De Sylvain Creuzevault, j’avais déjà vu, à La Colline, "Notre Terreur" et je n’avais déjà pas accroché.
En effet, l’improvisation ne me plait au théâtre que si elle est source de spontanéité et d’humour. Je n’aime pas le côté « brouillon » des pièces construites sur l’improvisation. Et dans Notre Terreur, j’avais peu apprécié l’hémoglobine qui semblait justifier le discours et les actes des acteurs, tous assis à une grande table, sur/ sous /autour de laquelle se déroulaient les épisodes de la Terreur. Bref, les spectateurs étaient arrosés eux aussi et tout se finissait dans un grand mélange de couleurs.
Reprise de l’improvisation « maîtrisée » dans Les Démons où, décidément, il vaut mieux ne pas se trouver aux 1ers rangs car cette fois-ci , on y va au tuyau d’arrosage dirigé sur les acteurs mais aussi sur la salle !
Ce n’est pas parce que le spectacle durait 4 heures que je ne suis pas restée pour la seconde partie, mais parce que j’ai trouvé indigeste la version donnée par Sylvain Creuzevault de ce roman puissant de Dostoïevski.
Voilà comment est présentée la pièce sur le site de l’Odeon : « Poursuivant son compagnonnage avec le Festival d’Automne, Sylvain Creuzevault affronte, après le mythe de Faust, Les Démons de Dostoïevski, vertigineuse fresque politique et philosophique. Toujours dans l’intention de dresser entre révolution et spiritualité une dialectique du rire et de l’effroi.
Depuis 2009 et Notre terreur, plongée haletante dans les coulisses de la Révolution française, Sylvain Creuzevault n’a eu de cesse de sonder « la chambre aux secrets de notre mode d’organisation sociale ». Après l’avoir envisagé à partir du lieu politique, puis économique – Le Capital et son Singe, d’après Marx, 2014 –, et enfin sous l’angle de la construction des représentations – ANGELUS NOVUS AntiFaust, 2016 –, il veut aujourd’hui l’attaquer par le dialogue entre athéisme et foi, entre Dieu et Déments, avec ce livre-somme, ce roman-monstre que constitue Les Démons de Dostoïevski. Écrit entre 1869 et 1872, c’est l’œuvre d’un artiste rendu furieux par la menace que les socialistes et les nihilistes lui semblent représenter pour la Russie, et désireux de « leur répondre avec le fouet ».
C’est vrai que Dostoïevski met en scène tous les courants qui agitent la Russie de cette époque, socialistes, nihilistes, nationalistes, vieux russes, chrétiens fervents, et athées. Mais le roman est bien plus qu’une thèse sur les craintes politico-métaphysiques de Dostoïevski. On y retrouve toutes ses obsessions et ses hallucinations, ses traumatismes, ses questionnements existentiels, bref l'essence même de ses romans.
Je trouve que Sylvain Creuzevault a rendu ridicules les angoisses de Dostoïevski (qui avait pourtant toutes les raisons du monde d'être paranoïaque et sujet à des crises hallucinatoires). Le jeu des acteurs (outré), les jeux de mots (le balai et les ballets russes !), la mise en scène échevelée (les hommes nus qui dansent, le christ qui se balade avec un chien en plastique dans les bras, les imperméables qui indiquent soit une ombre fantomatique, soit le voile de la disgracieuse mariée, les personnages assis sur la scène de part et d’autre du lieu de la représentation…), tout porte au grotesque et à l‘incrédulité. Les acteurs jouent tous deux ou trois rôles ce qui ajoute encore à la confusion d'ensemble.
La représentation de Peter Stein (qui durait 12 heures) dans le même théâtre, en 2010, m’avait enchantée et j’ai été, il faut le reconnaitre, très déçue par Sylvain Creuzevault, au point où, après deux spectacles dans la même veine, je me méfierai à l’avenir.
Ça plaira peut-être à ceux qui aiment une écriture théâtrale gore, pleine de cris et de fureur, de personnages déjantés, braillant à moitié à poil, et à tous ceux qui adorent les happenings où ils se font copieusement arroser de toutes sortes de liquides…
Pour ma part, je m’en tiendrais à des représentations plus sobres et moins décalées par rapport au texte initial, tel que je le perçois du moins. Personne n'est parfait!