Les récents Jeux Olympiques d’hiver en Corée (ils ne sont d’ailleurs pas terminés, les Jeux Paralympiques viennent de commencer) ont remis sur le devant de la scène la notion de trêve olympique.
En effet, à l’issue d’une période de tension sans précédent entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, nous avons appris que le Grand Leader Kim Jong Un envoyait aux Jeux une délégation sportive nombreuse et « bien encadrée » par sa sœur et d’autres dirigeants, et approuvait sans réserve le principe d’équipes communes avec la Corée du Sud. Si, à chacun des Jeux, d’été ou d’hiver, la trêve olympique est proclamée par le Comité International Olympique, et d’ailleurs reprise par une résolution des Nations Unies et portée par la Fondation internationale pour la trêve olympique créée en juillet 2000, je me suis demandé si les circonstances particulières des JO d’hiver en Corée ne s’inscrivaient pas encore plus fortement dans la tradition de cette trêve. Ne lui donnaient-ils pas une seconde vie ?
A vrai dire, initialement j’étais sceptique et je me méfiais de l’enthousiasme des commentateurs. Il y a toujours eu des conflits et des controverses politiques et idéologiques plus ou moins intenses durant les JO contemporains, et on ne peut pas dire que ceux-ci aient bouleversé leur contexte géopolitique. Même si, depuis leur institution en 1896, ils ont survécu aux guerres et conflits de toute sorte avec la seule interruption des deux guerres mondiales, les JO n’ont pas représenté des étapes décisives dans les négociations diplomatiques et les pourparlers de paix. Ils ont même donné lieu à de belles manifestations d’hypocrisie, que l’on pense aux Jeux de Berlin en 1936. Après tout, pensais-je, il devait en être de même dans l’Antiquité : les peuples de la Grèce Antique se détestaient, les guerres étaient permanentes entre Athènes, Sparte et d’autres cités et reprenaient dès les Jeux terminés. Conclusion pour la Corée : les communiqués et les tweets rageurs vont reprendre, et nous allons de plus en plus nous inquiéter de les voir dégénérer en combat et même en catastrophe nucléaire. Pas de quoi se réjouir.
Alors j’ai voulu comprendre de plus près ce que représentait cette trêve olympique chez les Grecs et examiner si, après tout, les Coréens du Nord comme du Sud, ce peuple asiatique dramatiquement séparé entre deux Etats (le dernier dans ce cas après les réunifications de l’Allemagne et du Vietnam, si on met à part le cas de Chypre qui est plus complexe) n’avait-il pas mieux assimilé les enseignements de l’Antiquité que nous tous, Occidentaux, héritiers de la culture gréco-latine.
Grâce aux historiens et écrivains grecs (Thucydide, Xénophon, Lysias), nous connaissons assez précisément les Jeux Olympiques, leur cérémonial, leurs épreuves, leurs grands « sportifs ». L’institution de la trêve remonte à leur origine, que l’on situe généralement à 776 av JC. Mais, semble-t-il, ils avaient déjà eu lieu dès 884 et avaient peut-être été interrompus (par la Guerre de Troie ?). L’histoire retient que, à cette date lointaine, les trois rois Iphitos d’Elide (le territoire où se trouve Olympie), Cléosthène de Pisa et Lycurgue de Sparte ont signé un traité promulguant cette trêve. Iphitos, désemparé par les guerres intestines de son petit royaume, était allé consulter la Pythie de Delphes. Et, progressivement, la trêve s’est mise en place pour tous les Jeux panhelléniques : les Olympiades tous les quatre ans, les Jeux de Delphes tous les quatre ans, mais aussi les Jeux de l’Isthme de Corinthe et ceux de Némée tous les deux ans.
Attention : la trêve n’interrompait pas les conflits. Elle protégeait les athlètes, les responsables publics, les prêtres et les spectateurs, qui pouvaient ainsi traverser les territoires en guerre sans être inquiétés. Et les Grecs d’Olympie n’ont jamais construit de murailles pour se protéger. Les sanctions étaient prévues. Ainsi, Sparte a été condamnée à une très lourde amende pour avoir violé la trêve : faute de la payer, ses athlètes ont été exclus des jeux et l’un d’entre eux, un certain Lichas, a été fouetté par les arbitres pour avoir enfreint ce « boycott ».
