Nicolas Philibert est un exceptionnel documentariste, ça on le savait déjà, compte tenu de ce qu'il a réalisé auparavant, mais c’est aussi, parce qu'il est profondément humain, un as de l’écoute et de la transfiguration des êtres qu’il observe.
Après « Être et Avoir », au succès planétaire, et qui montrait l’infinie patience d’un maître d’école de campagne, après Nénette qui explorait nos sentiments face à une femelle Orang-Outan très âgée qui vit au Jardin des Plantes, après « De chaque instant » qui expliquait le quotidien des élèves infirmières et infirmiers, et après tant d’autres films qui sont tous des bijoux de tendresse et d’humour, nous voilà sur la péniche l’Adamant, amarrée sur la Seine, près de Bercy et de la Très Grande Bibliothèque. Ce lieu existe depuis une dizaine d’années et il est destiné à l’accueil de jour de patients atteints de troubles psychiatriques. Et c’est un lieu exceptionnel à plus d’un titre.
D’abord par sa localisation et son architecture. C’est une péniche aménagée comme une île, un grand bâtiment sympa en bois, très harmonieux, clair et ouvert. Et puis, dans Paris, les mètres carrés sont si chers qu’il faut trouver de l’espace sur la Seine pour accueillir ceux qui sont rejetés, ou du moins mis de côté, parce qu’ils sont plus fragiles, parce qu’ils sont incapables de rejoindre le monde du travail, de la production et de la rentabilité.
Ensuite, c’est un lieu exceptionnel parce qu’on y pratique la psychiatrie ouverte, comme du temps (que je regrette beaucoup) de Deleuze et Guattari, mais avec moins de radicalité (c’est nécessaire de garder, j’allais dire « raison », ou bien « les pieds sur terre » mais ni l’une ni l’autre de ces expressions ne convient dans le cas présent) donc de conserver un peu de réalisme. C’est pourquoi les médicaments ne sont pas laissés de côté. On en parle ouvertement et les patients reconnaissent que sans ces traitements, ils pourraient dériver de manière dangereuse pour eux-mêmes ou leur entourage.
On peut, parait-il, mesurer le degré de civilisation d’une société, à la manière dont elle traite ses fous.
Et bien, si c’est tout à fait honteux ce qui se passe aujourd’hui dans les hôpitaux psychiatriques, nous devrions être fiers de ce qui est pratiqué sur l’Adamant.
On comprend dès le début que la péniche est co-gérée par les patients qui contribuent à l’animation des activités, mais aussi au calcul des comptes, aux tâches quotidiennes, à la cuisine, (on les voit récupérer des fruits encore intacts dans des poubelles du marché pour en faire des confitures), et à la bonne marche de l’établissement.
Le regard inimitable de Nicolas Philibert s’attarde sur les créations des occupants, que ce soient les chansons qu’ils écrivent et interprètent ou les dessins qu’ils produisent et par lesquels ils peuvent exprimer leurs sentiments et décrire leurs vies, ou que ce soient par leurs réflexions sur leur propre situation ou ce qu’ils voient du monde. Sa caméra prend le temps de rester plusieurs minutes sur un visage, sur un être qui cherche ses mots, qui rit, qui danse, qui vit en un mot. Les gens ne sont jamais transformés en animaux de cirque, mais toujours enveloppés de dignité, car approchés avec une grande délicatesse.
D’ailleurs, les soignants et accompagnants vouvoient tous les pensionnaires du lieu, c’est la marque du respect que l’on doit à chaque être humain, et particulièrement à ceux qui sont dans la souffrance.
C’est un film d’une rare beauté, et qui redonne confiance en l’humanité. Il se termine sur cette question que l’on se pose aussi : « Pour combien de temps ? ».
Nicolas Philibert a obtenu l’Ours d’Or au Festival du Film à Berlin pour ce documentaire.