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ENQUETE SUR L'EFFONDREMENT DU VIADUC MORANDI A GENES (4)

ENQUETE SUR L'EFFONDREMENT DU VIADUC MORANDI A GENES (4)

Après la mafia, on va passer en revue des questions plus économiques.

C’est la faute de l’Europe ?

C’est la question posée, sous cette forme brutale, par le très médiatique Ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini et le « 5 étoiles » Luigi Di Maio. Ils mettent directement en cause les règles budgétaires de réduction des déficits imposées par l’Europe.

La Commission européenne n’a pas tardé à se défendre. Elle a rappelé :

- d’une part, qu’il existait une enveloppe de fonds européens de 2,5 milliards d’euros, pour la période 2014-2020, au profit de l’Italie et dédiée à des investissements notamment dans le réseau routier et le rail.

- d’autre part qu’elle avait donné son feu vert pour un plan d’investissement en faveur des autoroutes italiennes, ouvrant la voie à un montant d’environ 8,5 milliards d’euros. Là, il ne s’agit pas de fonds européens « purs » mais d’autorisation de dépenser des fonds d’Etat ou autres fonds publics en soutien à l’investissement (c’est subtil mais autoriser à dépenser signifie que l’UNION attend que les marchés soient passés pour "rembourser" les dépenses selon certaines modalités).

A vrai dire, je pense que le débat est biaisé et plein d’arrière-pensées, de part et d’autre.

L’Italie, selon une récente statistique de l’Organisation pour la sécurité et la coopération européenne (OSCE) dépense de moins en moins pour ses infrastructures : de 13,66 milliards d’euros en 2007 à 5,15 milliards en 2015. En comparaison, bon an mal an, l’Allemagne et la France dépensent chacune une dizaine de milliards annuellement. Est-ce en raison d’aides européennes insuffisantes ? Ou d’absence de volonté des gouvernements précédents ? Ou même d’une programmation des travaux mal préparée ? On ne saurait bien sûr en faire porter la responsabilité à la coalition gouvernementale qui vient d’arriver au pouvoir. Elle pourrait donc décider d’augmenter lesdites dépenses et bénéficier d’aides européennes prêtes à être utilisées.

Pour toute la période en cours (2014-2020)  et cette fois-ci de manière globale, l'Italie est le second Etat (après la Pologne pour 105 milliards) qui bénéficie le plus des aides de l’Union Européenne (76 milliards d'euros), suivie de l'Espagne (56 milliards d'euros) et de la France (46 milliards d'euros).

Pour la période 2021-2027, le commissaire aux Finances, Pierre Moscovici rappelle que l’attribution de ces fonds sera validée à l’occasion de l’examen du projet de budget de l’Italie, en octobre, et donc que les risques de déficit excessifs seront examinés. Rappelons (épisode 2) que c’est au nom de la réduction des déficits que l’Italie a été incitée à privatiser son réseau d’autoroutes.

Matteo Salvini a déclaré, juste après cette catastrophe : « Les investissements qui sauvent des vies, des emplois et le droit à la santé ne doivent pas faire l’objet des calculs rigides et des règles imposées par l’Europe ».  Propos populistes, dira-t-on. Oui, mais on aurait aimé les entendre prononcer par des dirigeants européens ou par d’autres responsables politiques « non populistes ». Et d’ailleurs, nos dirigeants à nous, en France, ne raisonnent-ils pas de la même façon quand ils demandent que les dépenses de nos expéditions militaires et de notre sécurité depuis la vague d’attentats ne soient pas non plus comptabilisées dans les règles de calcul des déficits ? » Sans grand succès jusqu’à maintenant d’ailleurs.

Conclusion : ce débat sur l’Europe est mal posé et il nous renvoie à la question plus fondamentale de la capacité de la puissance publique à intervenir avec suffisamment de moyens pour développer les infrastructures et assurer la sécurité, soit directement, soit en imposant au gestionnaire privé de réaliser ces dépenses en priorité par rapport au versement des dividendes aux actionnaires. La forte augmentation des trafics, notamment de poids lourds, ne doit pas être vue seulement comme une source de profits accrue, mais aussi comme une exigence plus grande de surveillance, d’entretien et de maintenance.

