Une quinzaine de jours se sont écoulés désormais depuis la chute du viaduc. Les sauveteurs ont cessé de rechercher des victimes, les travaux de déblaiement sont commencés. Place à l’enquête de justice. Il est trop tôt bien entendu pour en connaître les premiers éléments, et encore moins pour identifier les vraies causes de ce sinistre. Il faut laisser travailler les experts dans le calme et avec le temps nécessaire. C’est rarement « à chaud », avec des conclusions à l’emporte-pièce, que l’on aboutit aux bonnes conclusions.
Nous voilà au terme de notre enquête, que faut-il en penser aujourd’hui ?
Les mises en garde d’Antonio Brencich.
Un nom ressort fréquemment dans les communiqués, dépêches et articles parus depuis la chute du pont. Nous l’avons déjà rencontré, c’est celui d’Antonio Brencich, diplômé de l’Université de Gênes en ingénierie des structures, professeur de béton armé et de techniques de construction dans ladite Université. Peut-être a-t-il plus ou mieux communiqué que d’autres spécialistes, mais, indépendamment de ces qualités de communication, je trouve que ses informations et ses messages méritent d’être pris en considération.
Que dit-il ? Dès 2016, il tire la sonnette d’alarme. Il signale que dès l’origine le viaduc Morandi présentait ce qu’il appelle « des défaillances de structure ». Il note qu’il y a eu, à l’époque d’importants surcoûts de construction (bon, ok mais ça, ce n’est pas très original pour ce type d’ouvrages, et à mon avis ce n’est pas forcément une source d’inquiétude).Il évoque des « erreurs d’ingénierie » qui auraient entrainé une surface de chaussée non horizontale, avec des creux et des bosses ressentis par les automobilistes, qu’il attribue à une évaluation incorrecte du retrait du béton ( une déformation postérieure au coulage du béton, parce que le béton « bouge » toujours, il faut anticiper ces déformations).Il rappelle que le coût cumulé des travaux de correction de ces défauts, de maintenance, de remplacement de pièces défectueuses, etc…atteignait déjà 80% du coût initial des travaux dans les années 90 . Cela se produit aussi dans les bâtiments si esthétiquement construits qu’il faudrait les placer sous une cloche et ne pas s’en servir pour ne pas les abîmer ! (Ah ces architectes !).
Mais ça, c’est aussi un argument à double tranchant : sur le plan technique, c’est peut-être rassurant mais est-ce que ces opérations de maintenance ont été faites à bon escient ? Et après les années 90, en particulier après la privatisation, est-ce que l’entretien et la surveillance ont été assurés avec autant de vigilance et de soin ?
Dans le cas du viaduc, Brencich met donc fortement en cause la résistance des structures, reste à comprendre exactement comment s’est produite la rupture : qu’est-ce qui a cassé en premier : les haubans, les tirants qui les accrochent au tablier, les articulations entre les éléments successifs du tablier ? La météo (chacun a pu voir sur les vidéos la violence de l’orage qui a pu s’abattre à ce moment-là) a-t-elle joué un rôle ? Reste que la foudre ne semble pas en cause et que des dégâts liés à l’écoulement des eaux (corrosion ou autre) ne peuvent pas se révéler durant un seul orage.
Je remarque que, depuis la catastrophe, Antonio Brencich a vécu un épisode curieux. A peine a-t-il été nommé dans la Commission d’enquête mise en place par le Ministère italien des transports que, une semaine plus tard, il en a démissionné, ce qui lui a valu des remerciements pour « le travail effectué jusque là et son grand professionnalisme ». Il semblerait qu’il ait voulu éviter d’être juge et partie, ce qui aurait pu gêner l’enquête judiciaire. En effet A Brencich avait participé à une réunion en début d’année avec les responsables du Ministère et de la société Autostrade, au cours de laquelle il avait développé ses analyses et ses mises en garde. Ni lui ni personne n’avaient semble-t-il préconisé une limitation du trafic ou a fortiori une fermeture du pont.
