Au théâtre Gérard Philipe de Saint Denis, ce samedi 16 mars 2019, pendant que les Champs Elysées brulaient.
C’était pour voir, non pour "entendre lire" des pièces d’auteurs russes oubliés.
André Markowicz avait choisi d’organiser avec des lycéens d’Enghien et des élèves de la Haute Ecole des Arts de la scène à Lausanne, des lectures de deux pièces d’auteurs russes d’avant la Révolution de 17.
Alexandre Blok pour le premier (De la poésie au service de l’Etat, 1906) et Leonid Andreiev (Le roi Famine 1908) pour le second.
Evidemment, je ne connaissais ni l’un ni l’autre.
Mais justement, cela a été une magnifique découverte, car ces auteurs ont été très connus à leur époque, et surtout, ils ont eu certainement un impact considérable sur la pensée russe. Je vais surtout parler d’ANDREIEV.
Tous les textes de cet auteur nous ont été cachés par le régime soviétique pendant de nombreuses années.
Militant antitsariste puis militant antibolchévique, Leonid Andreïev a été non seulement un auteur de grande envergure, mais aussi une des consciences prémonitoires du siècle dernier.
Il est né en 1871 au sud de Moscou. Très idéaliste, mais aussi très engagé, il est d’abord devenu avocat, puis, après s’être fait berner par un client indélicat, il a jeté la toge pour se consacrer à l’écriture.
Il avait lu Schopenhauer à dix-sept ans, Nietzsche pendant ses années d’études. Il chérissait les œuvres d’Edgar Poe, qui, comme lui, était un «être erratique». L’humeur noire qui le poursuivait depuis son plus jeune âge, l’avait rendu timide, ombrageux, prisonnier de l’alcool et des obsessions suicidaires.
Ses premières nouvelles, parues en 1901, traduisent cette hantise de la mort. Mais la noirceur de son univers exprimait si bien les angoisses de la fin du siècle et du nouveau millénaire que la Russie s'était bien reconnue dans cette peinture.
Remarqué par Gorki (avec qui il se fâchera ensuite en raison du pessimisme de sa pensée) , il a notamment publié après la répression sanglante de 1905, une pièce, Vers les Etoiles. Cette pièce a tout de suite passionné la troupe du Théâtre d’Art de Stanislavski et Némirovitch, à qui Andreïev, contraint à l’exil en décembre de la même année, allait transmettre ses droits de représentation pour la Russie. Censurée jusqu’en 1917, la pièce n’a pu être jouée qu’à Vienne, avant la guerre.
Leonid ANDREIEV est mort à 48 ans, en exil en Finlande.
La pièce lue avec brio par les élèves de la Manufacture de Lausanne s’intitulait « Le roi Famine ».
Elle est composée de différents « tableaux » où interviennent des personnes emblématiques comme la MORT, le ROI FAMINE, une société de gens brillants et favorisés, qui mangent, boivent et rient pendant que les CREVE-LA-FAIM, tout autour, tentent une rébellion. Rien qu’à la lecture, on avait l’impression d’y être, dans l’usine où les CREVE-LA-FAIM se transforment eux aussi en machines : on avait l’impression d’entendre le fracas des presses, de voir, dans le rougeoiement des fours les sihouettes exténuées de CREVE-LA-FAIM. La révolte de ceux qui ne sont vus que comme des outils au service des machines, de ceux qui ne comptent pas et qui sombrent dans une désespérance affamée, semble alors inévitable.
La scène suivant l’insurrection, est consacrée aux condamnations judiciaires des CREVE-LA FAIM par un tribunal qui refuse de comprendre les gestes de souffrance ultime, comme celui de cette femme qui pousse son enfant malnutri dans l’eau sombre d’une rivière, tribunal qui condamne systématiquement les désespérés.
C'est une pièce qui prend tout son sens à la lumière des évènements qui ont suivi en Russie, avec une révolution massive des opprimés et l'arrivée d'un régime achevant tous les repères antérieurs. J'ai souvent pensé qu'il y a plus de vérité dans les oeuvres de fiction que dans les conjectures publiées par des journalistes. C'est très vrai pour cette pièce qui me donne envie d'en connaître plus sur cet auteur resté confidentiel si longtemps.
Bravo, donc pour cette belle initiative.
Je voulais ajouter que samedi 16 mars, pendant que les Champs Elysées étaient saccagés, à Saint Denis il régnait une tout autre atmosphère.
Je n’y étais jamais venue, à Saint Denis, et j’ai voulu faire quelques pas jusqu’à la Basilique, celle où sont enterrés les rois de France.
C’était une rue piétonne, la rue centrale de Saint Denis. Les boutiques étaient ouvertes et la rue remplie de monde, beaucoup d’enfants et de jeunes, d’ailleurs. Question fringues, on y vendait des boubous magnifiques, et des jogging-capuches pour les hommes. J'ai remarqué des portants (des formes pour exposer les vêtements) taille 46 au moins. Super, rien à voir avec les habits chics, taille 34, des Champs Elysées !
Il y avait aussi des coiffeurs et plein de magasins où trouver des tresses de cheveux de toutes les couleurs.
Et question bouffe, outre les trucs vendus à même la chaussée, il y avait des commerces avec plein d’ignames, de mangues, d’ananas et de fruits extraordinaires ! Sympa Saint Denis ! J’en recommande la visite, on est un peu comme si on voyageait dans un autre pays, pas un pays totalement étranger quand même, mais pas un pays comme les Champs Elysées pour sûr !
J’ai acheté des poivrons et des dattes, pas cher du tout, des piments bien forts, et j’ai failli me laisser tenter par des bocaux appétissants et chamarrés : rougail, harissa, pois chiches…mais il fallait rentrer, Saint Denis c’est le bout du monde !