A la fin du 6ème et donc dernier épisode de ce feuilleton japonais, je vous avais quittés, chers lecteurs, dans la perplexité face à l’évolution des relations de Renault et Nissan, et dans une appréhension croissante sur l’avenir de Renault.
L’annonce de la proposition de fusion de Fiat/Chrysler/Automobile (FCA) avec Renault me conduit à changer le titre de cette rubrique. Rassurez-vous, c’est bien la continuité des six épisodes du « feuilleton » japonais et je ne laisserai pas tomber notre principal « héros », Carlos Ghosn. Je reviens ainsi vers une langue plus familière : en italien ce titre signifie « une nouvelle grosse embrouille », le mot « imbroglio » étant d’ailleurs à la fois moins familier et plus fort que notre embrouille, c’est une situation très complexe, quasi-inextricable, ce mot décrit bien de ce qui risque d’arriver.
J ’aurais pu aussi retenir un titre anglais car FCA est une entreprise américano-italienne, et surtout très internationale, à commencer par ses dirigeants. C’est par leurs portraits que je voudrais commencer.
Le président de Fiat, l’héritier de la dynastie Agnelli, tout d’abord. Il s’appelle John Elkann. Il est le petit-fils de Giovanni Agnelli, le mythique patron de Fiat de la fin du siècle dernier. Que représente Fiat en Italie ? J’ai déjà évoqué le poids de Renault, notre ancienne Régie Nationale, dans notre histoire et notre vie sociale. Avec ce paradoxe d’une entreprise nationalisée après la seconde guerre mondiale et qui porte le nom d’un capitaine d’industrie exproprié pour cause de collaboration. Mais ce poids est sans comparaison aucune avec la place de Fiat dans l’histoire récente et l’économie de l’Italie. Et ce depuis plus d’un siècle, à travers tous les régimes, le fascisme d’abord puis la république démocratique après la guerre, dans tous ses avatars. Et toujours sous la direction de la même famille d’industriels de Turin, dont Giovanni Agnelli fut le représentant emblématique durant la seconde moitié du vingtième siècle. Avec, d’ailleurs, un parcours de vie qui attirait autant les spécialistes du business que la presse people. Il semble que le petit-fils suive les traces du grand-père. Né en 1976 à New York mais de famille européenne par son père (Alain Elkann, un franco-italien) et sa mère, fille de Giovanni Agnelli, il devient le parfait manager international, parlant couramment quatre langues, après des études en Angleterre, en France et en Italie. Il a été désigné en 2013 par la presse spécialisée comme « un des dirigeants mondiaux de moins de 40 ans les plus influents ». Et surtout, sa carrière prend un tournant décisif quand il est désigné, après le décès de Giovanni Agnelli en 2003, comme l’héritier de la dynastie.
Et voici qu’apparaît, à la même époque, un autre personnage devenu mythique dans l’industrie automobile, Sergio Marchionne, nommé directeur général de Fiat en 2004, notamment sous l’influence de John Elkann. Né en Italie en 1952, mais parti émigrer avec sa famille au Canada, il y fit ses études et commença une brillante carrière de management international qui le fit « repérer » par les dirigeants de Fiat. Un vrai italo-américain en somme, et qui très vite manifesta son intérêt pour l’industrie automobile américaine. Il lorgna d’abord vers General Motors, mais c’est après la crise de 2008 qu’il eut l’opportunité de racheter Chrysler, société très affaiblie et dévalorisée malgré les aides de l’Etat fédéral américain décidées par le président Obama (eh oui, aux USA aussi, l’Etat intervient pour « sauver » son industrie, pas comme en France où on considère que c’est mal !), en estimant que c’était une bonne affaire pour Fiat et constituer ainsi un conglomérat assez puissant au niveau mondial.
Que cherchaient donc Sergio Marchionne et la famille Fiat ? De toute évidence, il s’agissait de peser plus lourd, car des spécialistes de l’industrie automobile considèrent qu’il faut atteindre une production de 5 millions de véhicules par an pour « peser » sur le marché mondial.
Il semble que la réputation de Sergio Marchionne est venue de son habileté à vanter les méthodes capitalistes américaines de management tout en continuant à faire tourner des usines en Italie (non sans « casse » sociale, il n’a pas hésité à licencier et à fermer des sites). A son actif, figure le lancement réussi de la nouvelle Fiat 500 en 2007. Il est décédé d’un cancer l’année dernière après avoir laissé une forte empreinte dans l’entreprise, et un fort traumatisme après sa disparition. C’est un certain Mike Manley, britannique, qui lui a succédé.
