Ça y est je l’ai lu ! Camilleri l’avait annoncé dès 2005, soit 15 ans environ avant son décès : il avait déjà écrit une aventure de Montalbano qui serait publiée à titre posthume et je l'attendais tellement!
Je me demandais bien comment un grand auteur (un des plus grands de ce siècle à mon avis) pouvait laisser une enquête policière testament derrière lui. Allait il faire mourir son personnage, comment distinguer cet épisode des autres romans policiers où apparait Montalbano ?
Quelle farce allait-il nous jouer ? Qu’avait donc à dire Camilleri qu’il n’aurait pas dit avec ses cents romans rédigés de son vivant ?
Publié en juin, soit un an pile après la mort de Camilleri, ce roman est donc une voix d’outre-tombe, imaginée par un auteur de 80 ans, qui se livre avec malice (comme d’habitude) et gravité tout de même, en se sentant faiblir et en prévoyant le manque cruel que nous allions éprouver à son décès.
Il y a donc bien une histoire policière, il y a bien le Commissaire Montalbano, il y a bien Vigata (ville inventée par Camilleri), il y a bien les personnages habituels : Catarella (« Ah Dottore, dottore, il y a quelqu’un qui veut vous parler au téléphone en personne personnellement »), il y a Fazio (avec ses tics, en particulier son goût pour les bios complètes des suspects), il y a le coup de téléphone de Livia qui exige de partir en Nouvelle Zélande, ou dans une autres destination tout aussi exotique et peu conforme aux aspirations du Commissaire (à moins que, le paradis peut être ?), mais il n’y a pas de Mimi Augello (le tombeur de femmes, l’italien typique). Nous sommes en pays familier, ces personnnages sont devenus tellement proches, tellement "vrais" que nous pensons tous les avoir réellement rencontrés.
Mais ce qui est tout à fait nouveau, c’est que sont insérées dans ce roman, du point de vue de Montalbano,
Les relations qui s’établissent entre ce commissaire de roman et l’acteur de la série des Montalbano, relations évidemment indirectes, racontées par ricochets par ceux qui ont vu la série et qui comparent Montalbano avec son double à l’écran (« il est plus jeune que toi, il a l’air plus sportif »…). Il y avait déjà dans les romans, quelques allusions à ce personnage de série TV, toujours écrites sur le ton de l’humour mais il me semble que, dans ce roman posthume, ces comparaisons touchent un peu plus le commissaire qui se sent vieillir alors que son double restera fringuant pour toujours.
Les relations entre Montalbano et l’auteur, relations qui ne se font que par téléphone, l’Auteur étant coincé à Rome pendant que Montalbano s’évertue à trouver l’assassin de son enquête. C’est l’occasion pour Camilleri de jouer avec son positionnement d’écrivain. En effet comment l’Auteur voit-il son personnage ? Et comment le personnage voit-il son auteur ? Quelle liberté, quelle autonomie du personnage par rapport à l’Auteur ? Quelle puissance de l’auteur sur l’intrigue ? Peut-il intervenir ou non ? Evidemment, il s’agit d’un jeu de miroir, évidemment le personnage dépend totalement de son auteur, mais j’ai souvent lu que les personnages s’imposent parfois à leur créateur, que l’histoire prend parfois des tournures non prévues initialement, comme s’il y avait une marge de liberté pour le récit et les personnages !
Il y a beaucoup de profondeur dans cette ultime aventure de Montalbano et cela a été un vrai plaisir de pouvoir découvrir encore un peu de l’imagination de Camilleri que j’aime tellement.
Le livre n’est pas encore traduit en français mais comme j’ai lu tout Camilleri en « taliano » c’est-à-dire dans la langue d’écriture de Camilleri qui joue sur les registres du sicilien , du dialecte et de l’italien ce qui est extrêmement savoureux pour un locuteur en italien (ça doit être moins rigolo pour un natif qui voit sa langue déformée par un dialecte reconstitué), j’ai lu celui-ci également dans le texte et j’ai adoré.
Voilà un petit extrait des premières pages pour admirer encore la langue de Camilleri.
«Il telefono sonò che era appena appena arrinisciuto a pigliari sonno, o almeno accussì gli parse". "Riccardino sono", disse una voce "squillante e festevole", per dargli appuntamento al bar Aurora. Ma Montalbano non conosceva nessuno con quel nome... Un'ora dopo, la telefonata di Catarella: avevano sparato a un uomo, Fazio lo stava cercando. Inutilmente il commissario cercò di affidare l'indagine a Mimì Augello, perché "gli anni principiavano a pesargli" aveva perso "il piacere indescrivibile della caccia solitaria", insomma "da qualichi tempo gli fagliava la gana", "si era stuffato di aviri a chiffari coi cretini". Si precipitò sul posto, e scoprì che il morto era proprio Riccardino.»
« La secunna telefonata arrivò che erano passate di picca le sei.
“Dottori, dimando compressione e pirdonanza. Che feci, l’arrisbigliai?”
“No, Catarè, vigilante ero”.
“Sicuro sicuro dottori? O me lo sta dicenno per complimento?”
“No, Catarè, non avere rimorsi. Dimmi”.
“Dottori, ora ora Fazio chiamò pirchì disse che a lui l’avivano chiamato”.
“E tu perché chiami me?”
“Pirchì Fazio mi disse di chiamarlo”.
“A me?”
“Nonsi dottori, a Fazio”.
Di questo passo, non sarebbe mai arrinisciuto a capiricci nenti. Riattaccò e chiamò Fazio sul cellulare.
“Che c’è?”
“Mi dispiace disturbarla, dottore, ma hanno sparato a uno”.
“L’hanno ammazzato?”
“Sissi, dottore. Due colpi in faccia. Sarebbe opportuno che lei venisse”.
“Augello non c’è?”
“Dottore, se ne è scordato? È andato nel paese dei suoceri, con la moglie e il picciliddro”. »
Allez, salut l'artiste, c'est bien fini mais tu resteras toujours vivant pour tant de gens! Et la Sicile sera toujours liée à tes personnages, comme s'il lui fallait encore compléter la richesse de sa culture par la tienne!