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Un combat disruptif

Un combat disruptif

A notre époque devenue « disruptive » sous bien des aspects, voici qu’un grand « newsmagazine » américain consacre un dossier intitulé « Death disrupted » aux initiatives des entrepreneurs de la Silicon Valley visant à prolonger la vie humaine. C’est le « dernier combat de l’humanité contre l’inévitable ». En tête de ces "pionniers", un des fondateurs de Google, Larry Page, a fondé Calico, une société de recherche sur l’allongement de notre durée de vie.

Pourquoi un combat disruptif ? C’est que, tout en mettant des centaines de millions de dollars sur la table, ces entreprises veulent s’affranchir des procédures longues et complexes de validation de nouveaux traitements par les autorités de santé et nous annoncer des solutions miracles qui nous mèneront aux portes de notre vieux rêve d’éternité.

« Mon objectif est de vivre au-delà de 180 ans », annonce l’un de ces brillants PDG. Vraiment ? Allons-y voir !

- Première idée : transfuser deux litres de sang de jeune homme (16-25 ans) chez une personne plus âgée. 50 personnes ont payé 8000 dollars, aux USA, pour bénéficier de cette opération. Passons sur les explications scientifiques ; Signalons simplement que cette opération a été testée sur les souris, y compris sous forme d’échange de sang (les souris jeunes en auraient souffert). -A quand un monument à la souris anonyme, sacrifiée pour le bien de l’humanité -?

- Deuxième proposition : réaliser un examen complet de santé incluant un séquençage génétique intégral. Durée : 8 heures. Coût : 25 000 dollars . En déduire une meilleure connaissance des risques et des règles de vie saine pour la suite. 400 personnes de 30 à 95 ans ont subi ce test, qui a montré des problèmes médicaux significatifs chez 40% d’entre elles et, surtout, qui a « révélé » qu’une personne en bonne santé n’était autre « qu’un malade qui s’ignore ». Et on se pose encore une fois la question: qu'est ce que la maladie? Je ne crois pas que ce soit seulement quand la machine est en panne qu'il faut se poser la question, mais bien avant.

- Troisième solution : les pilules de jouvence, à prendre tous les jours. Il fallait y penser ! Pour 50 dollars par mois, une compagnie peut vous les fournir comme, affirme-t-elle , à des dizaines de milliers de clients. On n’a encore rien prouvé sur leurs effets, mais patience, on verra dans vingt ans….(un peu merchandising comme procédé?)

- Quatrième recherche : les pilules « nootropiques » qui agissent spécifiquement sur le cerveau pour stimuler notre mémoire, notre agilité intellectuelle, et par là-même nous redonner de l’énergie vitale. Selon les autorités , c’est « en général sans danger » (et en particulier ?) ; En fait on n’a rien démontré quant aux effets positifs et c’est peut-être moins efficace que les fameuses « boissons énergétiques » que l’on trouve sur le marché.

- Une dernière réponse originale, enfin: faire la diète. Avec 25% de calories quotidiennes en moins et une perte de poids de 10%, pour 300 dollars, un médecin vous prescrira une diète-type de cinq jours. On suppose que cela stimule le sommeil et la production de cellules saines.

D’autres sujets sont abordés dans ce dossier, parmi lesquels le « nerf de la guerre » : avec quel argent pourrons-nous vivre à 100 ans et au-delà ? il faut trouver les placements judicieux, les bonnes assurances, et un cadre de vie adapté (avec la problématique du maintien à domicile).

Ce qui me frappe dans ce dossier, c’est que tous les sujets y sont vus sous l’angle de l’individu isolé et aucunement sous celui de l’individu dans la société , avec sa famille, ses amis, ses proches, et les autres groupes sociaux. En effet, posons-nous quelques questions :

- A commencer par la cohabitation de personnes de plus en plus âgées avec toutes les générations précédentes : trois, puis quatre, puis jusqu’à six ou sept générations ( en vivant jusqu’à 180 ans, je rappelle). On imagine vraiment leurs relations ?

Dans ma jeunesse, j’avais été frappé par la lecture d’un ouvrage de Simone de Beauvoir : « Tous les hommes sont mortels ». Ce roman nous raconte, sous forme de conte philosophique, l’épopée de Fosca, prince toscan du 13ème siècle, qui a délibérément opté pour l’immortalité et la jeunesse éternelle après avoir absorbé un élixir magique. Il va donc, en s’incarnant dans de multiples personnages, traverser les périodes historiques qui nous séparent de l’époque contemporaine (le roman est paru en 1946). Mais, loin de profiter d’une vie de plus en plus riche en expériences et en émotions, il n’en pourra plus de voir le temps s’écouler et souffrira de la lassitude à laquelle le condamne ce cadeau empoisonné ; Il épuisera ses désirs et sombrera dans l’ennui puis l’apathie. Au contraire de l’homme qui est conscient de sa fin inéluctable (ce qui rend sa vie si précieuse) qui va le motiver à s’engager dans l’action et à vivre pleinement ses passions en se sachant condamné.

Il n’est pas (encore ?) question d’immortalité dans notre « dossier disruptif », mais cette prétention à vivre très longtemps n’aboutit-elle pas au même résultat ? Avec une proportion de plus en plus forte de personnes très âgées, qui pèseraient de plus en plus sur les jeunes générations, celles justement qui découvrent et vivent leurs passions, qui aiment, qui entreprennent. Et les enfants, les adolescents, ne seraient-ils pas saturés de parents, de grand- parents, de grand-grand parents, etc…Ou alors, mais il faut le dire, on prépare des « ghettos de vieux », à l’image des quartiers résidentiels fermés et gardiennés qui se développent aux Etats-Unis ou ailleurs. Et on aura une société de plus en plus fragmentée, sans échanges entre les générations.

- Autre question justement : veut-on faire « profiter » toute une génération de ces « bienfaisantes » découvertes ? ou bien ne va-t-on pas les réserver à des happy few suffisamment riches ou avertis ? Au PDG qui veut vivre jusqu’à 180 ans et à ses semblables ? Tels le prince Fosca, ne vont-ils pas devenir des grands blasés et désabusés ?

- En définitive, ce dossier se garde bien d’aborder une question qui nous préoccupe tous : comment faire bénéficier le plus grand nombre d’entre nous de tous les progrès de la recherche en médecine ? D’extraordinaires avancées ont été réalisées, et restent à réaliser dans la génétique, les biotechnologies, le traitement des données (le big data peut aussi s’appliquer à la médecine). Seulement voilà : au fur et à mesure que l’on réalise ces avancées, on s’aperçoit que les maladies « ont la vie dure », et dévoilent leur complexité et leur capacité à attaquer là où on ne les attend pas. C’est le cas du cancer, mais aussi des épidémies nouvelles et imprévues. On préfère donc s’attaquer à l’utopie de l’immortalité.

Et après tout, veut-on vraiment nous faire bénéficier de tout cet argent ? Ne veut-on pas nous faire comprendre que, dans ce monde futur d’humanité « augmentée » et « prolongée », nous allons devenir excédentaires et inutiles ? De la même façon que des travailleurs, voire des consommateurs, deviennent inutiles ?

Je prends le risque de choquer par cette conclusion, mais j’invite néanmoins à réfléchir et débattre sur ce retour en force de l’utopie de la vie prolongée.

signé VIEUZIBOU

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N
Je préfère la méthode du tir à l'arc......
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V
Merci pour ce commentaire, qui m'encourage à exprimer franchement ce que je ressens.
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L
Et bien j'aime beaucoup cet écrit de vieuzibou.<br /> Moi je ne veux pas de l'éternité ça c'est sûr
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