Tiens, comme par hasard, Renault est affaibli par les péripéties de « l’affaire » Carlos Ghosn et sa difficulté à trouver des relations adaptées avec Nissan : la valeur de l’action a baissé de près de 50%. C’est ce faible cours de bourse qui pourrait intéresser le groupe FCA, puisqu’ il propose une « vraie » fusion à Renault, différente donc de l’alliance avec Nissan. Alors, ça ne ressemblerait pas un peu à un comportement prédateur ? Ajoutons que Sergio Marchionne avait tendance à privilégier la rémunération des actionnaires sur les investissements de long terme dans les transformations de l’industrie automobile (un bon manager à l’américaine, on vous a dit). Dans ces domaines (voiture électrique, voiture autonome), Renault est en avance et constitue donc une « proie » séduisante, d’autant plus que FCA, menacé par des amendes européennes sur les émissions de CO2, a un besoin urgent de « crédits carbone » dont disposent les constructeurs engagés dans l’ingénierie du véhicule électrique.
En attendant, les protagonistes peuvent afficher des chiffres vertigineux : 8, 7 millions de véhicules vendus par la simple fusion avec Renault (3ème groupe mondial) et 15 millions, si on agglomère avec les chiffres de Nissan et Mitsubishi, de loin le premier conglomérat mondial devant Volkswagen et Toyota. Qui dit mieux ? Avec en prime le chapelet de marques prestigieuses figurant dans le giron de Fiat : Maserati, Lancia, Alfa Romeo …
Et Nissan dans tout cela ? Le moins que l’on puisse dire est que les réactions sont plutôt fraîches, à un moment où, comme prévu, les résultats sont en baisse chez le Japonais et où les relations ont du mal à repartir sur de nouvelles bases. Il est vrai que, dans l’attente du procès de Carlos Ghosn, qui n’aurait pas lieu avant l’an prochain, la « découverte » périodique de « révélations » sur son comportement à la tête de l’alliance ne va pas faciliter les choses. Est-ce que Renault voudrait se sortir d’un tête-à-tête difficile avec Nissan ?
Réaction beaucoup plus enthousiaste, à l’inverse, côté italien. L’omniprésent et médiatique ministre de l’Intérieur Matteo Salvini a proclamé, dès l’annonce de ce projet de fusion au lendemain des élections européennes, qu’il s’agissait d’« une opération brillante » et que « si la présence institutionnelle italienne était requise, il serait de notre devoir d’y aller ». Tiens, tiens, on s’enthousiasme pour une opération européenne (en apparence) avec une forte influence américaine ???. Méfiance, méfiance…
On l’a déjà dit dans ces rubriques, les fusions, en théorie à égalité 50/50, fonctionnent mal et, la plupart du temps, se terminent par la prédominance d’un des fusionnés sur l’autre. J’avais cité précédemment le cas de Technip, un fleuron de l’ingénierie française dans le domaine des technologies d’extraction pétrolière, qui a été littéralement pillée par l’américain FMC. Alors on nous fait miroiter les sempiternelles synergies de coût, avec un chiffre énorme de 5 milliards d’euros par an. N’oublions pas que, exagéré ou non, on trouve derrière ce chiffre des réalités moins reluisantes, des suppressions de poste, des fermetures d’usines, des transferts d’ingénierie, ou des pressions terribles sur les sous-traitants. Enfin, conséquence non négligeable, la part de l’Etat français dans le capital passerait de 15% à 7,5% et deviendrait donc largement minoritaire par rapport à la holding financière de la famille Fiat qui garderait 15% (la moitié environ des 29% qu’elle détient.
Au moment où l’Etat italien, lui, s’inviterait dans la partie (SALVINI!!!). Bon, pour nous rassurer, on nous rappelle que Jean-Dominique Senard, le nouveau patron de Renault, fréquentait déjà les dirigeants de Fiat quand il vendait ses pneus et ses produits Michelin. Mais est-ce bien cela l’important ? Alors notre Ministre de l’Économie peut bien "souhaiter" qu’il n’y ait « aucune fermeture d’usine et la préservation des emplois industriels. », il n'empêche que la situation est explosive car "pour relancer les marques du groupe Fiat, il faudra des milliards et des milliards" écrit un journaliste spécialisé, et les usines FIAT sont en sur-capacité (il faudra donc réduire la voilure, si vous voyez ce que je veux dire).
J’espère pouvoir revenir rapidement vers vous avec de nouveaux éclaircissements .
Signé VIEUZIBOU