Spinoza est indéniablement à la mode, pas moins de 2 ou 3 livres lui sont consacrés chaque année, qui mettent tous l’accent sur les bienfaits de sa philosophie pour notre moral et notre vie.
Je ne suis pas spécialiste ni de Spinoza, ni de la philosophie mais j’ai voulu savoir pourquoi ce philosophe, (dont le portrait en habit strict de puritain hollandais du XVIIème siècle, ne fait pas particulièrement penser aux délices d’Epicure et n’évoque pas le bonheur de vivre), pourquoi ce philosophe est tant de fois cité comme le philosophe de la joie.
Pour cela je me suis appuyée sur le livre suivant : Citations de Spinoza expliquées par Marc Halevy, et aussi sur les œuvres elles-mêmes de Baruch Spinoza.
Glup !
Il faut l’écrire tout de suite, les œuvres du « prince de la philosophie », sont quasiment illisibles. Il a écrit notamment un gros traité « Théologico-politique » tout aussi indigeste que « L’Ethique », publié après sa mort à 44 ans. A priori, rien de bien affriolant pour un néophyte, je dirais même que, écrits dans une langue du XVIIème siècle, ces textes sont carrément rebutants.
De plus, « l’Ethique » est rédigé de manière « géométrique », comme un traité de mathématiques. A partir de définitions, axiomes et postulats, il s’ensuit une série ordonnée de théorèmes, démonstrations et corollaires. Cette rigueur est bien sûr au service de la pensée, mais on voit bien ainsi combien elle est éloignée du « batifolage » et de tout art de la séduction.
Sa vie
Quant à Spinoza lui-même, c’est exactement un modèle de sagesse, peut être l’un des rares à avoir vécu conformément à la morale qu’il professait.
Il est issu d’une communauté de juifs marranes (on appelait comme ça ceux qui, au Portugal et en Espagne, avaient été contraints de se convertir en apparence au catholicisme à cause de l’inquisition mais qui étaient soupçonnés de continuer le judaïsme en secret), exilés à Amsterdam au XVIème siècle. En effet, les provinces hollandaises, passées au protestantisme, accueillaient plus facilement les soit disant « hérétiques », qui plus est renégats.
Né à Amsterdam, Spinoza avait certainement fréquenté des chrétiens libéraux et anticléricaux, inspirés d’un certain panthéisme et d’un communisme pacifiste. Toujours est-il qu’à 23 ans, est prononcé contre lui un « herem », ainsi rédigé : « A l'aide du jugement des saints et des anges, nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza avec le consentement de toute la sainte communauté en présence de nos saints livres et des six cent treize commandements qui y sont enfermés.[…] Qu'il soit maudit le jour, qu'il soit maudit la nuit ; qu'il soit maudit pendant son sommeil et pendant qu'il veille»
Bouh!!! ça fait peur!!!
Peu de temps auparavant, un homme aurait même tenté de le poignarder qui, blessé, aurait conservé le manteau troué par la lame pour se rappeler que la passion religieuse mène à la folie.
Spinoza n’avait pourtant encore rien publié et il dira : «A la bonne heure (...), on ne me force à rien que je n'eusse fait de moi-même si je n'avais craint le scandale. Mais, puisqu'on le veut de la sorte, j'entre avec joie dans le chemin qui m'est ouvert, avec cette consolation que ma sortie sera plus innocente que ne fut celle des premiers Hébreux hors d'Egypte.»
Depuis ces évènements et quoi qu’on lui ait proposé des postes d’enseignants, et autres jobs intéressants, Spinoza refuse tout et se consacre à la philosophie. Pour gagner son pain, il exerce parallèlement le métier de polisseur de lentilles de verres optiques pour lunettes et microscopes.
Sa philosophie
Je vais résumer en peu de mots ce que j’ai compris.
1- Notre grande affaire à nous tous sur la terre c’est l’amour.
2- Aimer c’est ressentir de la joie.
3- La joie vient du désir.
4- Le désir ce n’est pas un manque mais une puissance vitale.(pour Platon, le désir c'était le manque).
5- On ne peut pas désirer de manière autonome, il y a toujours une cause extérieure à notre désir, autrement dit notre puissance vitale s’adresse toujours à un objet (d’amour).
6- On croit désirer quelqu’un ou quelque chose d’autre, mais en fait, on ne désire que nous réaliser nous-mêmes.
7- Etre soi-même ce n’est pas assister passivement à l’expression de notre identité, mais c’est justement désirer, vouloir, faire un effort pour se réaliser soi-même.
8- Très souvent nous désirons (ou croyons désirer) quelque chose qui est mauvais pour nous (exemple des addictions).
9- C’est parce que nous nous connaissons mal que nous nous dirigeons vers ce qui ne nous convient pas.
10- Nous ne pouvons nous connaitre que par l’expérience du monde extérieur, mais dès que nous entrons en contact avec le monde extérieur nous voilà ramenés à nous-mêmes.
Jusqu’ici, c’est à peu près clair, non ? J’ai toujours trouvé que lorsqu’on me disait « Sois toi-même », cela ne voulait rien dire. C’était même paniquant parce que justement qui peut dire qu’il se connait ? Et même si nous nous connaissons aujourd’hui, que serons-nous demain ? Nous pouvons (au moins un peu) évoluer, apprendre, changer ou alors c’est à désespérer de la nature humaine.
La quête du Bonheur
Et justement Spinoza pensait que nos désirs et nos actions étaient poussés par la nécessité de notre espèce, que nos instincts, notre nature ne pouvait que nous diriger vers la vie et pas vers le contraire.
Seulement voilà, nous n’écoutons pas suffisamment notre nature « divine », nous agissons souvent par mimétisme (parce que d’autres aiment la même chose, c’est la mode, ou à cause d’un conformisme moral, ou même encore parce que nous avons été intoxiqués, empoisonnés par des illusions) ou par rejet (la haine est d’autant plus forte que nous ne recevons pas d’amour en retour du notre).
Spinoza fait preuve d’une grande confiance dans notre nature qui, selon lui, ne peut que nous entrainer vers la recherche d’un amour durable et sain, un amour qui nourrira notre vie, qui augmentera notre volonté de vivre.
En cherchant, nous allons pour sûr trouver l’amour de Dieu, ce qui pour le philosophe est l’amour de la vie.
C’est ce qui nous apportera joie et liberté.
Hors de nos fausses passions, le goût, l’amour pour la vérité nous amènera à la sagesse mais pas une sagesse mortificatoire, une sagesse HEUREUSE parce que sans cesse active.
Le message aujourd’hui
Le message colle bien à toutes les recommandations « feel good » d’aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Donc malgré son côté rébarbatif, et je dirais même grâce à son côté rébarbatif, Spinoza est une mine d’or pour les conseilleurs de bonheur d’aujourd’hui. Puisqu’on n’arrive pas à le lire, certains nous expliquent très doctement ce que Spinoza entendait par la joie et la sagesse. Les bonnes recettes se font dans les vieux pots.
Et moi j’ai honte d’avoir simplifié à l’extrême la pensée d’un très grand philosophe…mais écrire m’a permis de mieux comprendre, et certainement un tout petit coin du voile.
Références:
Le bonheur avec Spinoza - L'Ethique reformulée pour notre temps de Bruno Giuliani
Le miracle Spinoza: Une philosophie pour éclairer notre vie de Frédéric Lenoir
Pas a Pas avec Spinoza de Ariel Suhamy
Spinoza une philosophie de la joie de Robert Misrahi
Etre heureux avec Spinoza de Balthasar Thomass
Leçons sur Spinoza de Ferdinand Alquié