Ce système a donc duré pendant des siècles, en fait plus de mille ans. Curieusement, c’est la conversion des derniers empereurs romains à la religion catholique qui a mis fin aux Jeux Olympiques. En 393 après Jésus-Christ, l’empereur chrétien Théodose a interdit les cultes anciens et donc les Jeux qui se déroulaient sous la protection des dieux de l’Antiquité.
Arrivé là, je me dis : rien de nouveau sous le soleil, l’histoire nous enseigne que pendant un millénaire les trêves olympiques n’ont en rien, ou si peu, entravé l’incessant enchaînement des conflits, des tyrannies, des querelles des nations et empires, ni leur traduction sanglante en guerres et massacres .Alors, ne nous faisons pas d’illusion sur l’avenir des relations entre les deux Corées : une trêve est par nature éphémère, une fois repliés les drapeaux et rangés les fanions de la cérémonie de clôture des Jeux Paralympiques, les déclarations guerrières et autres tweets vont reprendre, et les armées vont « montrer les muscles ». Rien de nouveau sous le soleil.
Regardons de plus près pourtant, et retournons chez les Anciens : Lysias, dans un Discours Olympique prononcé en 376 av JC, a « mythifié » les Jeux Olympiques. Il invite les Grecs à cesser leurs querelles. Il attribue la création des Jeux Olympiques au dieu Héraclès et affirme que « quand il eut mis fin au règne des tyrans et mis hors d’état de nuire ces monstres arrogants, il institua des concours pour exercer les corps, causa de l’émulation entre les cités dans l’étalage de leurs richesses, et créa des concours littéraires, tout cela dans le plus bel endroit de la Grèce. Il voulait pour cela que tous, nous nous rendions au même endroit, pour voir et pour entendre. Il pensait que la réunion des Grecs en ce lieu marquerait le commencement de leur amitié mutuelle ».
Alors, ce n’est plus une simple trêve, on va peut-être profiter de cette période d’apaisement pour commencer à discuter d’une paix durable ?
Notons que ces Jeux Olympiques antiques étaient l’affaire d’un seul peuple : ils étaient fermés aux autres peuples, considérés comme ennemis et barbares. L’idée de réconciliation en prend d’autant plus de force. Peut-être les Coréens ont-ils pensé à ce symbole de l’histoire.
Et voici que l’histoire s’accélère. Nous apprenons que le Grand Leader a reçu à dîner, il y a quelques jours, une délégation de Corée du Sud conduite par le conseiller à la sécurité du chef de L’État et le directeur des services de renseignement. Le dîner « s’est déroulé dans une atmosphère chaleureuse, animée de sentiments confraternels » et le Grand Leader « a discuté en profondeur des moyens d’apaiser les vives tensions dans la péninsule coréenne et d’entamer un dialogue par de multiples voies, d’établir des contacts, une coopération et des échanges ».
Je prends très au sérieux ces informations. Je suis persuadé que, puisqu’il s’agit du même peuple, avec des familles déchirées par la séparation en deux États depuis plus de soixante ans, l’aspiration à la réconciliation et peut-être à la réunification peut devenir irrépressible. Je ne crois pas à l’obstacle de l’écart entre les deux économies. C’est ce qu’on disait dans ma jeunesse pour prétendre que la réunification de l’Allemagne n’était pas envisageable.
Oui mais voilà. Les Coréens ne sont pas seuls dans ce « grand jeu » diplomatique. Il faut tenir compte de leurs puissants voisins japonais et chinois, et surtout de la « superpuissance » américaine et de son président prompt à balancer des tweets incendiaires.
L’actualité va m’aider à conclure cette chronique. Je viens d’apprendre que le Grand Leader avait invité le président américain et que celui-ci acceptait de le rencontrer. Définitivement, ce n’est plus une trêve, c’est le début des discussions sérieuses.
Bien sûr, je ne sais pas quelle sera la suite de l’histoire et, comme tout un chacun, j’espère que nous pourrons lire tranquillement cette chronique plus tard sans craindre d’être « atomisés » dans un conflit nucléaire. Mais je ne peux m’empêcher de penser que, pour ces Jeux Olympiques, plus que dans les précédents, on a vraiment renoué avec l’esprit de la trêve olympique.
Ils sont forts ces Coréens.
Signé VIEUZIBOU