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Egon Schiele (Dieter Berner)

Egon Schiele (Dieter Berner)

Ce film m’attirait parce qu’il a été réalisé par un autrichien, et que je croyais naïvement qu’il était donc plus sensible que les précédents sur Egon Schiele.

J’ai été déçue, et ce n’est pas avec de belles images qu’on peut rattraper un film plat, sans profondeur, ni même de réflexion artistique.

Alors oui, les actrices sont particulièrement belles (et on les voit longuement nues, ou dans des tenues d’autant plus érotiques qu’elles sont désuètes), les costumes d’époque ont un charme indéniable, les intérieurs et les lumières sont parfaitement calculés. Techniquement, c’est un beau film.

Mais rien n’est dit sur l’histoire de l’art, sur la peinture d’Egon Schiele dans son siècle, sur ses choix et ses interprétations, ni même sur la guerre tout autour de l’œuvre.  On ne voit apparaitre la guerre qu’à ½ heure de la fin du film (fin que j’ai attendue impatiemment). Et la guerre n'est vue que de façon anecdotique, du point de vue étroit de la vie privée du peintre.

D’ailleurs ce film s’étale largement sur les femmes de la vie d’Egon Schiele, comme si c’était intéressant, comme s’il s’agissait de n’importe qui, de vous ou de moi, et pas d’un artiste particulier, ayant à dire des choses qui le dépassaient peut-être…

Donc on s’attache à suivre ses relations avec sa sœur (bof), avec sa maîtresse Wally (je pense que le film aurait dû plutôt s’appeler Wally, tellement c’est elle le personnage central, et non pas Egon Schiele), avec sa femme Edith (mais quel ennui !), et la sœur de sa femme, jalouse (bons sang mais c'est bien sûr, la jalousie, c'est encore un truc de bonne femme).

Comment peut-on réduire à ce point la portée d’un langage artistique, ne rien dire sur la Sécession, voir Klimt comme un vieux dragueur, et Egon Schiele comme un bon technicien, doué pour les poses tordues de corps obscènes ?

Je ne comprends pas du tout, il n’y a strictement rien dans ce film, à part de belles photos qui démontrent que l’art cinématographique peut se hisser au niveau technique de la peinture réaliste du XIXème siècle, mais pas à celui du roman du même XIXème siècle.

On peut donc se passer largement d’aller le voir.

Et je vais faire un petit topo sur ce que moi, (insignifiante blogueuse), j’aurais pu noter sur ce peintre.

D’abord le situer dans son époque :

Tout à coup, dans tous les pays occidentaux, le changement de siècle s’est accompagné d’une explosion de vitalité et de jeunesse. « Notre » Egon Schiele est né en 1890, il a 20 ans en 1910.

Partout se créée un mouvement artistique qui aura pour nom commun d’appartenance : l’art nouveau, et pour déclinaisons, suivant les pays, le style Tiffany (UK), le Jugendstill (Allemagne), le Sécessionnisme (Autriche), le style Liberty (Italie), le Modern Style (Russie), le Modernismo (Espagne)…

Juste avant la guerre, on en a eu assez des courbes, volutes, et fleurs et le style géométrique, Art Déco, est arrivé. Il s’agit donc d’une fenêtre artistique très étroite.

L’impressionnisme est né en France en 1872, et la modernité du mouvement s’est émoussée au début du XXème. Il faut trouver autre chose...

Vienne est la capitale d’un empire incroyable, vieux de 600 ans , où on parle une dizaine de langues et où on pratique dans la tolérance, au moins 5 ou 6 religions.

« La capitale de l’Empire austro-hongrois, véritable « laboratoire de l’Apocalypse», connaît une incroyable effervescence créatrice. Elle jouit alors d’une réputation d’insouciance et suscite l’admiration et l’envie pour la qualité et la diversité de sa vie culturelle. » Wikipédia

C’est dans ce contexte qu’Egon Schiele, et les autres peintres de la Sécession ou du Jugendstill, pour s’écarter du formalisme et de l’académisme, considèrent que la peinture ne doit pas être « jolie »,  « décorative », mais devenir un art total, visant à renouveler les formes, à s’engager dans un dialogue international, à lutter contre les nationalismes, et à donner un élan aux arts appliqués (architecture, mobilier…).

C’est aussi dans cette ambiance de fête (on valse, on rit, on chante) que Egon Schiele produit des œuvres comme « Agonie », ou « Arbres en automne » qui montrent pour l’un, la mort qui approche dans la solitude de deux moines qui se taisent, et pour l’autre des arbres décharnés où s’écorche le vent. De nombreuses toiles intitulées "La mort et le Jeune fille", "La mère aveugle", "La mère morte" , témoignent d'un étrange pressentiment, qui contraste avec l'allégresse environnante.

Comment ne pas voir que les artistes, dans la liesse générale, représentent ce qui guette l’Empire : la mort, la mort brutale et généralisée, et peut être même la fin de l’Empire…

1914 : Tout l’Empire va sombrer, en l’espace de 4 ans. La capitale européenne (Vienne est la 4ème  grande ville d’Europe)  vit ses derniers jours. Ce ne sera plus jamais comme avant.

Et toute la peinture d’Egon Schiele est une méditation sur la souffrance, la mort, la fragilité, l’impermanence.

Bien loin d’être des scènes érotiques, les nus provocants, aux organes sexuels turgescents, sont très maigres, torturés, et ils n’appellent pas du tout la convoitise, mais plutôt la compassion. Comme nous sommes peu de chose, semblent ils nous murmurer, et « toi aussi, tu n’es que ce morceau de bois qui croit tenir son plaisir »…seul.

Toutes les représentations de couples faisant l’amour sont tristes à pleurer, personne ne se regarde, les yeux se perdent dans le vide et les couples ne communiquent pas : ni désir, ni tendresse, ils sont juste ensemble pour avoir moins froid, ils font l’amour comme on meurt.

J’aime beaucoup les tableaux de Krumau où la ville est encerclée par le fleuve, un bras de rivière bleu sombre, sans espoir, vide et dramatique, qui semble l’étrangler.

 

Et « Levitation » où le même personnage vit son agonie au 1er plan, pour se détendre, être plus serein, en haut du tableau, après la mort.

Avec ces quelques notations, on est bien loin des histoires de femmes, de maîtresses, de jalousies que ce film s’est simplement attaché à nous montrer.

Oubliez le film, allez voir Egon Schiele à Vienne, c'est tout simplement un coup à l'estomac.

Oui, il est mort à 28 ans de la grippe espagnole, comme 20 millions de personnes dans le monde, dont mon grand père.

 

 

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