Justement, venons-en aux questions techniques.

C’est la faute au trafic. Son augmentation a été beaucoup plus forte que celle que prévoyaient Morandi et les constructeurs de l’autoroute. Les poids lourds sont particulièrement en cause.

5000 poids lourds par jour dans les périodes les plus chargées, c’est beaucoup. Ils usent les chaussées beaucoup plus « violemment » que les automobiles. Mais, pour un pont, c’est différent. Avant sa mise en service, on « charge » le pont avec un grand nombre de poids lourds ou d’engins, qui représente plus que ce qu’il aura à supporter à un instant donné, même dans les périodes les plus chargées, et on teste donc sa résistance. Selon les témoignages des experts, ce travail a été fait très sérieusement avant l’ouverture du pont. C’est en particulier ce qu’a déclaré l’ingénieur Antonio Brencich, un des plus critiques par ailleurs sur l’entretien du pont.

Il y a d’ailleurs d’autres causes que le trafic dans l’usure des ponts : la corrosion par l’eau ou par une atmosphère polluée par exemple.

C'est la faute à la conception: Les ponts devraient être conçus et construits pour l’éternité.

On peut avoir du mal à l’admettre mais les ouvrages d’art et les bâtiments ne sont pas éternels. Pensons aux centrales nucléaires, pour lesquelles la notion de durée de vie revêt une importance capitale pour la sécurité. Au-delà de 30/40 ans leur exploitation ne peut être prolongée qu’après une procédure de validation par l’Autorité de Sûreté Nucléaire.

Or, comme le rappelle l’ingénieur Michel Virlogeux, un des meilleurs spécialistes français de la question, « on est beaucoup trop confiant sur l’état de nos infrastructures et on ne considère pas assez l’importance de la gestion et de l’entretien de ce patrimoine. Aujourd’hui les besoins techniques sont trop négligés. Evidemment tout cela demande beaucoup d’argent mais l’enjeu est capital ». Et, sans détailler de façon certaine les causes de l’accident, il suggère qu’elles soient liées au vieillissement de l’ouvrage, âgé de 50 ans.

Les normes techniques les plus récentes telles qu’elles sont formalisées et diffusées par les services d’étude spécialisés du Ministère de l’Ecologie définissent bien une base de 50 ans et préconisent simplement de chercher à atteindre 100 ans pour les ouvrages d’art, par des dispositions particulières qui imposent un suivi et une maintenance très développés : visites d’inspection fréquentes, mesures de toute sorte, programmes d’entretien, de lutte contre la corrosion, etc…Mais cet objectif exigeant vaut plutôt pour les ouvrages à construire.

On peut se référer aussi à ce qu’en pensait Riccardo Morandi, « l’auteur » de ce pont ? la presse italienne vient de livrer le témoignage d’un technicien qui a travaillé pour lui à la construction du viaduc d’Agrigente, que nous avons évoqué dans l’épisode précédent :

     « -M l’ingénieur, combien de temps va durer ce pont ? 

        -Je l’ignore, chaque structure a une durée de service effectif. Ceux qui viendront après moi devront savoir l’entretenir ».

         Et ce témoin nous donne son point de vue : « Morandi était un génie, un ingénieur d’avant-garde, un précurseur du béton précontraint. Dans ses ouvrages il mettait en avant sa conception : projeter des structures d’avenir en misant sur la beauté et le caractère spectaculaire. Pas sur la durée. » ( !!)

         Toutes ces questions, en nous écartant des fausses pistes et des idées reçues, nous ramènent à la surveillance et à l’entretien de ce pont. Ce qui nous conduit à faire le point sur les enquêtes en cours. Ce sera l’objet du post suivant , le dernier de la saison1.

Signé VIEUZIBOO

les plus beaux ponts de France
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