capital et l’importance de la production. Alors que Renault détient 43% de Nissan, ce dernier ne possède que 15%, sans droit de vote, du français. Alors que, en 2017, son chiffre d’affaires était de 92 milliards d’euros, près de 33 milliards d’euros de plus que Renault. L’an dernier, les trois constructeurs déclarent avoir dégagé 5,7 milliards d’euros d’économies liées aux fameuses « synergies industrielles »: chiffre en augmentation de 14% par rapport à l’année précédente, et qui devrait augmenter encore plus vite pour viser un objectif de 10 milliards en 2022. Notamment via le déploiement d’une « architecture commune » dite « CMF C/D » des plateformes de construction des modèles. Ce qui fait dire à la revue « Challenges » : « Renault ne peut pas se passer de Nissan, malgré des synergies difficiles ».

Pour une génération de Français, Renault faisait partie du « patrimoine national »et même de notre Histoire : l’ancienne régie nationale, issue de la nationalisation d’une entreprise dont le patron s’était compromis dans la collaboration avec les Allemands, dirigée par des haut-fonctionnaires, grands ingénieurs ou administrateurs chevronnés. Alors, est-ce que Renault, et je pense en premier lieu à ses salariés, mais aussi à ses clients, a bénéficié de l’action de ce dirigeant hyperactif et particulièrement coûteux ? En apparence, les sites français de production continuent à tourner. Rappelons cependant que, même si cela n’a pas été aussi brutal que chez Nissan, près de 10 000 emplois ont été supprimés depuis une douzaine d’années (Carlos Ghosn est président de Nissan depuis 2000 et PDG de Renault depuis 2005). Regardons plus en détail : selon Fabien Gâche, délégué central syndical CGT, « depuis plusieurs années, les volumes de production de Renault quittent massivement les usines françaises pour la Turquie, la Slovénie, le Maroc. Certes, des productions Nissan prennent le relais. Mais cela n’a rien de rassurant. Si jamais, à cause de cette crise, elles devaient disparaître, l’ampleur des délocalisations ne pourrait plus être masquée ». Un impact significatif, a dit M Saikawa.

Un piège n’est-il pas en train de se refermer ?

- soit l’Alliance ne survit pas au départ de Carlos Ghosn, et c’est la fin du premier groupe mondial automobile, et Renault se trouve bien fragilisé

 - soit l’Alliance est maintenue mais Nissan veut la dominer (comment, cela mériterait une nouvelle rubrique alimentée par l’actualité à venir). On sait malheureusement ce qu’il adviendrait des sites de production français dans la course à la rentabilité : ils ne seraient pas préservés en priorité. Et Carlos Ghosn avait commencé le travail de fragmentation.

En tout état de cause, je voudrais examiner la présence de Nissan aux Etats-Unis : elle n’est pas négligeable, c’est 8% du marché, 10% avec Mitsubishi (on sait que Renault n’a jamais réussi à s’y implanter), cela correspond à la 5ème place du marché (Ford est en tête avec une part de  près de 20%). Après une forte progression l’an dernier, Nissan voudrait renforcer son implantation aux USA, entre autres avec ses nouveaux modèles électriques. Peut-être une « étiquette » japonaise est-elle plus attractive que l’image d’une entreprise européenne dirigée par ces emm… de Français. Et la rapidité fulgurante de la justice japonaise nous a rappelé le comportement de la justice américaine vis-à-vis d’entreprises ou de citoyens français.

Affaire à suivre donc. 

Signé Vieuziboo           

 

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S
bonne lecture, merci.
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