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Le disciple (Kiril SEREBRENNIKOV)

Le disciple (Kiril SEREBRENNIKOV)

L'HORREUR RELIGIEUSE (sous titre de moi)

Voilà une contribution au blog de la part d'un ami surnommé "VIEUZIBOU":

"Un de mes amis été bouleversé par un film russe que vous pouvez voir en ce moment : « Le disciple » de Kirill Serebrennikov.

Non, ce n’est pas un de ces films de réflexion sur la condition humaine sur fond de paysages immenses et d’images à l’esthétique soignée, sur lesquelles la caméra s’attarde longuement  pour mieux susciter nostalgie, mélancolie, et souvent tristesse et désespoir.

Il s’agit du premier film d’un metteur en scène de théâtre , qui y a déjà transposé des œuvres célèbres (tout récemment, son adaptation des « Ames mortes » de Gogol au Festival d’ Avignon a fait sensation).

Son film est vif, enlevé, avec des dialogues percutants, sans temps morts. Le cadre en est une ville moyenne russe, de nos jours, avec ses tristes barres de logements décrépites, et, en bord de mer, son port et une jetée bétonnée où, faute de mieux, les jeunes vont se baigner en été.

Nous faisons la connaissance de Veniamine , un ado qui vit chez sa mère , divorcée, dans un sombre logement HLM. C’est un beau brun, ardent, au regard brûlant, charismatique. Seulement voilà: il est littéralement « possédé » d’une foi chrétienne intense, exigeante, sans compromission. Il la proclame à la figure de ses interlocuteurs à coups de citations de la Bible, et pas choisies au hasard: il est toujours question de Dieu vengeur, de condamnation des plaisirs et de la luxure, de rejet des incroyants, des divorcés, des homosexuels, de tous ceux qui sont différents. Il est violent, il peut détruire tous les objets de confort de sa chambre pour en faire une cellule d’ascète, il peut se battre. Et, pour mieux nous impliquer, le réalisateur a incrusté dans les images les références aux livres sacrés de chacune des citations proférées par Veniamine.

 Sa mère, une brave femme au doux sourire, qui, dit-elle, fait trois boulots simultanés, pour joindre les deux bouts, est dépassée. Encore un drame familial classique, direz-vous ; mais voilà, très vite le film ne se focalise plus sur le conflit mère/fils, et d’ailleurs Veniamine, tout en condamnant le divorce de sa mère, ne concentre pas son agressivité sur elle. C’est sur la communauté éducative de son lycée , ses camarades, les profs, que va s’acharner l’exaltation « intégriste » de Veniamine, à commencer par la condamnation des bikinis trop suggestifs des filles lors des séances de piscine (on en revient toujours à l’habillement des femmes !), mais surtout en faisant littéralement œuvre de subversion au sein de sa classe lorsque les cours portent sur l’éducation sexuelle ou l’évolution des espèces telle que décrite par Darwin (on le voit déguisé en singe se comporter en « sauvage » devant sa prof et ses camarades ).

Ce qui dérange profondément dans ce film, c’est que personne n’est capable de faire face et de répondre, ne serait-ce que par l’exemplarité d’un comportement tolérant, optimiste, ouvert, aux excès en tout genre de Veniamine. A commencer par ses camarades. Comme c’est si souvent le cas, ils persécutent et humilient un des leurs, un brave garçon handicapé de naissance (une jambe plus courte que l’autre), Aliocha. Au milieu des brutes, c’est Veniamine qui le prend sous sa protection, qui le traite humainement et qui ensuite veut le « convertir ». Cela  se terminera très mal.

Regardons ensuite la communauté éducative: la prof dont il torpille les cours est sympathique, idéaliste, elle croit au progrès de l’humanité par la science, elle se montre courageuse, notamment lorsqu’elle passera des soirées chez elle à chercher dans la Bible des citations humanistes, ouvertes, à opposer à celles de Veniamine. Mais ses méthodes d’enseignement sont quelquefois maladroites et elle n’arrive pas à  se sortir des « pièges » que lui tend Veniamine.

Le prof de gym, lui, veut surtout « éviter les histoires », "pas de vagues", il est lâche et faible, et d’ailleurs pas insensible au charme des belles lycéennes.

Un autre homme est à distinguer, c'est un lâche, c’est le prêtre orthodoxe, un pope chargé de l’enseignement des « fondements de la culture orthodoxe » dans ce lycée public encore bien marqué par les méthodes soviétiques d’enseignement (on y apprend en cours d’histoire que Staline avait fait des victimes mais que par ailleurs il avait su motiver le peuple pour le développement de son pays et qu’il serait de nos jours un « bon manager »). Ce personnage du prêtre est ambigu comme sa mission: il condamne du bout des lèvres le comportement de Veniamine, pire même il cherche à l’ « enrôler » dans l’église, mais il se fait violemment rejeter par Veniamine qui lui oppose que « personne dans cette église n’est prêt à mourir pour sa foi alors que d’autres le font dans une autre religion ».

La directrice du lycée, elle, manifeste un certain courage (les femmes sont plus volontaires et courageuses que les hommes face à Veniamine).Elle vient mettre de l’ordre dans la classe perturbée par Veniamine, et elle aimerait bien que son « collectif » éducatif, réuni autour d’elle et en présence de la pauvre mère qui n’en peut plus, trouve des réponses adaptées, solides pour remettre Veniamine dans le « droit chemin ». Mais ils se perdent en discussions stériles et en conflits internes qui tournent vite à la critique de la prof.

Puis le drame se noue autour des provocations de Veniamine, de  son rejet de la sexualité, des homosexuels, des Juifs. Il fait éclater cette micro-société qui l’entoure et, pire, c’est la prof qui est exclue de son enseignement soi-disant pour ses méthodes d’enseignement trop innovantes et son incapacité à « maîtriser » le comportement de Veniamine. Il n’y aura donc pas de « happy end » dans ce film:  il y aura des victimes et Veniamine continuera à répandre son délire religieux.

A la sortie de la séance, mon ami a croisé une autre spectatrice, une enseignante parisienne, bouleversée elle aussi, qui lui a dit « c’est mal parti, je connais un lycée, que je ne nommerai pas, où il s’est passé des évènements presque similaires ». Où allons-nous ? Ce n’est pas seulement de la Russie qu’il s’agit, mais de nos sociétés ébranlées dans leurs fondements par la folie de certains, puisqu’il y a des fous parmi nous. Ce film parle de nous , à notre époque,  des questions auxquelles nous cherchons difficilement des réponses.

Une dernière précision: le film a été tourné dans la ville de Kaliningrad, ce port russe au bord de la mer Baltique, enclavé entre la Lituanie et la Pologne. Kaliningrad, conquise sur l’Allemagne nazie par les Soviétiques en 1945, c’était autrefois Koenigsberg, la ville du philosophe Emmanuel Kant…"

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