C’est un film construit comme une tragédie antique en 3 actes, mais selon une structure, un rythme et une esthétique destinés à nous déstabiliser émotionnellement. Beaucoup des gens autour de moi l’ont trouvé très dur. Moi, j’ai pensé qu’il y avait bien longtemps que je n’avais pas vu un film aussi beau.
Ce film a été diffusé en ouverture du festival du film israélien qui se tient à Paris en ce moment même (du 13 au 20 mars 2018). Et il a provoqué une polémique au sein des autorités israéliennes, ce qui, paradoxalement, a aussi assuré sa promotion : la ministre israélienne de la Culture, Miri Regev a violemment attaqué ce film, primé à la Mostra de Venise, au motif qu’il ne donnait pas une bonne image de l’armée israélienne. Elle a même refusé de venir ouvrir le festival de peur de le cautionner. En conséquence, les séances étaient pleines à craquer.
Alors de quoi s’agit-il ?
Le réalisateur Samuel Maoz s’était déjà fait connaître avec le film « Lebanon », entièrement filmé depuis un char de combat et qui montrait que les premières victimes de la guerre étaient les soldats eux-mêmes.
Foxtrot décrit le traumatisme du soldat israélien qui a commis une erreur tragique, qu’il aurait préféré ne jamais commettre, tout en reconnaissant les civils palestiniens comme les véritables victimes du drame. L’occupation militaire israélienne a un prix, et ce prix est très élevé, de part et d’autre du conflit. Mais ce serait un peu trop simpliste de réduire ce film à un propos antimilitariste, car il y a bien d’autres dimensions à prendre en compte.
Tout d’abord Samuel Maoz explique que ce film est fondé sur une histoire vraie : sa fille avait pris un bus pour aller à l’école, dont on avait annoncé une heure plus tard qu’il avait été la cible d’un attentat terroriste. Pendant les moments de panique qui s’en sont suivis, les parents ont appris que finalement leur fille avait raté de justesse le bus en question.
Dans Foxtrot, les parents apprennent la mort, à l’armée, de leur fils mais cette nouvelle qui les tétanise, s’avèrera fausse quelques heures plus tard. Le choc est à la fois intense et indicible. Il nous place dans un état de tension qui nous conditionnera pendant le reste de l’histoire.
La seconde partie est de nature onirique, hallucinatoire et même un peu surréaliste.
Des soldats surveillent un check point perdu en plein désert où ne passent que quelques voitures et un dromadaire de temps en temps. Les jeunes soldats ne font qu’attendre, dans la boue et la solitude. L’activité est ralentie, les détails (les chaussures, les flaques d’eau, les halos des lampes) deviennent des évènements tellement zoomés qu’ils prennent une place démesurée. Nous vivons dans une sorte de rêve éveillé, les bâtiments penchent, la raison vacille. A l’image de la société israélienne qui ne veut pas voir, pas comprendre, pas savoir, les soldats ont des comportements d’automates, et leurs réactions semblent être prises sous acide, en mode somnambule. Les vues en gros plan, sur les yeux, les lampes torches, les projecteurs renforcent cette sensation hallucinatoire. C’est là que le drame se joue pour de bon, c’est là que la bavure aura lieu, dans ce contexte hors du temps et de la logique, c’est là que le destin s’accomplira.
Car le vrai deuil devra avoir lieu, mais sur des enjeux bien différents de ceux qui nous apparaissent au début du film.
Le souvenir de la Shoah plane sur tout le film : la grand-mère est une survivante de l’holocauste, le père a lui aussi survécu à un massacre dans la guerre du Liban (des soldats israéliens ont brûlé dans un char devant le sien sans que personne ne puisse les sauver), et l’histoire se répète, rebondit sur la génération suivante. C’est le complexe du survivant, les gens deviennent esclaves de leur mémoire, le pays entier est victime de son passé, au point d’en être l’otage et finalement le prisonnier.
Les personnages marchent vers leur propre anéantissement, conditionnés qu’ils sont à l’attaque, aux réflexes mécaniques, à cause du danger, à cause des représentations mentales de la réalité, du présent, déformées par la lumière du passé. Il y a bien une chaine, un enchainement du destin, il y a bien une transmission du traumatisme collectif, il y a bien un enfermement dans la culpabilité, dans l’esprit de sacrifice.
Le film utilise une esthétique particulière composée de longues prises de vue en plongée totale, par-dessus les personnages et les lieux : les acteurs bougent dans l’étroitesse des lieux vus par en dessus, ils se cognent aux murs sans fenêtres, ils sont terrassés sur leurs lits et dans leur douleur. Ils ne dominent plus rien, ils sont filmés comme des insectes, tout en haut d'une boite de Petri, comme des animaux de laboratoire.
Ceci étant, il reste l’humour pour expliquer rôles et situations : le fils soldat a hérité d’une revue érotique à la place de la Torah transmise depuis 7 générations, ce qui est peut-être le meilleur remède pour se libérer du poids du passé. La dérision et l’ironie viennent distancier les dérives du destin, absurde bien sûr, absurde comme la guerre, comme le sacrifice, comme la mort.
FOXTROT c'est une danse dont les pas "en avant, à gauche, à droite, en arrière, en avant" dessinent un cercle. La métaphore est bien celle du retour cyclique et de l'enfermement.
Ce film est un chef d’œuvre et je n’ai pas le compliment facile.
Acteurs principaux: Sarah Adler, Lior Ashkenazi