Publié à la fin de l’été 2016, ce roman est le premier d’une scénariste de 47 ans, Négar Djavadi, iranienne, entrée en France en 1981, alors qu’elle n’avait que 13 ans, avec ses parents, opposants au régime du Shah, et, bien entendu aussi, du régime de Khomeini. Je dis « bien entendu » mais rien ne l’est en fait.
Rappelons-nous : en 1979, le Shah quitte l’Iran, et la foule en liesse accueille son nouveau dictateur, l’Ayatollah Khomeini, revenant d’un exil que tout le monde a oublié en France, pendant 15 ans, à Néauphle le Château.
Avant de devenir l’ennemi public absolu des USA, l’Iran était/est un pays chiite de 80 millions d’habitants, non arabisés, pays fort d’un passé culturel impressionnant (écriture en – 3000 avant JC, littérature, poésie de Saadi, Hafez, encore lue dans le monde entier), et d’une avant-garde politique telle que ce pays a été le premier pays moyen oriental à se doter d’une constitution..par exemple.
Personnellement, cette Perse m’a toujours fait rêver, surtout pour sa culture et la représentation que j’en ai : le moyen orient des épices et des roses, du miel et du safran, du bleu et de l’ocre, de la cithare et du narguilé, des tapis étoilés, des miniatures, des grenades et des pistaches. Image idéalisée sans aucun doute, et qui occulte complètement le pouvoir des mollahs, le contrôle social extrême, la censure, le statut des femmes, la répression des minorités chrétiennes et juives, les condamnations à mort des homosexuels, les emprisonnements d’intellectuels….et la bombe !
Bien sûr que je n’ai pas vraiment envie de me coller un voile sur la tête, des manches longues et des pantalons pour visiter ce pays, mais Ispahan, Shiraz….valent peut être quelques sacrifices ?
Négar Djavadi fait partie de la diaspora nombreuse (3 millions) qui a quitté le pays à l’arrivée de Khomeini.
Le titre de ce roman indique parfaitement ce que l’on éprouve à sa lecture. L’auteure arrive à nous désorienter, à nous entrainer dans une spirale d’abord ample et libre, mais dont le débit s’accroit au fur et à mesure, en même temps que l’intrigue se resserre, s’accélère, se précipite.
Il y a bien un fil rouge : Kimia, le personnage central, une sorte de double de l’auteure, attend à l’hôpital Cochin, pour une FIV. C’est l’occasion de revoir, de manière circulaire, l’ensemble de son passé, depuis le grand père qui a eu près de 50 enfants, à la génération née en France, les enfants de ses sœurs, et celui que Kimia aura peut-être la chance de mettre au monde, si tout va bien.
Ce n’est pas tant le mode de vie iranien qui est décrit que les relations familiales, auscultées pour ce qu’elles disent, interdisent, interprètent, déterminent ou non.
Le fil se tisse de l’un à l’autre, d’une génération à l’autre, d’une sœur à l’autre. Mais comment être différente ?
Kimia est différente dès sa naissance, elle ressemble à sa grand-mère, morte le jour même où elle nait. Elle est brune, ses yeux sont noirs alors que toute la famille se pâme constamment devant les yeux couleur de Caspienne qu'ont les oncles, frères, pères et mères. Elle est en colère, c’est de famille, mais voilà, elle, elle se révolte contre d’autres ombres, d’autres contraintes que celles qui ont conduit la famille à l’exil. Elle est bien consciente que son destin ne pourra se vivre qu'à condition d'être éloignée des rites et codes familiaux, et qu’elle sera en proie à d’autres démons, d’autres malédictions.
Le récit s’enchaine sans qu’on puisse s’en détacher, tellement son avancée s’enroule autour de nous, tournicote, s'enlace en miroirs, de plus en plus fascinants, de plus en plus éclatés.
Ce qui m’a particulièrement touchée, ce sont les paroles d’exil. Comme c’est juste, ce sentiment de vivre une nouvelle naissance, mais pas une arrivée lumineuse, non, un lourd fardeau qu’on jette sur le côté, une existence à demi, en provisoire, en attente d’un impossible futur. Il faut, quand on change de pays, changer aussi d’histoire.
Et ce traumatisme ne peut pas être anticipé, ensuite, il est trop tard, il est toujours trop tôt ou trop tard.
Toutes les illusions, tous les rêves viennent s’échouer sur la grève d’un rivage nouveau, où personne ne vous connait, où il faut commencer à oublier, pour n’être qu’à demi français, qu’à demi étrangère. Maigre résultat d’un immense effort, se désintégrer d’abord, et ramasser les morceaux, les assembler de nouveau, coller les tesselles de la fresque, où il manquera toujours quelques éléments mosaïques pour que le dessin soit compréhensible, « interprétable », communicable.
« Les êtres meurent et le temps fait son travail. Mais demeure ce regret, qui aboie parfois dans le ventre, d’avoir laissé des occasions en suspens comme des fils qui pendent d’un vêtement usé et sur lesquels il ne faut surtout pas tirer ».
C’est vraiment un très beau roman, non pas dérangeant, mais tout à fait singulier, un peu errant, un roman où soufflent les vents des déserts et plateaux de ce grand pays, un roman où les destinées sont balayées, aspirées, malmenées par la grande histoire, celle qui est faite par des familles éparpillées..partout.