Je m’en faisais une grande joie et je n’étais jamais allée au Musée de l’immigration, depuis son ouverture/inauguration en 2014!
Et les critiques étaient dithyrambiques, c’était une exposition à ne surtout pas manquer.
De prime abord, je dirais que oui, c’est une bonne exposition. Incontournable, et par-dessus tout nécessaire. Je suis bien d’accord, c’est important de se souvenir de ce que l’on doit à tous ceux qui ont construit notre pays. Et les italiens en font largement partie pour avoir été, pendant longtemps, la première « communauté » immigrée.
Les italiens sont arrivés en masse dans l’Hexagone depuis le milieu du XIXème siècle et jusqu’à aujourd’hui. Un siècle d’immigration italienne, ce sont des centaines de milliers d’italiens, la diaspora la plus importante en France et une influence indiscutable sur la culture française, qui oblige à considérer que nous sommes tous indissociablement les héritiers de nos voisins latins.
Bien avant le XIXème siècle, et donc avant l’immigration de masse, de nombreux italiens se sont installés en France, comme banquiers ou marchands, quand ils n’ont pas purement et simplement exercé le pouvoir suprême : Richelieu, Mazarin, Catherine de Médicis, pour ne citer que ces grands noms, ont marqué notre histoire.
Mais restons-en à la période de 1860 à 1960, sujet de l’exposition.
Le bâtiment de la Porte Dorée a été construit en 1931 pour accueillir le musée des « colonies » et glorifier « la mission civilisatrice » de la France, ce n’est donc que « justice » qu’il soit désormais consacré à l’immigration. C’est un magnifique monument, classé monument historique, et qui mélange style art déco et architecture marocaine.
Il faut grimper au 3ème étage pour CIAO ITALIA. Et dès l’entrée, on est ravi par l’ambiance : une ronde de belles VESPAS blanches nous accueille, de même que côte à côte une statue de Garibaldi posée non loin d’une immense tête fracassée du Duce. L’expo se divise en trois sections : “Par où passent-ils”, “Que font-ils en France” et “Que nous ont-ils légué”.
On y trouve beaucoup de souvenirs comme la grande toile d’Angiolo Tommasi, Gli emigranti (1896), ou les évocations de personnages célèbres : de Lazare Ponticelli, le dernier poilu de la Grande Guerre de 14/18, à la longue liste d’artistes, chanteurs et comédiens : Yves Montand, François Cavanna, Serge Reggiani pour ne citer qu’eux. Notons aussi Modigliani, dont on retrouve un dessin de Jean Cocteau.
Il y a de la vidéo aussi : les films célèbres italiens (Aldo Maccione passant devant les femmes, Anta Ekberg se baignant dans la Fontaine de Trevi), comme ceux d’auteurs dont on a oublié l’italianité (Thérèse Raquin titré du roman de Zola).
On y voit aussi le costume de clown des Fratellini, la truelle du père maçon de François Cavanna, beaucoup d’actes de naturalisation, et c’est assez émouvant, c’est vrai.
Alors qu’est-ce que la râleuse que je suis reproche à cette expo ?
1- Elle est trop ratatinée
Tout se passe dans une grande pièce et le parcours est limité, ce qui fait que les cartes, par exemple, sont accrochées en hauteur et ne peuvent pas être commentées.
Tout est beaucoup trop resserré, en un mot, malgré les essais de classement, fouillis et peu pédagogique.
2- Elle n’est pas du tout complète
Dommage, sans vouloir être exhaustif, de ne pas expliquer plus la façon dont les italiens ont été accueillis. Il n’y a qu’une évocation du massacre d’Aigues Mortes en 1893, où de nombreux italiens (leur nombre est toujours sous-estimé dans les statistiques officielles) ont été lynchés parce qu’ils venaient ramasser le sel des salines et « prendre » le travail des français. Pas grand-chose sur les Vêpres marseillaises en 1881, où les italiens (taxés d’avoir sifflé au passage des troupes qui revenaient, triomphantes de la conquête de la Tunisie, jusqu’alors propriété de l’Italie) ont été victimes de la sauvagerie de nationalistes bornés.
Rien sur la suffisance de certains qui estimaient les italiens trop « catholiques » pour pouvoir s’intégrer.
Rien sur ces italiens qui ont refusé de casser des grèves, rien sur ceux qui, pour ne pas « faire les jaunes », sont retournés dans leur pays où l’on mourrait de faim.
3- La perspective politique est insuffisante
Oui, il est bien dit que pendant les années fascistes, l’immigration italienne était surtout politique, mais rien sur ce qui se passait réellement en Italie à cette époque : dans les années 20, l’Italie était tentée par le communisme (suite à la révolution russe et au désastre de la guerre 15-18, désastre non seulement humain mais aussi économique, l’Italie n’ayant pas bénéficié des mêmes dommages de guerre que la France ou la Grande Bretagne), et par le fascisme (ambigu, car social et d’approche contestataire à 1ère vue).
Mais cette période, si bien analysée par Pierre Milza (autre italien célèbre) est essentielle à la compréhension de l’immigration de cette époque.
4- Les conditions de l’accueil ne sont pas décrites
Où vivaient-ils concrètement ? Y a-t-il eu communauté ou non ? Quel sentiment d’italianité ont-ils éprouvé ?
Je me souviens très bien, quant à moi, de l’arrivée d’autres émigrés comme les harkis, puis les espagnols puis les portugais, puis les vietnamiens. J’ai fréquenté les mêmes écoles, les mêmes universités, mes enfants ont été les amis de leurs enfants, nous étions si voisins en France que je crois connaître comme si j’y avais vécu Tizi Ouzou, Porto, ou Saigon.
Même si la xénophobie a pu être présente et l’est indéniablement encore, le communautarisme est si peu développé en France (était ????) que les migrants ont fait très vite partie de ma vie, et très étroitement. Il faut le dire, il fallait le souligner….J’ ai, quant à moi, vécu au contact des migrants qui ont fait la France.
Et je me souviens des italiens pour des raisons qui me sont très intimes. Je me souviens de l’épicerie Bonello, au coin de ma rue, où s’entassaient à même la terre les sacs de pois chiches, de farine de maïs, de lentilles et de riz, où l’ « Italien » gardait la blouse, et le crayon à l’oreille…bref, une image de l’Italie qui contraste avec celle d’aujourd’hui, bien plus glamour et luxueuse…