Qui est responsable et pourquoi sont-ils morts?
Comme dans toute catastrophe, la recherche des responsabilités, (qu’il ne faut pas confondre avec les éventuelles culpabilités), a commencé, avec, au premier chef, les investigations de la justice italienne et des experts qu’elle ne manquera pas de désigner.
L’ingénieur Riccardo Morandi a disparu il y a bientôt 30 ans, il n’est plus là pour défendre son procédé ( à noter qu’il avait manifesté son inquiétude sur la solidité de son procédé avant de mourir), et les débats techniques vont faire rage. Mais un autre « accusé » semble tout désigné: il s’agit de la société concessionnaire exploitante, Autostrade per l’Italia (« Autoroutes pour l’Italie »).
Etonnant ! Nous apprenons que cette société exploitante (donc responsable effective de l’entretien, de la maintenance, des réparations, des investissements, et de la sécurité à tout instant sur cette autoroute) a comme actionnaire majoritaire le groupe Benetton.
Benetton, les pull-overs, les « United Colors of Benetton », les photos publicitaires « décalées » et même parfois dérangeantes. La famille Benetton s’est-elle subitement passionnée pour le béton ? Mais qu’est ce qu’elle y connait ?
L’Italie a été un pays pionnier pour la construction des autoroutes. On a dit l’intérêt du Duce Mussolini pour elles. Après l’inauguration en 1924 de la première autoroute du monde (Milan/Lacs), l’Italie possédait, à la veille de la seconde guerre mondiale, un réseau de près de 500 kilomètres alors que la première autoroute française, l’autoroute de l’Ouest, longue d’une vingtaine de kilomètres, n’a pu être inaugurée qu’en 1946 !
La Société « Autostrade per l’Italia » est l’héritière directe des sociétés de construction et d’exploitation d’autoroutes, constituées en 1950 comme filiales d’un organisme étatique très puissant à l’époque, l’IRI (Institut pour la reconstruction industrielle). Créée en 1933, d’ailleurs aussi sous le fascisme (ne pas oublier combien la période fasciste a été importante pour le développement des infrastructures en Italie) , cette société a été conservée après la guerre, avec la confirmation de ses missions de développement industriel et de modernisation des infrastructures. C’est tout naturellement qu’elle a été chargée de développer le réseau autoroutier, dans un contexte d’économie mixte, et avec recours au péage.
En 1981, la plupart des sociétés autoroutières italiennes sont regroupées dans un ensemble unique, toujours dépendant de l’IRI. La société en question hérite donc d’un quasi-monopole sur les autoroutes à péage italiennes les plus fréquentées. Elle commence même à décrocher quelques contrats à l’étranger, dont un aux Etats-Unis. Et, cerise sur le gâteau, une nouvelle convention signée en 1997 prévoit le prolongement de la concession du réseau de 2018 à 2038.
Il ne restait plus qu’à privatiser, à vendre le magot au privé. C’est justement ce qui s’est passé. En fait, le gouvernement italien a décidé de vendre « par morceaux » les sociétés du groupe IRI. Et ceci à la suite d’un accord passé avec les autorités européennes : fin des aides de l’Etat, ouverture à la concurrence (mais, pour les autoroutes, on l’a vu, les concessions avaient été prolongées de vingt ans juste avant). Un noyau dur de 30% du capital de la société autoroutière est attribué à la famille Benetton qui justement cherchait à diversifier ces activités. Dernière étape, en 2007 Autostrade per l’Italia devient une filiale à 100% d’une holding nommée Atlantia.
Et voilà comment un industriel du textile contrôle un réseau autoroutier de plus de 3000 km, construit en grande partie avec des fonds publics, dont l’exploitation n’a jamais été mise concurrence, mais dont le trafic, et donc les revenus sont en croissance constante.
Bon, direz-vous, c’est le contexte italien, réseaux d’influence, corruption, etc…Cela ne nous concernerait que de loin ? Détrompez-vous.
D’abord, on remarquera que la France a connu une évolution historique comparable, avec vente au privé d’autoroutes amorties par des fonds publics et BENEFICIAIRES !! Tiens, à propos : chez nous les automobilistes râlent contre l’augmentation des péages autoroutiers qui est supérieure à la hausse des prix. Et en Italie ? C’est pareil ! Augmentation de 5 à 19% suivant les tronçons en trois ans depuis 2015, et + 2,74% en moyenne en 2018. Une newsletter italienne spécialisée en économie estime qu’une gestion publique directe, rapportée au km d’autoroute, coûterait deux fois moins cher. Et les péages, non seulement ne devraient pas augmenter, mais pourraient être supprimés une fois les investissements initiaux amortis. Il n’est pas interdit de rêver ….
Ensuite, preuve qu’il s’agit bien des mêmes comportements, on va retrouver la société Atlantia en France. C’est justement elle, la société italienne qui détient 65% du consortium privé à qui a été vendu l’aéroport de Nice. Et c’est elle aussi qui a racheté l’entreprise espagnole Abertis bénéficiaire de la privatisation de la Société des Autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF) . Sans oublier la partie italienne de la Société du Tunnel du Mont-Blanc. Avec, néanmoins, une déconvenue en France : elle participait au groupe Ecomouv qui était chargé de mettre en place l’écotaxe poids lourds, avec les fameux portiques devenus inutiles. Ecomouv a d’ailleurs été dûment indemnisé de ce fiasco.
En 2017, Atlantia a réalisé un bénéfice net de 1,17 milliard d’euros, en hausse de 4,5%, pour un chiffre d’affaires de 5,97 milliards, en hausse de 8,9%.
Il est légitime de se demander si Atlantia a bien dépensé toutes les sommes nécessaires à l’entretien, voire à la rénovation, de ses ouvrages autoroutiers, et surtout à leur sécurité. Cette société s’est vu remettre un réseau bien constitué de grands axes qui desservent toute l’Italie, qui plus est dans une période où le trafic ne cesse d’augmenter. Sur le viaduc Morandi, on enregistrait une hausse+ 331% de 1979 à 2017, avec 5000 poids lourds par jour. Car non seulement ce viaduc assurait une jonction vitale au cœur de l’agglomération et pour la desserte du port, mais il se trouvait sur un des principaux axes autoroutiers de desserte de l’Italie, depuis la France bien sûr mais aussi depuis toute la Méditerranée Occidentale.
Beaucoup d’entre nous ont emprunté ce viaduc, pas quotidiennement comme les Gênois mais en partant en vacances en Italie par exemple, ou bien, pour les chauffeurs routiers, au cours de leurs déplacements dans cette partie de l’Europe. Et beaucoup d’entre nous, c’est mon cas, ont ressenti une certaine appréhension, voire une peur, sur ce viaduc, haut de 90m : les témoignages abondent sur les dénivellations de la chaussée, les risques en cas de pluie, les signes de dégradation du béton, et aussi les travaux fréquents qui paradoxalement pouvaient inquiéter.
Alors on se pose beaucoup de questions.
Ce viaduc avait-il un défaut d’origine, une grave erreur de conception, comme tendrait à le montrer le sort de ses deux ouvrages analogues, ou bien le « mal » est-il apparu plus tard, par défaut de surveillance et d’entretien ? Avant ou après la privatisation ?
Nous allons aussi, dans le post suivant, détecter des vraies/fausses affirmations, des « fake news ».
Signé VIEUZIBOO