Certes le texte est archi difficile, oui il semble assez daté, mais il devait y avoir moyen de le rendre plus accessible et d’éviter de faire perdre 2h30 aux spectateurs. Le personnage de BAAL est joué par Stanislas Nordey (très grand acteur, et metteur en scène, par ailleurs Directeur du théâtre national de Strasbourg depuis 2014).
Je l’avais déjà vu jouer dans Affabulazione de Pier Paolo Pasolini, un texte aussi très dur, très hermétique, et je n’avais pas remarqué qu’il avait un cheveu sur la langue. Ce petit défaut, sur un texte poétique devient encombrant, gênant, d’autant plus que, comme on s’ennuie ferme, on a tout le temps de s’attarder à des détails pareils- qui finissent par crisper. Stanislas Nordey est le fils de Jean Pierre Mocky, le super macho radin et génial du cinéma. Stanislas Nordey est lui-même un immense homme de théâtre mais je ne l’ai vu que dans des rôles particulièrement coriaces où il dépense son énergie sans compter.
Bon, allons au texte : il s’agit d’une longue tirade poétique que Brecht a commencée tout jeune en 1918 (il avait 20 ans) , et qu’il a retouchée jusqu’à ses derniers jours en 1956 (à 58 ans donc). C’est dire si on peut presque considérer qu’il s’agit d’un texte testament.
Je soupçonnais donc que ce texte serait un peu compliqué à « avaler ». Mais comme je ne l’avais pas lu, je ne m’imaginais pas qu’il était aussi pénible à entendre, et surtout qu’il m’embarrasserait autant (ce qui n’est pas un défaut, je ne suis pas contre le poil à gratter) dans une perspective contemporaine. Le héros Baal est un héros fertile, adulé, encensé, jouisseur, manipulateur, violent, solitaire, irréductible, insolent, prédateur. Un Zarathoustra, une sorte de François Villon, un Rimbaud, un poète satanique.
"C'est une bête, nous dit Brecht. Un être blessé, meurtri, un enfant de la guerre, engendré par un monde destructeur ». C’est un anti-social, un anarchiste, un Don Juan qui ne croit à rien, ne respecte rien.
Il cultive le culte de la nature, dans toute sa férocité, ses instincts bestiaux, sa magie, ses maléfices.
J’ai cherché qui était BAAL dans l’antiquité et dans la Bible, et c’était un maître, un propriétaire, un dieu solaire. Dans la théogonie antique, il était révéré comme un principe mâle et fécondateur, une sorte de phallus sacré. Il a aussi été adoré par les Hébreux dans les périodes lointaines, car il était dieu de la vie mais aussi de la mort. On lui sacrifiait des taureaux à Samarie. On retrouve la racine du mot dans le nom Hannibal (qui signifie « Baal est une grâce ») ou Balthasar (« Baal protège le roi »). On voit donc que ce dieu est directement le précurseur du Dieu des hébreux, du Dieu unique.
Pour en revenir à la pièce, il ne peut rien être reproché aux décors somptueux, bien pensés, ni aux acteurs qui exécutent une performance.
Mais pour un texte si difficile, était ce bien nécessaire de faire jouer de manière distanciée (méthode de Brecht certes mais dans le cas d’une pièce écrite bien avant la formulation de cette théorie ?????), était ce bien nécessaire alors qu’il s’agit d’une traduction de peser sur tous les mots ???? La poésie n’est guère flexible et a tendance à se dissoudre dans la langue, même si le traducteur a tout donné.
Et finalement pourquoi choisir ce texte maintenant, alors que l'époque regorge de héros maléfiques auxquels ne pas s'identifier?
Bref, cela a été un exercice de patience et de maîtrise de soi que de rester 2h30 assise au 3ème rang, et face à la scène (donc impossible de se lever discrètement pour sortir) pour attendre les dernières vociférations de fin.