Dans un contexte mondial de propagation de fausses informations et de manipulations à but politico-économique, cette catastrophe a suscité beaucoup de commentaires expéditifs, qui sont souvent la marque d’idées reçues. En voici quelques-unes.
1ère idée fausse : C’est un évènement exceptionnel. On n’a pas souvenir de catastrophe comparable dans un passé récent.
Malheureusement, ce n’est pas si exceptionnel. Voici la liste des effondrements de ponts routiers les plus meurtriers dans le monde depuis le début du millénaire :
- Mars 2001, près de Porto (Portugal). Effondrement d’un pont métallique de 50 mètres sur le Douro.58 morts. Une des piles du pont avait été emportée par la crue du fleuve.
- Septembre 2001, Texas (USA). Le pont Queen Isabella enjambant un canal s’effondre. 8 morts. La structure a été heurtée par un train de barges.
- Mai 2002, Oklahoma (USA). Chute d’une portion de 150m d’un pont enjambant la rivière Arkansas. 14 morts. Il s’agit aussi d’un choc par une barge.
- Juillet-août 2002, au centre de la Chine. Deux ponts s’effondrent. 10 morts
- Décembre 2003, Bolivie. Une crue brutale du fleuve Chaparé détruit un pont au moment où un autobus passait dessus. 29 morts.
- Novembre 2005, Espagne. Une section de pont autoroutier en construction s’effondre dans le Sud de l’Espagne. 6 morts.
- Septembre 2006, Québec. Un pont s’effondre. 5 morts.
- Août 2007, Minneapolis (USA). Un pont autoroutier enjambant le Mississippi s’écroule. 7 morts.
- Août 2007, Chine. Effondrement d’un pont dans la province du Hunan. 64 morts et 22 blessés. L’ouvrage, long de 328 mètres, venait d’être achevé.
- Décembre 2007, Népal. Un pont traversant une gorge de la rivière Bheri s’écroule alors qu’il est bondé de pèlerins de rendant à une fête religieuse. 16 morts et 25 disparus.
- Mars 2016, Calcutta (Inde). Effondrement d’un autopont. 26 morts. Une centaine de blessés.
On dénombre 10 effondrements meurtriers au cours de la première décennie, un par an. Ils ont eu lieu aussi bien dans des pays développés que dans des pays pauvres. Si nous gardons moins en mémoire les sinistres des pays lointains, nous nous rappelons par contre le déraillement du train Munich Hambourg en 1998, qui a fait 101 morts, et qui a causé la destruction d’un pont routier.
En tout près de 200 catastrophes structurelles au cours du XXème et plus de 150 depuis 2000 (si on additionne tours, éoliennes, et autres grands ouvrages) ! Les ouvrages humains (même calculés par de puissants ordinateurs) ne sont pas vraiment pas garantis !
En Italie, ces jours-ci, on parle beaucoup d’un autre « viaduc Morandi », à Agrigente, achevé en 1970, et fermé depuis l’an dernier à toute circulation sur décision de justice. Un long viaduc d’une technique différente (sans haubans), d’ailleurs affreux et qui a ruiné le paysage de la vieille ville d’Agrigente. Il est question de le détruire. En Sicile toujours, un pont de l’autoroute Palerme-Agrigente s’est effondré en décembre 2014, une semaine après son inauguration (inauguré à Noël et effondré au jour de l’an !).
2nde idée fausse : Ça se passe en Italie.L’Italie, c’est mafia et compagnie dans les travaux publics et le bâtiment.
Justement, on évoquait la Sicile, qui dit Sicile pense à la mafia.
Dès les premières heures suivant ce drame, de bons esprits ont pointé le rôle possible de la mafia. Est-ce un sujet tabou en Italie ? Certainement pas. La mafia ne serait-elle présente qu’en Sicile ? Absolument pas. Elle a des ramifications, comme ses homologues de Naples (la Camorra) et de Calabre (la N’drangheta) dans toute l’Italie, et aussi chez nous comme en Allemagne et dans d’autres pays européens. La MAFIA est une multinationale !
Curieusement , l’hypothèse du rôle joué par la mafia a été surtout développée dans la presse anglo-saxonne, Un certain Dave Parker, Professeur de génie civil à la Queens’University de Belfast, directeur pendant douze ans de la rédaction de la revue technique « New civil Engineer », avant de devenir journaliste « free-lance », affirme que la mafia prospérait dans les années 60 sur les chantiers de travaux publics et que la mauvaise qualité des matériaux du béton pourrait bien être à l’origine de cette tragédie. De même, un article du « Guardian » relève que, en Italie, douze ponts construits durant cette période se sont effondrés ou sont condamnés définitivement, depuis 2004.
Bon, on ne voit pas de fait précis ni de preuve à l’appui de ces affirmations. Et quand on connaît la condescendance, voire le mépris, de certains milieux anglo-saxons pour les gens et la société en Italie, on peut relativiser ces accusations (par charité, c’est volontairement que je n’évoque pas ceux qui relaient ces accusations en France).
Il est vrai que, quand on veut « trafiquer » sur des marchés de travaux publics ou de bâtiments (et point n’est besoin de mafia pour cela, la simple corruption suffit), il est tentant de « jouer » sur la qualité (un béton réalisé avec des mauvais matériaux et trop d’eau par exemple) ou tout simplement la quantité des produits livrés. Mais justement ; sur des ouvrages aussi sophistiqués que les grands viaducs, il y a bien d’autres causes de défaillance ou de malfaçons, dans les méthodes de calcul, les procédés employés, etc…. Et surtout, l’entretien et la maintenance jouent un rôle capital, qui revêt de plus en plus d’importance au fur et à mesure que l’ouvrage « vieillit ». On imagine donc mal un béton de mauvaise qualité qui serait « passé inaperçu » pendant 50 ans. Nous y reviendrons dans la suite de nos investigations.
Donc, rien ne permet d’affirmer que la mafia est principalement en cause. D’ailleurs, si ça devait être le cas, sans aucun doute, la Justice italienne tirerait au clair son implication, car il faut rappeler qu’elle mène une lutte impitoyable contre la mafia.: Je dirai même que les lois italiennes devraient nous servir d’exemple en matière de lutte anti-corruption car elles sont drastiques . Il existe ainsi :
-la possibilité de susciter des vocations de « repentis » (i pentiti) moyennant des mesures de clémence et de protection (que nous ne possédons pas en France).
-la possibilité de saisir saisies de biens acquis avec « l’argent sale » de la mafia (j’ai vu moi-même, en Italie, des biens saisis et gérés par des associations sans but lucratif, il est fini le temps où on n’osait pas utiliser les biens saisis). A ma connaissance cela n’existe pas en France. Hommage du vice à la vertu : l’Agence italienne spécialisée dans la gestion des biens saisis vient de faire savoir que, dans la seule région de Ligurie, autour de Gênes donc, elle gère 278 propriétés comprenant 99 appartements (dont 14 en pavillons) et qu’elle est prête à en mettre un certain nombre à disposition des sinistrés qui ne peuvent rentrer chez eux !
( la suite des idées fausses dans le prochain post)