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Nous pour un moment (théâtre Ateliers Berthier)

Nous pour un moment (théâtre Ateliers Berthier)

Aux Ateliers Berthier, Stéphane Braunschweig met en scène l’écriture du norvégien Arne Lygre.

Et c’est une vraie réussite.

Au début de la pièce, deux panneaux blancs verticaux coupent entièrement toute perspective. Ces panneaux permettent de lire la qualité des personnages qui se succèdent. Sur le mur ainsi constitué on voit apparaitre : Une personne, une amie, un ennemi, un inconnu.

Les personnages n’ont pas d’autre nom que ceux-là.

Les personnages sont comme prisonniers de cet espace restreint à un angle, l’angle d’un mur, où sont alignées des chaises blanches. Pour rejoindre ces chaises les acteurs doivent traverser péniblement l’eau qui remplit tout l’espace plancher de la scène et leur arrive à mi-mollet.

Les personnages s’expriment comme s’ils lisaient leur rôle, mais à la première personne :

 « Je suis une personne, dis-je », « je suis une amie, j’ai des pensées haineuses », « je suis un ennemi, pensais-je ».

Et c’est à la fois pour que les personnages soient éloignés d’eux-mêmes, mais aussi pour qu’ils apparaissent comme transparents, éloignés également des conventions sociales, qui ne permettent pas de dire ce que l’on pense. Dire à son amie qu’on en est jalouse, qu’on la déteste, et que celle-ci ne sen offusque pas, est très étrange, mais les personnages semblent « étrangers » à la fois à eux-mêmes et aux autres. Ou plutôt, ils soulignent ainsi, à mon avis, qu’ils n’existent que dans et par la relation aux autres. Et d’ailleurs de façon toute provisoire.

Nous suivons ainsi les « aventures » d’une vingtaine de personnages, qui existent un moment, puis s’effacent comme ils étaient apparus. Rien ne dure, rien se s’arrête, et nous passons d’un personnage à l’autre, de la femme au mari après qla mort de celle-ci, de l’agressée à l’agresseur, de la proie au prédateur, dans une continuité lancinante. Chaque personnage, pourtant animé de désirs et de volonté de vivre, ne parvient pas à échapper à son destin éphémère. Tout fuit, tout s’enfuit, on oublie vite l'un pour « entrer » dans un autre, dans une chaine sans fin de passage de relai, de changement d’identité, de continuation du récit en « escalier ». La catastrophe ne fait pas « évènement », il n’y a pas de rupture de narration, pas de « cœur » du récit, mais un continuum qui ne fait d’ailleurs rien progresser, si ce n’est le sentiment, de plus en plus insupportable, d’absurdité, de « rien », d’absence du but et de sens.

Et pourtant chacun aimerait bien retenir l’autre, le « posséder », le « garder », maintenir une solidité de relation, mais chacun court malgré tout de l’un à l’autre, dans la quête, jamais rassasiée, d’un plaisir plus grand, plus « neuf » !

Au final, à force de passer d’une histoire à l’autre, d’une personne à une autre, d’une situation à une autre, nous nous perdons dans les jeux de miroirs et les illusions, nous avons l’impression d’un brouillage des corps et des personnes, qui se désincarnent petit à petit en âmes errantes, perdues dans la nuit sans fond de cet espace liquide.

Bien entendu, il y a des allusions aux thèses de Zygmund Bauman, le théoricien de la Vie Liquide, où tous les appuis solides, les institutions, le collectif, le social ont disparu au profit de la fluidité "anormale" du monde mondialisé. Les consommateurs (il n'ya plus de citoyens car la "localité n'existe plus) sont seuls devant leurs désirs de consommer encore plus, et la « société » ne produit de vraiment durable que des déchets, des choses expulsées, soit parce qu’elles sont devenues obsolètes, soit parce qu’elles sont ce qui reste après consommation.

La Vie Liquide est totalement précaire, vécue dans l’inquiétude constante et dans des conditions d’incertitudes angoissantes. Le mouvement y est incessant, aucune trajectoire n’est conservée bien longtemps, et nous ne pouvons plus vivre que dans le présent tant tout ce que nous "portons" devient vite périmé et doit être rapidement jeté. Nous vivons dans un labyrinthe dont nous ne connaissons pas le plan, et où il faut « se dépêcher » d’ « en profiter » puisque tout est volatil, voué aux ordures, à la destruction. Dans une telle société, personne n’échappe à la consommation car chacun devient lui-même un objet de consommation.

Zygmund Bauman écrivait : « nous devons apprendre à marcher sur les sables mouvants ».

Cette pièce me parait une illustration assez nette de ces théories, composées de personnages qui évoluent dans une ligne de fuite tracée comme sur du papier et qui doivent survivre les pieds dans l’eau.

PS : ça doit être dur pour les acteurs !

mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig

traduction française Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka
 

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