Voilà les premières lignes de ce roman totalement envoutant que je viens de découvrir( et que j’ai lu en italien pour mieux profiter de la langue utilisée) : "Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant. Le soleil vient tout juste de s'effacer derrière la ligne de crête. La lumière s'éteint. En ce moment je suis assis à quelques mètres de ma petite maison, face à un abrupt végétal. Je regarde le monde sur le point d'être englouti par l'obscurité."
L’auteur, Antonio Moresco, est un universitaire italien de 70 ans au beau physique austère et à la tête d’intellectuel : barbiche blanche et lunettes rondes, distinction. C’est pourtant une apparence car il a dû défendre ses engagements (de gauche extra parlementaire, donc de gauche sans compromission, sans toutefois entrer dans la lutte armée, ce qui est très important considérant l’histoire italienne), a dû défendre ses engagements donc, toute sa vie. Certainement à cause de cette intransigeance, il a exercé tous les métiers les plus ingrats (portier de nuit, éboueur, ouvrier) avant d’être reconnu, bien tardivement à mon avis, en 2000 en Italie (en 2014 en France) comme « écrivain patrimoine ».
Son style est à la fois simple et très recherché, les phrases sont poétiques, mais sans emphase, vraiment poétiques, magiques.
L’histoire :
Un vieil homme vit seul, dans un village désert et reculé, dans la montagne. Il n’a, comme seules distractions que la contemplation de la nature, et les occupations nécessaires à son quotidien le plus frugal.
Il se rend une fois par semaine dans un village proche, l'un des rares villages habités de la région pour acheter de quoi manger.
Un soir pourtant, il est intrigué par une petite lumière émanant d'une zone a priori déserte et décide d'aller voir sur place quelle en est la source.
Il trouve un enfant, seul comme lui, dans une petite maison.
Qui est cet enfant ? Le narrateur va essayer de comprendre : Pourquoi ce garçon est-il habillé comme autrefois ? Quelle est cette école du soir où il dit se rendre pour étudier mais que personne dans le village ne connait ? Autour la nature s'affole, les insectes se cachent, les oiseaux fuient, les arbres bougent, tout annonce un séisme (ouragan, cataclysme ?...)...
Je cite :
"Qu’est-ce que ça peut bien être, cette petite lumière ? Qui peut bien l’allumer ? […]
« Comment savoir si au-dessus du ciel il y a un autre ciel ? je suis en train de me demander, assis devant le précipice. Du moins celui qu'on voit d'ici, de cette gorge, au-dessus de cet agglomérat de maisons et de ruines abandonnées. Comment savoir si la lumière n'est pas elle aussi à l'intérieur d'une autre lumière ? Et quelle lumière ça peut bien être, si c'est une lumière qu'on ne peut pas voir ? Si on ne peut même pas voir la lumière, qu'est-ce qu'on peut voir d'autre ? Comment savoir si la matière dont se compose l'univers, tout du moins le peu qu'on réussit à percevoir dans l'océan de la matière et de l'énergie noire, n'est pas à l'intérieur d'une autre matière infiniment plus grande, et si la matière et l'énergie noire ne sont pas à leur tour à l'intérieur d'une obscurité infiniment plus grande ? Comment savoir si la courbure de l'espace et du temps, si courbure il y a, si espace il y a, si temps il y a, ne sont pas eux aussi à l'intérieur d'une courbure plus grande, un espace plus grand, un temps plus grand, qui vient avant, qui n'est pas encore venu ? Comment savoir pourquoi ça s'est arrangé comme ça, dans ce monde ? Est-ce que c'est comme ça partout, s'il y a un partout, dans ce déchainement de petites lumières qui percent le noir dans cette nuit froide et dans l'obscurité la plus profonde ? Est-ce qu'il y a des gens qui nous voient, d'une de ces planètes qui gravitent autour de ces masses de gaz incendié qui de loin nous paraissent des étoiles blanches, comme le pense cet homme que je suis allé trouver dans son étable, au milieu de ces bêtes qui ont voyagé, ébahies, dans l'hyperespace ? Qu'est-ce que ça doit être la vie pour eux ? Pourquoi donc aller se balader dans l'univers dans cet œuf de lumière sans coquille ? Est-ce que leur vie est aussi malheureuse que la nôtre ? N'y a-t-il, pour eux aussi que la douleur et le mal qui distraient, au moins pour quelques instants, du malheur ? Est-ce qu'ils ont eux aussi ce rêve bref et cruel qu'on appelle amour ? Est-ce que celui-ci aussi est à l'intérieur de quelque chose qui se trouve ailleurs ? Est-ce qu'il existe quelqu'un d'autre au milieu de tous ces globes de gaz qui brûlent dans l'obscurité la plus profonde et de ces conglomérats qui se refroidissent et se calcifient, avec leur surfaces minérales couvertes de blessures et d'impacts, au milieu de toutes ces masses mortes expérimentales qui peuplent ce vertige qu'on a appelé espace ? Alpha du Centaure, l'étoile la plus proche de notre soleil, se trouve à une distance de quatre années-lumière. Le Grand Nuage de Magellan, la galaxie la plus proche de notre galaxie, se trouve à cent soixante-cinq mille années-lumière de notre système solaire. Et moi, là, assis sur cette chaise en fer qui s'enfonce de plus en plus dans le sol, dans cet endroit hors du monde, à la même distance de tout et de l'espace et du temps et de ma vie et de ma mort.. ».
En conclusion:
Il s’agit d’un roman ou plutôt d’une fable métaphysique, mystérieuse, ensorcelante, au pouvoir quasiment hypnotique. Inclassable....
L’homme, personnage central, confronté à sa solitude, est totalement entouré, cerné, par la nature, les végétaux, les étoiles, les infinis. L’infini miniature avec tous les cris d’insectes, l’enchevêtrement des frondaisons, des taillis, futaies où grouille une vie féroce et batailleuse, et l’infiniment grand avec les paysages à perte de vue, la montagne immense, le cosmos.
Il y a bien un suspens et une interrogation finale , qu’il ne faut bien sûr pas révéler, mais qui "portent" le récit tout au long.
Je ne peux qu’encourager la lecture de ce livre onirique et magnifiquement écrit, qui se savoure goutte à goutte.