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La nuit des rois (Th. Ostermeier à la Comédie Française)

La nuit des rois (Th. Ostermeier à la Comédie Française)

La Nuit des Rois est une mauvaise traduction de  « Twelfth Night »,  qui renvoie à la Douzième Nuit (6 janvier) , fête de l'Épiphanie, une fête qui célèbre le jour où les trois rois mages ont offert des cadeaux à Jésus.
 


Il semblerait que Twelfth Night ait été jouée pour la reine Elisabeth et son invité, le comte Don Virginio Orsino, le 6 janvier 1601. (Orsino est aussi le nom de l’amoureux de Viola dans la pièce.)
La Douzième Nuit marque la fin d'une période de grandes célébrations et de réjouissances depuis Noêl jusqu’à l’Epiphanie, et les Élisabéthains, pendant cette saison,  mangeaient, dansaient et buvaient à n’en plus finir. Il faut penser au mardi gras, qui est associé à l'inversion des règles et au désordre social. Les communautés élisabéthaines désignaient souvent des jeunes garçons comme «seigneurs de la domination» pour jouer le roi pendant un jour et régner sur les festivités. (Ils ont emprunté cela aux fêtes païennes d'hiver comme les Saturnales romaines.) La Nuit des Rois était donc un moyen pour les gens de se laisser aller, de se défouler et de se rebeller à l'autorité.
 


La deuxième partie du titre de la pièce, « What You Will » ou « Tout ce que vous voulez » (seule pièce de Shakespeare à comporter un double intitulé) , renvoie également à la fête. Tous les personnages transcendent les frontières sociales et se livrent à des bêtises (même s’ils ne sont pas toujours conscients de leur comportement). Certains expliquent qu’on avait demandé au dramaturge : "Hey Willy Shakespeare, quel est le nom de la pièce que vous écrivez ?" Shakespeare a répondu: "Euh, la Nuit des Rois ou ce que tu voudras" ("Je ne sais pas - peu importe").
 


Le lieu :
Twelfth Night se déroule dans l'imaginaire Duché de l’Illyrie, endroit que l’on situerait sur  la côte adriatique, autrement dit un endroit que la plupart des Élisabéthains ignoraient et où la plupart des Londoniens n’étaient jamais allés. Cet endroit à la sonorité lointaine et mystérieuse en fait un cadre idéal pour Shakespeare, qui peut y prendre toutes les libertés voulues.

À certains égards, l’Illyrie ressemble à Hollywood : le pays  regorge de célébrités (comme le célèbre célibataire, Duke Orsino et la belle et unique héritière, Lady Olivia) dont les tragédies personnelles et les vies amoureuses sont exposées comme du linge sale aux yeux du monde entier. Que découvrons-nous en Illyrie ?  Chez Olivia, Toby et Sir Andrew ont transformé le lieu de vie de la comtesse Olivia (dont le deuil est….comment dire…..assez érotique)  en une sorte de taverne à ciel ouvert ,  où tout le monde vient boire et faire la fête.

 

L’histoire :

Viola, sœur jumelle de Sébastian, survit à un naufrage et décide, pour échapper aux potins et se protéger, de s'habiller en garçon, de s’appeler Cesario et de travailler pour le duc Orsino,

Ce dernier se croit amoureux de la comtesse Olivia, laquelle le fuit obstinément et pleure la perte de son frère mort. La situation va se compliquer car Cesario/Viola est envoyé pour courtiser Olivia au nom de son patron.  Mais la pauvre Viola tombe amoureuse raide d’Orsino. Tandis que Olivia, croyant avoir à faire à un jeune garçon tombe amoureuse de Cesario/Viola.

A la cour de la comtesse, il y a un certain puritain Malvolio qui va devenir le souffre-douleur des chenapans que sont la servante Maria, le bouffon Feste et les gentilshommes Toby (oncle d’Olivia) et Andrew Aguecheek (symbole d’une noblesse complètement dégénérée). Malvolio agit comme un membre d'une secte religieuse du 16ème siècle en Angleterre qui s'opposait aux festivités de Twelfth Night ; L’humilier est donc important non seulement en tant qu’acte de vengeance mesquin, mais également en tant que moyen plus large de contester l’autorité morale.

Maria écrit une lettre d'amour à Malvolio qu'elle signe du nom d'Olivia où elle lui  demande de toujours sourire lorsqu'il la voit, de porter des chaussettes jaunes et des jarretières croisées pour lui signifier qu'il a reçu son message. Malvolio révèle que, pour lui, ce « mariage » serait financièrement une très bonne aubaine. Malvolio se laisse donc  prendre au piège tendu par Maria et en rajoute lorsqu'il voit Olivia. Croyant qu'elle a maintenant affaire à un fou, Olivia demande qu'on s'occupe de Malvolio. Sir Toby le fait enfermer dans une pièce obscure jusqu'à ce qu'il recouvre ses esprits.

Entre-temps, Sébastien, le jumeau de Viola, qui a été repêché par les marins du capitaine Antonio, se retrouve en Illyrie.

Tous les malentendus se lèveront à la fin de la pièce …quoi que ????

Cesario/Viola reste dans son costume de garçon et le mélange des genres (femme/homme, frère/sœur, amoureux/amoureuse) se prolonge dans une joyeuse pagaille finale de baisers.

Thomas Ostermeier  situe l'action sous un soleil de plage, à lampes de néon, qui éclaire un trône entre deux rangées de palmiers carton-pâte. Deux  grands singes semblent rejouer 2001, odyssée de l'espace. Les personnages de La nuit des rois,  sont en petites culottes et boxers blancs . Le carnaval de folie androgyne peut commencer. 

Le Duc ( Denis Podalydès) donne complètement de sa personne et circule en string sous nos yeux ébahis.  Stéphane Varupenne est un Feste très crédible. Et J’ai adoré le jeu de Laurent Stocker dans le rôle de Toby, toujours entre deux vins, cruel et malicieux. Sébastien Pouderoux est totalement incroyable dans sa métamorphose avec ses bas jaunes, ses jarretières croisées et son énorme bite dorée.

Adeline D’hermy, habillée en Domina, avec guêpière noire et voilette assortie, joue avec grande sensualité une Olivia remplie de sentiments dominateurs pour la « transgenre » Georgia Scalliet, qui, elle, remplit assez bien le rôle ambigu qui lui est dévolu .

Extrait : Dialogue entre Olivia et Viola
O :
— Reste… dis-moi toi ce que tu penses de moi.
V : — Que vous pensez être ce que vous n’êtes pas.
O : — Si je pense ça, je pense la même chose de vous.
V : — Vous pensez juste. Je ne suis pas ce que je suis.
O : — Je te voudrais tel que… je voudrais que tu sois.
V : — Ce serait mieux, Madame, que… ce que je suis ? Ce serait mieux sans doute, parce que là, vous me prenez pour un idiot.

On pardonne les allusions à l’actualité, qui sont, à mon avis, la contribution d’Ostemeier au théâtre élisabéthain (qui ne se privait pas, pour sûr, de faire contribuer la salle).

Et j’ai beaucoup aimé le contre ténor qui chantait de merveilleux airs de Monterverdi et autres compositeurs de l’époque.

Par contre, dans ma mémoire, la pièce se finissait par une très jolie chanson que je n’ai pas entendue et qui conférait le ton à la fois mélancolique et pétillant à l’ensemble de la performance :

"Quand j'étais un tout petit gars

Par le vent, ô gué! par la pluie,

Ah ! Je m'en donnais à coeur joie

Car la pluie tombe jour et nuit" .

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