Attention, attention chef-d'œuvre ! Je recommande de voir ce film qui est peut-être le meilleur de ce grand réalisateur iranien Jafar Panahi, actuellement en prison pour 6 ans dans une des geôles les plus strictes d’Iran.
Le film vient de sortir dans les salles, mais a été tourné alors que le réalisateur avait interdiction de quitter son pays et qu’il était sous le coup de la mesure judiciaire prononcée à son encontre. Condamné en 2010 par la justice iranienne pour propagande contre le régime, il avait été placé en liberté conditionnelle jusqu'à son arrestation au parquet de Téhéran le 11 juillet 2022 à l'âge de 62 ans.
Je pense que c’est un des plus grands réalisateurs au monde, un vrai génie créatif et j’avais déjà vu plusieurs films dont Taxi Téhéran qui m’avait déjà fortement impressionnée, et je confirme encore avec ce film qui devrait rester dans les annales de l’histoire du cinéma.
Cette fois-ci le tour de force a été d’entrecroiser deux histoires et peut-être trois dans son scénario. La maestria avec laquelle il a construit son film est littéralement bluffante. Comme pour se protéger, Jafar Panahi, qui a interdiction de tourner, se met en scène dans chacun de ses derniers films, produits sous le manteau et bien entendu jamais distribués en Iran.
L’histoire commence sur le tournage d’un film (époustouflante mise en abyme) en Turquie, qui raconte les tribulations d’un couple d’Iraniens cherchant à s’exiler après une dizaine d’années d’attente en Turquie. Les passeurs, les mafias, les aigrefins de tous poils arrivent à fournir un faux passeport à la femme, (un faux passeport français !!!!!) mais pas au mari malade.
La femme refuse de partir seule en laissant son compagnon derrière elle….mais on va assez rapidement sortir de la fiction et s’apercevoir que l’histoire racontée est aussi celle, bien réelle celle-là, des acteurs qui tentent de fuir clandestinement un pays, l’Iran, où il n’y a ni travail, ni justice ni liberté, comme le criera l’actrice principale.
Laquelle, dans la vraie vie, est également émigrée depuis 7 ans en France, sans aucune possibilité de retour (surtout pas à l’heure actuelle) vers l’Iran. C’est assez troublant de penser que cette actrice a fui l’Iran et vit à Paris, après que son oncle, acteur reconnu à l’époque de la nouvelle vague française, ait choisi de rentrer en 1990 à Téhéran pour se retrouver pris au piège dans l’enfer du régime des mollahs.
Jafar Panahi , lui, joue son propre rôle de réalisateur, dirigeant sous cape, depuis un village reculé du Kurdistan iranien, le film cité plus haut, tourné en Turquie. Et Jafar se trouve, lui aussi, et bien involontairement, pris au piège dans une histoire villageoise où les traditions se heurtent à la modernité. Un jeune homme est en effet réfugié dans ce village après avoir été poursuivi, suite à une manifestation, dans la capitale iranienne. Il est tombé amoureux d’une jeune fille, déjà promise depuis sa naissance à un autre homme. Le réalisateur est le témoin des amours désobéissantes de la jeune fille avec son nouvel amoureux.
Mais au-delà de cette histoire, le village, très pauvre, où Jafar Panahi est hébergé, se trouve sur la frontière avec la Turquie, frontière non matérielle, mais constamment surveillée par les autorités et le lieu de tous les trafics. Le village, sous des dehors ruraux, ne vit que de la contrebande. Et c’est si risqué que, même quand on le lui propose, en lui faisant voir les lumières scintillantes de la ville en zone « libre », c’est-à-dire de l’autre côté de la frontière, le réalisateur fait trois pas en arrière dans un sursaut d’épouvante.
Les traditions de ce village sont autant de liens de servitude volontaire. Le maire est le potentat local, à qui tous obéissent. Les mariages sont décidés sans le consentement des femmes. Les relations entre les villageois sont totalement sous la coupe des coutumes, et… Ce, d’autant plus que l’économie est largement souterraine, donc sous la menace d’horribles sanctions.
J’ai trouvé particulièrement bien observé l’obséquiosité du logeur qui se confond en ronds de jambes et circonvolutions oratoires pour ne pas « offenser » un étranger (il dit un « invité ») mais en même temps obtenir de lui qu’il parte le plus vite possible. J’ai aussi apprécié que le réalisateur ne tombe pas dans le piège grossier auquel on lui demande d’adhérer, à savoir « jurer sur le Coran ».
Ce film est un film politique sous censure, où tout est dit, mais sans être frontal.
Faut-il émigrer, se demandent les personnages ? Est-ce que la liberté se trouvera dans l’exil ? Est-ce possible de « refaire » sa vie ailleurs ? Et pourtant personne n’imagine changer la situation de l’intérieur, personne ne se fait d’illusion, l’Iran est un cul-de-sac, une prison où il est devenu impossible de respirer, et d’où il est impossible de sortir.
Ce film est juste génial, il a obtenu le prix spécial du jury de la Mostra de Venise en 2022.
J’espère de toutes mes forces que ce film ne soit pas le dernier de ce cinéaste parmi les plus grands du monde.
PS: En septembre 2022, depuis sa cellule, Jafar Panahi avait pu adresser un message au Festival de Venise.
"Nous sommes des cinéastes. Nous faisons partie du cinéma indépendant iranien. Pour nous, vivre c’est créer. Nous créons des œuvres qui ne sont pas des commandes, c’est pourquoi ceux qui sont au pouvoir nous voient comme des criminels. Le cinéma indépendant reflète son époque. Il s’inspire de la société. Et il ne peut y être indifférent"
Re PS : l’actrice qui vit en France s’appelle Mina Kavani. Elle a des yeux revolver !