Par ailleurs, le Ministère a démis le président de la Commission d’enquête qu’il avait nommé une semaine avant, un certain Roberto Ferrazza, pour cause de risque de conflit d’intérêts.
Il va donc rester des mystères à éclaircir dans les prochaines semaines.
Et maintenant. Que va-t-il se passer ?
On voit que le démarrage de la Commission d’enquête est laborieux. En attendant, il y a du pain sur la planche pour les autorités. Nombreuses sont les décisions à prendre en liaison étroite avec la Justice. On sait que les juges italiens, comme ils l’ont montré dans la lutte contre la mafia, sont particulièrement rigoureux et intransigeants, et attachés à leur indépendance.
Sur le plan technique :
-Que faire avec les restes du pont ? Comment procéder à la démolition ? La travée « perchée » sur les immeubles évacués risque de s’effondrer, il suffit de voir les photos. De l’autre côté de la partie effondrée, ce n’est guère mieux. Des première mesures montrent d’ailleurs que le la pile voisine de celle qui s’est écroulée est dans un état aussi mauvais, sinon pire, que cette dernière. ( beaucoup de corrosion). Si l’objectif ultime est bien de démolir tout le pont, il faut trouver la bonne méthode et préserver la possibilité d’avoir des « pièces à conviction » intactes pour les investigations techniques. En pratique, il faut s’attendre à voir le Procureur autoriser progressivement des démolitions pour les parties les plus dangereuses, à moins qu’elles ne prennent de vitesse les démolisseurs. Selon A Brencich, l’évacuation des déblais représente 10 000 camions à faire circuler dans Gênes déjà surencombrée.
-Comment reconstruire et dans quel délai ?
Là aussi, prudence avec les affirmations péremptoires. La société concessionnaire fait miroiter une reconstruction de la partie centrale par un ouvrage métallique, le tout en 8 mois à partir de l’obtention de toutes les autorisations. Mais rien ne dit que cette reconstruction lui sera confiée, puisqu’elle se trouve sous la « menace » d’une révocation de la concession. Les débats font rage. On voit même la société Fincantieri(vous savez, celle qui rachète les chantiers navals de Saint-Nazaire) se porter candidate à construire un beau pont métallique. Brencich a déclaré qu’une durée de quatre ans serait déjà un bel exploit. Quant au coût et à sa prise en charge, mieux vaut ne pas trop s’avancer en l’état actuel des choses.
-La Justice et les responsabilités :
Faut-il absolument rechercher des responsabilités pénales ? Je sais que la question pourra vous paraître explosive, mais dans les accidents d’avion aux USA, quand il est établi que l’accident n’était pas volontairement organisé, la justice ne recherche pas de responsabilités pénales parce que cela n’apporte rien. Cela pourrait être la même chose dans cette catastrophe. Personne ne me semble avoir intentionnellement voulu l’effondrement du pont sauf à démontrer un acte terroriste, ce qui, au vu des images, ne semble pas être le cas (pas de bombe en apparence). Est-ce que c’est gênant si personne n’est responsable ? non, à mon avis, ce qui est important c’est de comprendre l’enchainement des causes techniques pour que ces accidents n’arrivent plus. Et il faut bien sûr indemniser les victimes, et cela est de la responsabilité de la société gérante. Ce n’est pas de tenir un coupable et de le pendre haut et court, surtout s’il n’est pas responsable ! Je remarque que notre système judiciaire est semblable à celui des italiens et que, pour le moment, le public veut des sanctions pénales. C’est un sujet à réfléchir !
Je ne néglige en aucune façon la douleur des victimes mais elle ne me parait pas consolable avec de telles punitions.
A bientôt donc pour la prochaine saison.
Signé VIEUZIBOO
Ci dessous quelques idées de ponts magnifiques et originaux