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Manuwa street (Sophie Bouillon 2021, Ed Premier Parallèle)

Manuwa street (Sophie Bouillon 2021, Ed Premier Parallèle)

Sophie Bouillon est quasiment la première à écrire un livre sur les effets sociaux de la crise sanitaire du COVID-19, et elle écrit depuis Lagos, Nigeria.

À la date d’aujourd’hui, ce pays de 210 millions d’habitants, le plus peuplé d’Afrique, ne compte « que » 166 000 cas soit 2000 morts du COVID-19. Je sais bien qu’il faut se méfier des statistiques et surtout de celles qui nous parviennent de pays peu ou pas démocratiques, mais il semblerait que l’Afrique ait été largement épargnée dans la pandémie actuelle. Raison de plus pour regarder les mesures qui ont ou non été prises dans la panique générale du 1er trimestre 2020.

L’auteur est journaliste à l’AFP, agencière donc, et c’est important car elle ne travaille pas pour un journal ou un autre, ce qui aurait pu biaiser son reportage. Car c’est bien d’un reportage qu’il s’agit dans ce livre, très facile à lire. Une écriture de journaliste agencière, c’est une écriture limpide et concise.

Sophie Bouillon, 36 ans, vit à Lagos depuis 2016 et elle a été journaliste indépendante en Afrique du Sud pendant de longues années. Autant dire qu’elle connait bien l’Afrique et plus spécifiquement l’Afrique qui se développe à toute allure, l’Afrique des contrastes et des inégalités, l’Afrique des destins fabuleux et des injustices, l’Afrique des opportunités et de la fatalité.

Le Nigéria est un immense pays, que nous connaissons pour les attentats terroristes de Boko Haram, dans le Nord du pays, mais c’est aussi une puissance économique très forte à cause du pétrole dans le sud du pays. Le pétrole et la corruption. Le pays est gouverné par un vieil homme malade Buhari. Ce pays est donc administré à minima, les puissants ayant intérêt à éviter trop de chaos visible (du moins dans la capitale) pour ne pas effrayer les investisseurs. Lagos est une ville monde (et monstre) de 20 millions d’habitants et c’est le règne de la débrouille…et du trafic. J’ai d’ailleurs lu ce livre parce que je suis fascinée par ce genre de ville, organique, mystérieuse, anarchique.

Le Coronavirus en Afrique, c’était d’abord perçu comme une maladie « parachutée », depuis l’Occident, une maladie à contre-courant donc, tant nous sommes accoutumés à ce que les pires maladies naissent et « restent » en Afrique, comme la fièvre Ebola ou la lèpre. Le coronavirus, c’est « un truc terriblement effrayant qu’on couvre avec l’orgueil postcolonial d’un journaliste occidental ; Avec l’intime conviction que ce n’est pas vraiment pour nous. Que cela ne bouleversera pas profondément le cours de notre monde ; Que cela n’aura pas vraiment d’incidence sur nos vies ni celles de nos familles. Que quoi qu’il arrive, il y aura toujours des avions pour en sortir ».

Les préjugés sont trompeurs !

La veille du confinement français, il y eu une explosion dans une usine de gaz, proche d’un internat de filles, qui a fait de nombreux morts et bien occupé les esprits. Dire combien de morts est impossible au Nigeria, de même qu’annoncer les causes des accidents. « La Nigerian National Petroleum Corporation, une entreprise publique, a toujours affirmé que l'explosion était le résultat d'un camion qui a heurté des bouteilles de gaz près d'un de ses pipelines. Mais l'enquête indépendante diligentée par BBC Africa Eye a trouvé une vidéo, tournée avant l'explosion, qui montre une fuite importante de liquide vaporisé. » BBC 20/09/2020.

Pour servir de cadre à cette crise sanitaire, il est utile de rappeler les méthodes musclées employées par les autorités, notamment pour les opérations d’urbanisme et qui montrent le peu de cas qui est fait des plus démunis.  En janvier 2020, l’armée a ainsi évacué sans ménagements 10 000 personnes à Tarkwa Bay pour y réaliser une opération immobilière. Et les habitants n’ont eu qu’une heure pour prendre leurs affaires et déguerpir, sans aucune offre de relogement. C’est assez dire la précarité de certains citoyens nigérians !

Alors, le lock down imposé pendant 6 semaines n’a pu qu’engendrer de nouvelles souffrances hors de proportions avec le contexte global du pays, habitué à d'autres catastrophes de toute nature, sanitaires, accidentelles ou naturelles.

Sophie Bouillon raconte toute cette période qui se « termine » par une rébellion en octobre 2020, laquelle sera réprimée dans le sang, après que même Joe Biden s’en soit inquiété. On ne laisse pas partir dans le chaos un pays pétrolier de cette importance !.

« Les forces de sécurité ne tolèreront aucun acte de sabotage de la démocratie » Devant nous, la foule chantait l’hymne national en secouant des drapeaux, elle priait tantôt Jésus, tantôt Allah et les activistes scandaient les noms des personnes tuées dans les manifestations à travers le pays ».

Au lendemain de la tuerie de Lekki, le Nigeria, lui, a sombré dans une rage de destruction intense, comme un bulldozer de la colère écrasant tout sur son passage. À travers le pays, des hangars renfermant des dizaines de tonnes de nourriture ont été pillées par des dizaines de milliers de personnes. …Tous ces sacs de riz, de pâtes, de farine étaient siglés de l’aide gouvernementale d’urgence et étaient censés avoir été distribués pendant le confinement. Les responsables avaient pourtant préféré les stocker, probablement pour les revendre, plus tard, au prix fort. »

Livre très intéressant pour sa valeur de témoignage.

 

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